À travers le projet "Topographie d'une rencontre", je souhaite développer mon travail autour des liens entre le fonctionnement de la mémoire humaine et les espaces de rencontre entre l'eau et la terre. Que l'on parle de littoral, de lacs de montagnes, de ruisseaux ou de fleuves, la rencontre entre l'eau et la terre, entre l'émergé et l'immergé a toujours été source d'imagination pour l'Homme. Dans le fonctionnement géomorphologique de ces espaces, nous retrouvons des similitudes dans la façon dont les souvenirs se forment et évoluent dans notre cerveau. En invitant les élèves à réaliser une topographie commune, basée sur une multitude d'individualités, je souhaite mettre en parallèle le fonctionnement de la mémoire intime et celui d'une mémoire sociale.
"Topographie d'une rencontre" se trouve dans la lignée des recherches que j'ai développées jusqu'à aujourd'hui. Les liens entre mémoire et paysage se précisent autour du rapport entre l'immergé et l'émergé, et la confrontation entre ces deux éléments naturels que sont l'eau et la terre. Habitant et travaillant à Paris, mes recherches sur le territoire naturel se font de manière sporadique et je ressens aujourd'hui le besoin de m'implanter de manière plus conséquente dans un espace qui me permettra d'allier recherches sur le terrain et travail d'atelier. La résidence Création en cours réunit toutes les conditions nécessaires à cela, c'est pourquoi je soumets aujourd'hui ma candidature pour cette deuxième édition. À travers le projet "Topographie d'une rencontre" je souhaite affiner mes recherches sur le territoire de l'île, son implantation dans la mer/l'océan et l'évolution de son trait de côte. Enfant, je croyais que les îles étaient de gros morceaux de terre flottant à la surface de l'eau, je n'avais aucune idée de leur implantation sous-marine. En partant de cette croyance, je forme des îles imaginaires à partir de souvenirs personnels en essayant de retrouver leur prolongement au-dessous du niveau zéro de la mer. Ces îles sont souvent associées à des textes autobiographiques ou fictionnels qui exploitent les champs lexicaux de la géographie et de la géologie afin de mettre en avant le rapport entre souvenir humain et souvenir du paysage. Ce qui m'intéresse particulièrement c'est la lecture que l'on peut avoir de la mémoire d'un paysage en explorant ses lieux : en creusant dans la terre pour obtenir des datations, en observant le sable pour comprendre de quelles roches il est issu, en sondant le lit d'une rivière pour retrouver les traces de sa formation... Le paysage est mémoire. Il contient en lui tous les éléments qui l'ont construit et les étapes par lesquelles il est passé pour se transformer. Il en est de même pour l'humain. Lorsqu'un souvenir naît, il trace un chemin entre les différentes régions de notre cerveau. Ce chemin est appelé un motif neuronal. Lorsque ce même souvenir est rappelé à notre mémoire, le chemin se retrace tout en se modifiant du fait de la nouvelle situation que nous sommes en train de vivre. C'est ainsi qu'advient la modification de nos souvenirs, souvent à notre insu. Les termes utilisés en neuroscience se retrouvent souvent en géologie et inversement: chemin, plasticité, porosité... Jusqu'ici donc, mon travail plastique s'appuyait sur des formes imaginaires et un important rapport à l'autobiographie. Au sein de la résidence Création en cours, je souhaite développer des formes en lien avec un territoire précis et inviter les élèves à participer à la création d'une topographie collective. Chaque individu du groupe serait créateur de sa propre île, le tout formant un archipel lié par les eaux. Ces îles seront réalisées en paraffine colorée et issues d'une création textuelle réalisée en amont du travail d'atelier. Le choix de la paraffine est lié aux questionnement autour de la mémoire. Selon Platon, l'âme est un morceau de cire dans lequel le vécu vient s'imprimer et se modifier sans arrêt. Mémoire changeante, trompeuse, bâtisseuse... la paraffine (dérivé de la cire) possède des propriétés particulièrement intéressantes pour un travail sur la mémoire. Elle change d'état selon la température, on peut modifier sa forme à l'infini, la teinter, la purifier. De plus, ses états solide et liquide ne sont pas sans rappeler l'une des pistes de travail du projet "Topographie d'une rencontre": la rencontre entre la terre et la mer. Quoi de mieux qu'un matériau changeant d'états pour représenter la rencontre entre le solide et le liquide? À l'issue de ce travail individuel de moulages en paraffine, il s'agira de trouver un moyen pour réunir les îles de chacun, à l'image de la mer réunissant un archipel. La question de l'île, de l'isolement et du lien qu'elle entretient avec les autres territoires émergés me paraît fondamentale. Sur une île, le rapport entre la terre et la mer est très ambigu : l'eau est ce qui sépare l'île du reste du monde mais elle est également ce qui définit son territoire, elle en dessine ses contours. C'est donc une partie importante de son identité. Du fait des mes origines corses, j'ai depuis toujours échangé avec des habitants de l'île. N'étant pas née là-bas, je garde une certaine distance par rapport aux problématiques insulaires. Cette distance me permet de me placer dans une position d'observatrice tout en n'étant pas une étrangère, ce qui facilite la discussion ainsi que ma compréhension des pratiques et revendications des habitants de l'île. Mon premier choix d'implantation pour la résidence Création en cours restant la Corse, je serai en mesure de déplacer ces enjeux sur un autre territoire insulaire. Ainsi, je pourrais inviter les élèves à entrer avec moi non plus dans l'observation de leur propre environnement mais dans la découverte d'une île, de son fonctionnement, de l'imaginaire qu'elle développe chez chacun. Dans chaque cas - élèves insulaires ou non - un point de vue pourra être adopté, donnant une orientation particulière au projet. C'est pour cette raison que je crois fondamental d'organiser au moins une visite sur site avec les élèves. L'observation est le point de départ de tout acte créateur et chez l'enfant, il faut valoriser cette étape afin de développer et d'affirmer sa curiosité et son ouverture au monde. Le titre "Topographie d'une rencontre" peut se lire à plusieurs niveaux. La rencontre entre la terre et l'eau qui s'effectue tout le long de cette ligne de côte, l'impossibilité apparente d'une rencontre entre les différentes îles d'un même archipel, la rencontre entre les participants d'un même projet, entre l'artiste et les élèves, entre le groupe et son public. Je souhaite que la variété des enjeux que je place dans ce projet se retrouve tout au long de la résidence et permette à chacun d'en sortir grandis. La résidence Création en cours me permettrait d'allier deux parties importantes de mon travail artistique : ma démarche et production personnelle et mon engagement dans la pédagogie artistique pour les plus jeunes.
Côtes-d'Armor
Par le(s) artiste(s)