Création d'une carte géante représentant un monde reinventé, en explorant les possibles de la gravure et ses dérivés.
Je développe une pratique singulière de la gravure sur bois en grand format. En mêlant la peinture, le dessin et le monotype, je construis un univers de strates flottantes à l'instar d'un «palimpseste». J'imprime à la main, sur le sol de l’atelier, à la cuillère. En phase avec mon travail, le projet «Géographes de l'imaginaire» consisterait à créer une carte géante représentant un nouveau monde, dans lequel nos «futurs moi» pourraient bien vivre. Il s’agit d’inventer un univers imaginaire, mais non séparé du réel, en explorant la richesse des idées plastiques de la gravure.
Je proposerai aux enfants de réinventer le monde à travers une œuvre collective composée en respectant les univers individuels de chacun. L‘imagination est moteur, déclencheur d‘un élan et ensuite d’une réflexion sur le monde réel. Il nous faudra réinventer le monde. L‘imaginaire dont je parle ne consiste pas en un isolement dans la rêverie (bien que les rêves puissent être un outil intéressant). Au contraire, je crois à sa puissance et à sa capacité à toucher les questions sociales grâce à la force de l‘imagination : on entend les échos du réel dans l‘imaginaire.
Et si nous pouvions réinventer l’espace dans lequel nous vivons ? Notre pays ? Le monde entier ?
En regardant les cartes de pays inconnus, en promenant mon doigt sur les globes et les plans, les lieux représentés me faisaient toujours rêver. À quoi ressemblent-ils ? Qui sont leurs habitants ?
En examinant de plus près une carte, nous pouvons lire une grande quantité d‘informations factuelles. Mais les cartes portent un potentiel au delà de la description cartographique de lieu. Elles ouvrent la porte des vastes terrains de l’imagination. La carte sera le moyen de communication qui nous permettra de construire des nouveaux liens et connexions entre nous, sur le plan politique et poétique. Elle évoquera un territoire d‘échange de nos diversités et de nos liens.
J’envisage la création d’une carte géante imaginaire en gravure sur bois ou sur linoléum.
Imaginer le monde tel que nous voudrions l’avoir, une sorte de terre idéale pour les futures générations, construite à partir des visions de chacun et chacune, tout en respectant les idées des autres «citoyens».
Cette carte deviendra une pièce centrale autour de laquelle vont graviter les habitants de ce nouveau territoire créé par les enfants, qui pourront ainsi se projeter dedans et créer des sortes d'alter-egos vivant sur ce nouveau territoire. J'imagine la réalisation du projet en trois phases : «recherche et expérimentations», «réalisation» et «rassemblement et présentation».
Pour commencer je ferai de mon côté des recherches autour de la cartographie, imaginaire et réelle. Pour créer un «nouveau monde», notre imagination pourrait être alimentée par une sortie dans un musée de la cartographie, des promenades virtuelles dans Google maps street view, et pourquoi pas par une sortie aux entourages de l'école en essayant de reconstituer le trajet en forme du dessin. Nous pourrions également jeter un coup d'oeil sur le principe de jeux d'implantation du réel dans l'imaginaire à l'instar de la recherche de Pokémons, et comparer les cartes médiévales avec des visuels de jeux vidéos «adventures». Pourquoi ne pas réagir, avec une certaine dose d'humour et le détournement artistique, à la situation politique actuelle et aux faits réels qui nous entourent ?
Ces premières recherches devraient aboutir aux dessins et croquis des éléments constitutifs de «notre monde». Des idées des villes, des paysages, des chemins, des rivières, des océans etc. exprimés en simple dessin seront rassemblés et réorganisés par les «futurs citoyens» pour former un tout. Ce regroupement d’idées graphiques venant des enfants, les «architectes du projet», me servira de référence de base pour la prochaine étape de mon travail, la création de la carte en gravure.
Ensuite j’entamerai de mon côté la carte en gravure sur bois avec éventuellement des éléments en linogravure, d'après les idées et les indications des enfants, issues de la première phase du projet.
Pour marquer et délimiter des divers terrains sur la carte je leur proposerai d’expérimenter quelques techniques comme le frottage et l'empreinte de structures, le monotype et la décalcomanie abondamment utilisées par Max Ernst, le maître de détournement et de l'imaginaire. Pendant la troisième phase du projet, ces productions seront soit incorporées dans la carte en collages, soit utilisées pour élargir le territoire sur les côtés, créant ainsi les pays voisins.
Après avoir créé les éléments nécessaires pour la grande carte de «notre monde», il faudra se poser la question «qui sont ses habitants» Je voudrais sensibiliser les enfants aux possibilités offertes par le hasard et à son importance pour l'imaginaire par des exercices tels que les «cadavres exquis» et «l’animal hybride» (jeu où l’on compose un animal imaginaire à partir de diverses parties du corps d’animaux tirées au sort). Après avoir essayé ce principe, ils seront prêts à travailler librement leur imagination en utilisant des morceaux de bois préalablement découpés en formes diverses à la scie sauteuse. Sur le principe de la paréïdolie («à quoi ça me fait penser?») chacun créera un objet sculptural à partir d'une forme préexistante. Gravé à la Dremel et/ou peint à l'acrylique, ces objets attendront la dernière phase du projet pour être installés en dialogue avec la carte.
Une prochaine étape, la «réalisation» consisterait en tirage de la carte gravée sur papier et/ou tissu. Je ferai participer les enfants directement au processus d'impression. Ils deviendront ainsi les «apprentis imprimeurs» et travailleront à l'impression xylographique en forme rudimentaire, au sol à la cuillère et à l'aide d'une presse au roulement à billes.
Une dernière phase du projet consisterait à rassembler les éléments créés pendant les phases précédentes pour monter une installation éphémère au sein de l'école. La carte géante (ou une partie) pourrait être transposée sur un mur et devenir une fresque éphémère ou permanente, selon les modalités et conditions de l'école. Les monotypes et dessins d’enfants s'incrustant dans le tirage de la carte, les éléments divers se chevauchant, se percutant, se superposant, devraient s’entremêler en créant un ensemble riche et cohérent dans sa diversité et son imprévisibilité, comme un palimpseste urbain.
Au sol et aux espaces alentours, j'imagine un prolongement de l'installation en intégrant les « habitants » en bois gravé/peint. Pour laisser une trace qui sorte de l'établissement scolaire, je propose pour terminer le projet une édition de cartes postales de notre « monde » en linogravure ou en sérigraphie. Les dessins et paroles de petits « citoyens » se verront multipliés et diffusés aux enseignants et autres élèves. Les cartes pourraient même être envoyés à de véritables adresses lointaines! Pour cela, j'aimerais travailler avec une maison d'édition locale. J'imagine l'implantation du projet dans le sud de la France, idéalement la région Marseillaise pour nouer une collaboration avec la maison d'édition Le Dernier Cri, que je connais bien. Ce petit éditeur associatif est un véritable épicentre de l'imagination et des énergies débordantes. J'envisage d'imprimer les cartes postales, ou même une petite version de la grande carte pliable, sur leurs machines éventuellement de mes propres mains.
Par le(s) artiste(s)