Le patrimoine de l'ordinaire école plein air sur la plage Cap de l'Homy Dorian Degoutte

L'école à la plage

Publié par Dorian Degoutte

Journal du projet

En automne dernier, je reçois un appel des Ateliers Médicis pour m’annoncer que mon projet avait été sélectionné pour la troisième édition de Création en Cours. Cependant, aucun de mes trois choix de destinations en résidence (départements du Cher, Haute-Savoie, et île de la réunion) n’étaient disponibles. La personne au téléphone me propose alors d’autres possibilités, notamment les Landes où deux écoles restaient sans artiste. L’une dans les terres et l’autre dans un village proche de la côte et portant un nom si compliqué, que la femme au téléphone peina à le prononcer. Ce village, c’est Lit-et-Mixe, un nom peu commun que l’on prononce en faisant la liaison entre « Lit » et « et », donc phonétiquement « litémix ».
Bref, ce nom compliqué, mais néanmoins poétique, sonne dans mon esprit et c’est le lieu que je choisis pour mon projet. Avant d’y aller, je google-ise le village et tombe sur de magnifiques photos de la plage et de l’océan. À ce moment-là, une image simple me vient en tête résultant d’un algorithme interne à moi-même, qui a mixé la plage avec l’École et avec le projet Création en Cours.

Je vois alors des enfants qui font école sur la plage, avec leurs chaises et leurs bureaux.

Quelques mois plus tard, cette image mentale est bien concrète et nous voilà avec les élèves, maîtresse Cécile et les employés communaux à charger et décharger le mobilier de la classe sur la plage du Cap de l’Homy. C’est lourd !
Chaque enfant à sa manière bien à lui de porter ce mobilier. À bout de bras, sur la tête, à l’endroit, à l’envers… Il y a celles et ceux qui râlent. Celles et ceux qui font la course. Celles et ceux qui sont astucieux.euses. Celles et ceux qui portent sans forcer et celles et ceux qui demandent un coup de main à leurs camarades…Chacun.e porte le mobilier d’une façon qui lui est propre et on peut reconnaître dans leurs gestes et leurs postures l’expression de leurs différentes personnalités.

Une fois arrivés au bord de l’eau, ils s’installent comme ils veulent. Agréablement surpris, je constate qu’ils ne reproduisent pas du tout la construction habituelle de la classe. Ils se posent çà et là, à l’intuition et par affinités. Le tableau est posé lui-aussi mais ils préfèrent regarder l’océan. Certains s’amusent à parier sur la réussite des surfeurs à prendre des vagues. D’autres quittent leurs chaussures pour sentir le sable sous leurs pieds. Certains garçons font le choix intermédiaire de rester en chaussettes. Choix étrange dont j’ai du mal à comprendre le principe. En tout cas, je crois que les enfants se sentent libres.
Maintenant qu’ils sont installés, maîtresse Cécile et moi leur demandons d’aller chercher leurs affaires. Cartables, trousses, cahiers, stylos… Tout ce dont ils auront besoin pour faire classe. Ce choix change beaucoup l’esthétique et la signification des images. Les élèves qui s’appropriaient alors le matériel scolaire et qui en faisaient un usage différent de d’habitude se retrouvent dès lors dans le cadre habituel de l’école.
L’un d’entre eux s’adonne au rituel matinal d’écrire la date au tableau et ils commencent un exercice. Seulement, cet exercice, c’est de décrire le paysage et de décrire ce qu’ils ressentent. Nous utiliserons ces textes plus tard en commentaires, lus en direct par les enfants lors d’un diaporama restituant aux parents le travail mené tout au long de l’année.

Au fur et à mesure que la journée avance, des touristes s’installent autour de nous. Ils nous regardent, interrogés par cette scène qui bouscule le quotidien de la plage. À force d’être observés, certains enfants ont même l’impression d’être des stars.

Derrière mon appareil photo, j’alterne les points de vue et malgré toute cette mise en scène, les images sont documentaires. J’ai même parfois l’impression de répondre à une commande du ministère de l’éducation qui consisterait à documenter ce qu’est le quotidien des enfants dans une école primaire française. Seulement là… On est à la plage. C’est drôle de voir la contradiction de cette situation, elle est à la fois hors norme, mais en même temps très banale. Dit autrement, c’est un moment ordinaire, hors du commun. Je le ressens dans les photographies qui sont à l’image de cette contradiction.

Le temps passe très vite et j’ai l’impression d’être assez scolaire dans ce travail. J’aurais voulu qu’on s’approprie un peu plus le mobilier, qu’on le jette à l’eau, qu’on fasse des sculptures, qu’on le recouvre de sable et qu’il disparaisse… Mais il est 16h, l’heure d’aller prendre le bus pour rentrer « dans notre bonne vieille école » comme dirait Nathanaël. Fatigués par l’air marin, j’ai l’impression qu’ils repartent en ayant vécu cette expérience comme un évènement marquant dans leur scolarité. C’est là le but et le sens de cette entreprise collective, la construction et l’expérience par les élèves et leur enseignante d’un moment de vie fort, et qui permet de faire exister une école sur la plage comme geste symbolique et poétique.

 

 

École à la Plage