« L’homme est la mesure de toutes choses : de celles qui sont, du fait qu’elles sont ; de celles qui ne sont pas, du fait qu’elles ne sont pas. » Protagoras, 5e siècle av. J.-C.
La relation de l’homme à l’espace est essentielle pour la perception de ce qui l’entoure. Comment les habitants du Groenland observent-ils les vastes étendues de leurs terres ? Quelle est la perception des locataires des chambres dans les hôtels-capsules du Japon ?
Les espaces immenses, dépassant l’échelle humaine, nous attirent et nous défient depuis toujours. Dans le film de Werner Herzog, « Grizzly man », un homme se rend volontairement dans un territoire sauvage d’Alaska, dont les souverains sont des ours grizzlys. À la recherche d'espace libre, en seule compagnie animale, il est conscient de ses limites physiques, et dans le même temps, capitule devant les forces de la nature. Les petits espaces confinés, au contraire, nous inspirent sécurité et confort, un « lieu sûr », un chez soi. De l’habitation elle-même, mais aussi à son environnement proche, son quartier ou sa ville.
Un adage populaire tchèque dit qu'une petite ville pittoresque est comme « une ville dans la paume d’une main ». Sur de vieilles cartes, réalisées avant le 17e siècle, on trouve l’intitulé « Portrait de la ville » ou encore « Le vrai portrait de la ville ». L'échelle d'une main nous rapproche davantage de notre propre échelle de perception, on s'y adapte réciproquement.
Un jour à Antibes, dans une rue calme, je trouve la souche d’un grand arbre dépassant d'une clôture. Les cernes et les fissures très marquées dans le bois, organisées en composition centrale m’évoquent la carte d’une ville avec des boulevards concentriques et des avenues en rayons. J'y retourne alors avec des outils et de la peinture pour faire une empreinte sur papier. Le résultat n’est pas très satisfaisant. Je fais une deuxième tentative : je pose une feuille sur la souche et je reprends sa texture directement en frottant le papier avec un bloc de graphite.
À l’atelier, je fais des empreintes de mon propre corps à l’acrylique sur bois et sur papier - clin d’œil aux Anthropométries d'Yves Klein. Créer une carte imaginaire à mon échelle, laisser une empreinte, jouer avec les accidents. Je choisis le format du papier, en guise de cartes de 17e siècle, en « perspective cavalière » et sans point de fuite. Sur une longue feuille de papier japonais (sorte de « tapis »), j’essaie de rythmer la composition d’abord en réalisant des empreintes aléatoires. Se rouler sur le papier, s’asseoir, s’allonger, poser les coudes, répéter un geste et multiplier ainsi des empreintes. Je pose ainsi des repères à partir desquels je peux enrichir la composition en imprimant d’autres textures comme le bois flotté, les filets de pêche, le pneu, etc. À la fin, je vais compléter l’image avec les impressions d’une carte en bois gravé, inspirée par une représentation de la ville d’Antibes. Je rajoute aussi le dessin d'autoroutes et des moyens de transport imaginaires produits en « collaboration » avec mon petit demi-frère.
Le résultat n’est pas destiné à devenir une œuvre à part entière, mais plutôt une base des données graphiques et plastiques, une source des possibles à réaliser et expérimenter lors des ateliers avec les publics.