Le projet "VERSUS/PASSAGE" est né de la volonté de déplacement d'une architecte et d'une auteure de théâtre animées par l’envie de créer un lieu intermédiaire, nouveau, à la fusion des deux arts a priori non voués à se rencontrer. Ce que nous souhaitons, c’est créer un espace immersif et performatif dans lequel l’écriture théâtrale est déplacée de sa forme linéaire et continue, l’architecture de sa forme pérenne et immobile.
L’objectif est de penser une dramaturgie plurielle, à la fois par les disciplines qui la nourrissent et par les temporalités qu’elle crée (potentiellement simultanées) dans laquelle l’espace, l’objet, la couleur deviennent vecteurs de sens à égalité avec le texte. Le parcours immersif devra donner la possibilité de multiplier les expériences à la fois sensorielles et fictionnelles. Le spectateur sera amené à y intervenir pour avancer, à y faire des choix à y laisser sa trace, son empreinte.
Il est important pour nous que le lieu dans lequel nous créerons la forme soit un lieu non-théâtral mais inscrit dans l'espace collectif, porteur d'une histoire, d'une mémoire et d'un fonctionnement spécifique. L'école en tant que lieu de passage et espace central de la collectivité correspond à notre volonté de recherche.
Pour nourrir notre réflexion, nous souhaitons partir de l'histoire et de l'oeuvre de Luis Barragan, architecte mexicain, connu pour sa maîtrise de la couleur et ses créations d'espaces émotionnels et immersifs. Il fut transformé après sa mort en diamant noir par l'artiste Jill Magid. Cette matière constituera le fil conducteur de notre recherche, à la fois par ses motifs, son ambiance et la fiction qu'elle nous offre.
Luis Barragan, né au début du 20ème siècle, a grandi dans une famille de riches propriétaires terriens, installée dans la campagne mexicaine.
Ses réalisations marquées par l'utilisation de la couleur, sont empreintes de la mémoire des haciendas mexicaines de son enfance.
Il a entre autre construit le Ranch San Cristobal à Los Clubes, la maison de Frida Kahlo et Diego Rivera ainsi que les Tours de la cité satellite de Mexico.
Il avait l'art du plan libre et de la couleur, son architecture, construite en séquences qu'il qualifiait de « strip-tease architectural » fonctionnent comme un parcours dans lequel les espaces se dévoilent au fur et à mesure, une expérience visuelle et sensorielle inhabituelle qualifiée "d'architecture émotionnelle".
A la mort de son associé, ses précieuses archives furent vendues aux enchères. Le Mexique n'ayant pas les moyens de leur acquisition, elles finirent entre les mains du directeur de la fameuse galerie de Design Vitra qui les offrit à sa femme, historienne d'architecture, en cadeau de fiançailles. Celle-ci les a depuis rendues inaccessibles à tous étudiants, chercheurs, commissaires d’expositions... L'artiste américaine Jill Magid, intéressée par cette histoire, décide de conclure un pacte avec l'historienne destiné à restituer ces archives au Mexique : l'échange de l'ensemble des documents contre un diamant monté sur une bague et créé à partir des cendres de l'architecte. Ce pacte est encore en cours de négociation.
L’intérêt, pour nous, dans cette histoire est l'apparente dualité entre les éléments structurants du récit : l'omnipotence d'un riche couple suisse versus la dépossession de l'état du Mexique des archives de l'un de ses architectes phares ; la transformation du corps de cet architecte de la couleur, de la chaleur, de l'abstraction en diamant noir, objet froid de capitalisation.
La possibilité de partir d'un espace inconnu pour nous, quotidien pour les élèves est stimulante. Il s'agira pour eux d'y insuffler l'imaginaire, pour nous, de travailler à partir de l'expérience première du lieu. Notre travail sera orienté autours de la recherche de fictions là où on ne les attend pas, dans un espace pensé d'abord pour une autre fonction que celle du spectacle vivant. A la manière des parcours sensoriels de Barragan, nous souhaitons penser chacune des séquences comme un univers singulier, une plongée fictionnelle travaillée par la couleur, les objets, les volumes, le son et bien sûr les textes qui l'habiteront. La dramaturgie de l'ensemble devra penser les liens qui animent la relation de l'espace au temps et à la matière. Cette recherche fictionnelle se fera à partir de l'histoire de Luis Barragan (de l'enfant des haciendas, à l'architecte, à la postérité matérialisée dans un diamant) en s'interrogeant sur la notion du passage, de l'empreinte, de la trace.
Au travers de ces recherches textuelles et spatiales et en s'appuyant sur le travail et l'histoire de l'architecte Luis Barragan, nous souhaitons établir un espace sensoriel, performatif et immersif à partir d'un lieu contraint (ici l'école). Cet espace fonctionnera en séquences aléatoires construites à partir des particularités, des accidents du lieu investi. La projection d’une fiction à l’intérieur du lieu, l’utilisation d’élément de cadrage, de détour, d’amplification seront autant d’outils de déplacement du réel.
La dramaturgie du ou des parcours devra poser la question de l’évolution des personnes à l'intérieur de l'installation, quelle influence aura l'espace, le son, la lumière, les couleurs sur leur perception, leurs déplacements, leurs pauses, leur attention, leur interaction avec les objets.
De même que les réalités d'un lieu coexistent, se succèdent et se remplacent tout en même temps, l'espace inventé devra offrir une fiction non linéaire, hasardeuse dans laquelle chaque spectateur optera pour un parcours singulier. Attiré par une lumière, un son, une couleur, un mot, une phrase, Il sera amené à faire des choix sensoriels qui définiront la tournure de sa dérive.
Enfin, la motivation de ce projet est avant tout d'envisager chaque espace comme une zone de passage que nous investissons à plus ou moins longue échéance, de penser l'espace et le corps comme deux entités à la fois contraires et complémentaires en dialogue permanent. Les deux s'animant, se remplissant l'un et l'autre dans une relation complexe à reconstruire en permanence. L'absurde, Le poétique, l'imaginaire sont autant d'outils de réappropriation, de déconstruction des attentes, des clichés...
Yvelines
Par le(s) artiste(s)