Porte d’entrée vers une transposition du réel, les jeux de société nous permettent d’apprendre et de transgresser les règles du jeu social. Donnés à voir, les rouages sociaux sont alors manipulables. Rejouer, Déjouer est un kit, une boite à outils de facilitation permettant la création participative d’un jeu. Il est constitué de trois variables paramétrables : l’univers proposé par le jeu, son mécanisme de fonctionnement et son support physique. Les cartes blanches ne demandant qu’à se parer de couleurs et de signes pour prendre vie à chaque partie. Entre le jeu à rôle et les cartes à jouer, c’est un caméléon reflétant l’intelligence collective du groupe acteur de sa création, rejouant la fable sociale pour déjouer de ses injonctions.
Rejouer, Déjouer est un kit d’outils de facilitation permettant à un collectif d’être guidé dans la conception et la création d’un jeu sur mesure. Il est issu d’une recherche sur le rôle social des jeux de société et des jeux de cartes, et d’un travail de conception d’outils physiques et graphiques formant un protocole de création participative. Sa finalité est de produire à chacune de ses utilisations un jeu unique, fruit de l’intelligence collective du groupe de concepteurs. Le jeu produit sera une porte d’entrée vers un univers de fiction, dont les joueurs-concepteurs auront fixé au préalable les limites, et dans lequel ils pourront transcender les mécanismes de fonctionnement sociétaux qu’ils retrouveront dans leur quotidien, pour mieux les comprendre.
Le groupe d’enfants participant au projet contribuera par son implication et ses retours à la conception du kit, et sera le premier à l’expérimenter. Le fruit de leur collaboration sera un jeu qu’ils auront conçu collectivement de bout en bout.
Traversant les époques et les cultures, les cartes à jouer sont un vecteur d’apprentissage des codes sociaux à travers les symboles qui les composent et les mécanismes de jeu variés qu’elles proposent. Les supports de jeu reflètent l’évolution du contexte social dont ils sont issus. Étudiées par le conservateur de la BNF Jean-Pierre Seguin, on découvre comment les figures et les enseignes, qui composent les jeux de cartes classiques, ont évolué avec le temps en fonction des influences techniques, sociales et politiques diverses. En exemple, on peut citer les têtes (roi, dame, cavalier ou valet) qui ont été remplacées par les génies, libertés et égalités après la révolution française. Les analyses des jeux de cartes tentent aussi de définir les origines des différentes enseignes (pique cœur carreau et trèfle en France).
Répartition des différents types de pouvoirs ? Catégories sociales ? Peu importe l’interprétation, une certitude demeure, les cartes et leurs symboles renferment un message. Pour JP Seguin, ce que Maurice Magre écrivait à propos du tarot s’applique à toutes les cartes : « Pour que la science flotte comme une bouée à travers les siècles, les premiers sages […] peignirent des images coloriées en rapport avec les lois des nombres et celles des couleurs, des images représentatives de symboles, et les lancèrent par le monde, certains que ce qui est attaché au plaisir ne saurait périr ».
De même, certaines règles de jeu associées à certains symboles ont pu être considérées comme militantes. La belote est un jeu révolutionnaire dans le sens où au sein la réalité parallèle créée par le jeu, le valet est considéré comme la carte la plus forte à la place habituelle du roi.
Ce principe d’univers parallèle transposant la réalité est valable dans tous les types de jeux de société, mais tout particulièrement pour les jeux à rôle. Illustration la plus connue, le jeu du Loup-Garou propose une fiction où deux catégories de joueurs s’affronte pour le contrôle du village. L’univers reprend des principes sociaux comme le vote, la négociation, le débat, et créé une amplification de la réalité où les possibilités sont extrémisées et conditionnent les interactions sociales dans le contexte du jeu.
Ces différentes analyses m’ont donné envie de prendre comme substrat de création à la fois les jeux de société et les cartes en tant que supports graphiques. Leur histoire et les liens qu’elles dessinent entre les domaines de la création artistique et ceux de la vie sociale sont particulièrement intéressant dans le cadre d’une démarche de conception et de création militante. De plus, le côté ludique du jeu est mis en abîme dans la volonté de conception et de réalisation participative. Comment donner envie de jouer à un jeu mieux qu’en jouant à l’imaginer puis à le fabriquer ?
Partant de ce principe, Rejouer, Déjouer propose d’utiliser le pouvoir des jeux de cartes en s’emparant collectivement de leur création, et de co-concevoir une réalité parallèle.
Ma démarche créative liée au design de service mobilisera des savoir-faire pluridisciplinaires. Ainsi, le projet piochera dans plusieurs domaines : écriture, expression scénique, création d’image. Le but étant d’organiser un aller-retour entre la conception du kit de facilitation et la créativité collective issu d’interactions entre les participants (enfants, membres du corps enseignant, etc).
Les enfants seront donc confrontés à une multiplicité de pratiques artistiques et de médiums : dessin, illustration, linogravure, impression, photographie, peinture de fresque… Ils percevront également l’influence de leur participation sur le résultat final du jeu comme sur le résultat final du kit. Composante essentielle dans ma démarche, la pluridisciplinarité du processus mobilisera les différents acteurs sur une multitude de terrains. Je me positionnerai alors non pas comme experte mais comme facilitatrice, mettant à leur disposition des médiums créatifs à expérimenter. Cette méthodologie me permettra de penser avec l’utilisateur pour ne pas penser à sa place. Les enfants seront donc complètement acteurs de la conception comme de la réalisation du jeu, mais également les principaux concernés par les outils de facilitation que je souhaite mettre en place. A ce titre, leur implication, leurs commentaires et retours seront la matière principale qui nourrira ma démarche de conception.
Ensuite, mon travail de création des outils de facilitation commencera par de la recherche-action lors d’événements organisés par La Brouette, café culturel associatif d’expérimentations, basé à Saint-Étienne.
Dans une seconde partie du projet, je serais en mesure de mettre en pratique avec les enfants les différents outils de facilitation pré-conçus. Pour co-créer et co-concevoir le jeu de cartes, il s’agira de créer un univers de fiction structuré, défini logiquement, spatialement et graphiquement. Il sera la base d’un travail d’écriture de différents scénario, mettant en jeu des personnages et des éléments physiques. Par une phase de superposition de création graphique, de dessin et d’illustration, des cartes seront dessinées puis imprimées par les enfants, grâce à des techniques comme la linogravure, le tampon ou le pochoir. Je travaillerais en parallèle sur les outils de facilitation grâce à mon retour d’expérience, et sur la création des règles du jeu via l’univers qu’ils auront conçu. Une documentation photographique fera lien entre l’école participant au projet et le contexte de recherche-action que sera le café associatif La Brouette. Enfin, un temps de restitution sera l’occasion de jouer avec tous les participants, de présenter à travers un fanzine toutes les étapes du processus de co-conception du jeu, et pour moi d’exposer Rejouer, Déjouer, le kit issu de cette expérience.
Par le(s) artiste(s)