Le Patrimoine de l’ordinaire est un projet de recherche autour de l’archivage de notre quotidien comme un patrimoine vivant et en constante transformation. Grâce aux images (photographies et vidéo), il consiste à documenter aujourd’hui, les objets, les lieux, les personnes, les situations du quotidien qui seront les archives de demain. Ce travail sera mené in situ avec les usagers de l’établissement scolaire de résidence (élèves, enseignants, personnel, parents d’élèves, etc) les mettant en scène dans leur quotidien. Comme l’est la vie ordinaire, ce projet se déploiera tel un « work in progress » en constante évolution suivant la transformation des corps, du territoire, des habitudes, des mentalités.
Le projet Le Patrimoine de l’ordinaire se présente pour le moment sous la forme d’intuitions et d’envies. Dans la continuité du travail que je mène actuellement autour de l’image (fixe ou en mouvement), mon envie principale est de photographier des personnes dans leur quotidien. Selon le lieu de résidence qui me serait attribué, ces personnes seraient les élèves, les habitants, le personnel de l’établissement, les parents d’élèves, etc. Travailler avec des communautés ou des groupes de personnes est récurrent dans ma pratique. C’est le cas par exemple pour une vidéo que j’ai réalisé au Sénégal (cf : portfolio) qui met en scène la construction d’un mur sur une plage. Les protagonistes de ce film ne sont pas des acteurs, ils sont les habitants des environs de la plage qui souhaitaient participer à ce projet. C’est la même chose pour le film Le Grand Vide réalisé à Flaine avec les habitants de cette station de ski.
Faire des films ou des photographies avec des habitants, des communautés, des groupes de personnes, ressemble pour moi à une démarche d’archivage. Des productions audiovisuelles que j’imagine à leur juste place dans les archives amateur des cinémathèques plutôt que dans les collections d’art contemporain. Ces personnes avec qui je travailles aujourd’hui ont un quotidien avec son lot d’habitudes, des gestes, d’appareils de communication, de vocabulaire, et ne l’auront probablement plus demain. En opposition au patrimoine matériel, bâti et dans la continuité du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, le quotidien des personnes est pour moi un patrimoine immatériel vivant et en constante transformation. C’est pourquoi le travail anthropologique d’un réalisateur comme Jean Rouch m’intéresse beaucoup, approche que je retrouve aussi fortement dans les projets auxquels je participe en parallèle avec Les Films de la Villeneuve à Grenoble. Association qui réalise des films de fiction avec les habitants du quartier de la Villeneuve en leur faisant jouer leur propre rôle.
Il ne s’agit pas dans ce projet d’une démarche de reportage. Je compte mettre en scène les photographies ou vidéos réalisées dans le cadre de la résidence. Il s’agit de choisir des lieux et des personnes à mettre en scène. Puis des situations, des gestes, des mots, des objets. Même si le but est de documenter la réalité, celle-ci demande à être mise en scène pour être partagée ensuite avec un public lors d’une exposition, d’une projection ou dans un dispositif d’archivage.
Ce projet lié à l’archive s’inscrit dans une recherche personnelle que j’ai engagée en octobre dernier avec le film La photo des Voisins. Ce film, tourné dans le salon vide de mon appartement avant de quitter la ville d’Annecy, raconte la mise en place d’une photo de groupe avec mes voisins. Ce moment passé ensemble est alors la fabrication d’un souvenir commun à un instant « T » de la vie de l’immeuble.
Dans ce geste filmique et photographique, je souhaite questionner la mémoire et la fabrication aujourd’hui de ce que seront les archives de demain. Faire d’un patrimoine habitant immatériel un patrimoine cinématographique matériel. Je considère ce film comme point de départ d’un travail que je souhaite poursuivre, notamment dans la Région Centre où je me suis installé récemment pour développer un projet vidéo au long cours à Vierzon et dans les environs.
Ce sujet « d’archives » est d’autant plus intéressant quand on le met en relation avec les techniques de prises de vue d’aujourd’hui. Par exemple on peut remarquer avec l’utilisation que l’on fait des smartphones que la photographie n’est plus obligatoirement lié à l’archivage de sa vie et même au contraire. Une photo prend du sens et n’existe que dans l’instant, comme un miroir qui fixerait notre reflet quelques seconde. Elle apparaît, est partagée, puis vue et enfin disparaît… Cet usage de l’image, que l’on fait dans les « story » Instagram par exemple, est important à prendre en compte dans une réflexion artistique et notamment pour intéresser et intégrer les jeunes générations dans le processus de création. C’est aussi un moyen pour poser un regard sur notre modernité et réfléchir comment la documenter.
Travailler de manière In Situ dans un établissement scolaire m’intéresse aussi beaucoup car cela engage une réflexion sur la fabrication des images « officielles » destinées aux établissements scolaires ou aux lieux publics. Comment représenter l’Éducation par l’image et comment créer une iconographie alternative de l’école en milieu rural, hors des clichés et des stéréotypes. Nous connaissons le portrait du président de la République qui doit être accroché dans toutes les mairies de France, mais pourquoi pas une photographie pour les salles de classe et d’autres pour le réfectoire ou la salle d’étude. L’on pourrait même imaginer un dispositif/un mode opératoire reproductible dans chaque école de France, avec d’autres élèves et d’autres photographes. Cette question m’intéresse énormément, notamment dans la continuité d’une réflexion que je mène depuis l’école d’art sur les espaces communs et la place de la création artistique dans ceux-ci.
Enfin, une dernière piste de travail, presque inévitable lorsqu’il est question de l’école et de photographie : la photo de classe. L’archive par excellence des générations d’élèves qui passent les unes après les autres devant l’objectif du photographe attitré de l’école ou du collège. Rejouer cette mise en scène de manière régulière avec les élèves serait une entrée en matière pour justifier ma présence dans l’établissement, aller à la rencontre des classes et entamer un travail plus approfondi autour de la photo de classe comme proposition formelle et comme archive. Celle-ci est pleine de codes avec lesquels nous pourrions jouer en les modifiant, les exagérant, en créant des décalages, etc. À la manière du photographe Masahisa Fukase qui détourne ses photographies de famille.
Je m’oriente en ce moment de plus en plus vers la photographie et cet atelier serait l’occasion pour moi d’expérimenter les supports. En effet nous pourrions imaginer que les images que nous produirons trouvent une place au sein de l’établissement scolaire et fassent partie de la « décoration » de l’école ou du collège. Selon le lieu et les possibilités je pense pour le moment à des impressions grands formats sur papier peint ou des formats plus classiques, encadrés. J’imagine aussi des impressions liées aux objets souvenirs : impression sur puzzle, tee-shirt, assiettes…
Ce projet d’archivage n’est pas attaché à un lieu précis où des personnes, cette documentation du présent peut-être faite partout car elle est appelée à se développer In Situe en fonction de l’environnement où elle est réalisée. Dans une école primaire par exemple, dans la Région Centre ou sur l’île de la Réunion, le résultat sera très différent.
Par le(s) artiste(s)