« Les jeux sont faits, rien ne va plus ! » est une expression qui signifie que les dés sont jetés : le hasard prend le dessus, et il n'est plus possible d'aller à son encontre. C'est cette notion ludique de surprise et de découverte que le collectif Pieds au mur a décidé de mettre en avant dans ce projet. Car ces mots sont également emprunts d'une autre dimension : la règle du jeu, celle à laquelle il ne faut pas déroger – sinon, c'est tricher. "Rien ne va plus" lorsque ces règles ne sont pas respectées ; et quand "rien ne va plus", alors tout est possible, et une fenêtre s'ouvre sur les imaginaires.
Le collectif retourne à l'école, et analyse les règles de vie qui définissent la micro-société d'une école primaire. Des interventions simples, spectaculaires et ludiques seront imaginées in situ pour mettre en lumière les règles qui la régissent. La cour de récréation devient alors cour de création, pour imaginer avec les enfants un grand jeu à partir de leur quotidien.
Nous avons pensé les temps de recherche et les temps de transmission comme deux projets distincts adressés à des publics différents. Ils abordent néanmoins les mêmes problématiques, s'imbriquent et se complètent.
1. Les temps de création
Nous envisageons ce temps de recherche comme un temps d'analyse du fonctionnement de l'école. En tant qu'observatrices extérieures, nous relèverons les règles tacites qui régissent cette micro-société qu'est un établissement scolaire. Nous mènerons donc d'abord un travail sociologique et philosophique, créant des parallèles entre règles du jeu et règles de vie. Quelles sont les règles auxquelles on obéit pour qu'un terrain de jeu commun puisse exister ? Ces règles sont-elles officielles ou officieuses ? Qui les établit ? Y a-t-il au sein de l'école des exceptions à la règle ou des façons de la contourner, de tricher ?
Notre proposition artistique consistera ensuite à mettre en lumière ces règles par des micro-interventions, des micro-spectacles. Par des gestes artistiques simples, nous chercherons à révéler les codes, à les détourner pour les questionner. Nous voulons offrir aux élèves un autre regard sur ce lieu qu'ils fréquentent quotidiennement en transformant un peu leur école. Nous désirons ainsi stimuler une curiosité nouvelle par la surprise.
À titre d'exemple, voilà trois interventions que l'on a imaginées pour nos anciennes écoles primaires à partir d'une règle dont l'on se souvient.
Adèle : " Dans mon village, deux écoles mangeaient dans la même cantine. Les uns s'asseyaient à droite de l'allée centrale, les autres à gauche. Dans ce contexte nous pourrions imaginer installer une billetterie : les élèves y choisiraient un ticket pour le menu A ou B et se verraient attribuer une place du côté pair ou impair de la salle. Ainsi rerépartis ils vivraient ensemble deux repas-spectacles différents (nous pourrions créer deux ambiances, coudre des tabliers et des charlottes de deux couleurs pour le personnel de cantine, etc...)."
Emilou : "Ma classe était très organisée ; les sections étaient séparées, chaque élève avait son propre bureau, toujours le même, à une place bien précise, disposé face au tableau. Il était possible de l'ouvrir pour y ranger des choses, un carnet ou une trousse. Nous pourrions imaginer perturber quelque peu l'intérieur de ces bureaux en y glissant un peu de malice ; faire croire à l'existence d'un animal fantastique qui se balade la nuit. Une poule pourrait avoir laissé un œuf dans un des casiers par inadvertance."
Elsa : "Dans le hall de mon école, il y avait une boîte avec les objets trouvés. Elle était tout le temps pleine, comme si les vêtements et objets qui s'y trouvaient n'avaient plus de propriétaire une fois perdus. Dans ce cas de figure, nous pourrions sortir les objets de la boîte. Ainsi, ils pourraient être exposés comme des objets précieux dans une vente aux enchères pour leur redonner de la valeur. L'endroit deviendrait un stand de troc : un gant pourrait être échangé contre un dessin, un dessin contre des bons points, des bons points contre un ballon, etc.
Ces micro-interventions pourront aussi impliquer les adultes rattachés à l'établissement (professeurs, parents, éducateurs, personnels de cantine, etc). Nous leur proposerons de participer avec nous à des micro-actions simples que nous aurons préalablement organisées. À destination des enfants, ces propositions auront aussi pour objectif de créer du lien entre les différents acteurs de l'école.
2. Les temps de transmission
Poursuivant cette même réflexion, nous proposerons aux élèves de créer un jeu. Ses règles refléteront la vie de l'école et les fictions qu'ils s'y inventent. Nous travaillerons à partir de l'espace de la cour, espace à la fois extérieur et intérieur, individuel et collectif. Terrain de jeu et d'imaginaires, des règles (qui parfois n'appartiennent qu'à eux) la régissent : il faut se mettre en rang à la sonnerie, seuls les grands peuvent accéder au terrain de foot, on ne doit marcher que sur un pavé sur cinq pour traverser le préau, une figurine Marvel vaut trois fois plus qu'une carte Yu-Gi-Oh. Chacun se fait sa propre cartographie sensible et fictionnelle des éléments qui composent la cour. Une butte de sable sera la montagne interdite pour certains, la place du chef d'équipe pour d'autres. Un poteau peut bien être "la girafe", une poubelle "la grosse marmite". Nous travaillerons à réunir toutes ces règles au sein d'un jeu commun à toute une classe.
Notre jeu sera réalisé à deux échelles. Celle du réel, par des matérialisations à l'échelle 1 dans la cour (fresque au sol, construction de panneaux signalétiques, de décors, etc) ; et celle de la maquette, par la réalisation d'un jeu de plateau qu'ils pourront garder en classe. Les ateliers que nous leur proposerons poseront sans cesse des questions de traductions entre ces différentes échelles, et côtoieront des enjeux cartographiques. L'échelle de la cour permet aux enfants d'être en action dans leur propre jeu, tandis que l'échelle du plateau demande une prise de recul. Ils se projettent alors dans le pion qu'ils manipulent. À la fin de notre période de résidence, le terrain de jeu dans la cour ainsi que le plateau de jeu seront finis. Pour la restitution, nous inviterons les parents et nous jouerons tous ensemble au jeu imaginé par les enfants.
Un dialogue entre deux générations pourra ainsi s'instaurer, déplaçant pour un moment les relations d'autorité nécessaires au fonctionnement de l'école.
Par le(s) artiste(s)