Mon projet consiste à l’écriture d’un spectacle musical d’une durée d’une heure environ, composé de trois pièces. Dans chacune intervient un percussionniste-comédien et un objet mécanique sonore électroacoustique : une fontaine à eau, une machine à bonshommes collants et un objet inspiré du culbuto. Ces objets sont des transducteurs de la force de gravité. Grâce à un mécanisme propre à chacun, ils créent des rythmes à partir de différents détournements de la chute. L’écriture de chaque pièce comprend la construction d’un objet-instrument, le développement d’un dispositif électroacoustique pour chaque objet, un temps de recherche musicale et théâtrale et la finalisation des pièces. Le composant visuel-scénique et l’articulation entre construction d’objet et écriture musicale permettront d’aborder avec les élèves différents notions de la création musicale (rythme, notation, électroacoustique) de façon ludique.
Le spectacle
L’inévitable est un spectacle où je cherche à créer les conditions pour induire une musicalité spontanée de la nature. Sur scène, un dialogue musicale et scénique s’établie entre un percussionniste-comédien et des machines sonores mécaniques autonomes. Des objets et des matières semblent prendre vie et deviennent magiquement animées par une force qui n’est autre que la gravité. La chute, destinée fatale de tout objet suspendu, articule le temps et crée une dramaturgie par l’attente dilatée de l’inévitable. Le percussionniste attend, répond et accompagne. Le mouvement autonome des machines fournie l’énergie à la musique. La force musicale et scénique des objets mécaniques autonomes naît de la rencontre entre l’inévitable et l’imprévisible : la certitude d’une chute prochaine est troublée par l’incertitude du moment où elle va se produire. Ce comportement rythmique relativement aléatoire, qui réunit une évolution régulière et des variations irrégulières, est le principal défi de la construction des objets, à mi-chemin entre le design et la lutherie.
Ce spectacle est composé de trois pièces qui se trouvent actuellement à différentes états d’avancement : la première pièce, avec fontaine électroacoustique est finie. Pour la deuxième pièce, où intervient une machine à bonshommes, l’objet est fini et le dispositif électroacoustique est très avancé, quasiment prêt pour commencer les essaies avec le percussionniste. Pour la troisième pièce tout reste à faire : concevoir et construire l’objet et son dispositif électroacoustique, travailler avec le percussionniste et écrire la partition. Le projet compte avec le soutien de La Muse en Circuit, Centre National de Création Musicale, pour le développement du dispositif électroacoustique pendant trois semaines de résidence entre Janvier et Juin 2019.
Les objets mécaniques électroacoustiques
La fontaine électroacoustique comporte deux mécanismes : l’un produit un écoulement continu de gouttes sur une lame d’aluminium, l’autre libère l’eau accumulée sur la lame en chutes relativement régulières, au début toutes les 3 secondes, puis de plus en plus espacées et irrégulières, au fur et à mesure que l’eau s’épuise.
La machine à bonshommes est une structure composée d’un écran de papier calque tendu, et d’un dispositif mécanique qui déclenche dix-neuf bonhommes collants qui basculent et descendent peu à peu, collés au papier calque par leurs mains et pieds en alternance.
L’objet inspiré du culbuto se trouve en étape de conception et construction. L’objectif est de trouver une forme qui produise un mouvement de balancement irrégulier par le fait d’excentrer le centre de gravité de l’objet. Dans ce cas particulier l’objet est posé par terre. La chute n’est pas inévitable, mais au contraire impossible. La gravité impose la position debout.
Dimension sonore
Le dispositif électroacoustique donne une voix aux objets mécaniques. Initialement subtile, cette voix évolue et transforme notre perception des objets. L’univers sonore de la fontaine à eau est principalement réaliste et naturaliste. Certains sons de chutes d’eau sont pris en direct. D’autres ont été préenregistrés et travaillés en studio, avec peu de traitements pour préserver leur nature aquatique. La palette est complété par des sons d’instruments de percussion qui se confondent avec les sons d’eau.
Au contraire, dans la deuxième pièce l’univers sonore de la machine à bonshommes sera synthétique, en faisant écho à la matière synthétique, les couleurs flashy et le caractère industriel des bonshommes. Les chutes successives d’un bonhomme qui tombe peuvent au début jouer les notes d’une mélodie. Progressivement ces sons, musicaux et abstraits, pourront se transformer en onomatopées plaintives d’un homme qui tombe. La scène, initialement ludique et amusante, deviendrait alors tragique. La dimension sonore crée l’étrangeté de « la chute », ce phénomène pourtant simple et connu, et rend possible un théâtre mental où l’écoute voyage entre le concret de l’action et l’abstrait de la musique.
La troisième pièce est différente des deux autres du point de la morphologie du mouvement. Même avant le début de sa construction, l’on peut associer le mouvement de l’objet inspiré du culbuto à des sons continus, comme des notes tenues et de glissades de différentes longueurs et vitesses, au lieu des sons courts et discrets des autres deux machines. La morphologie qui semble correspondre mieux à ce type de mouvements serait le frottement, au lieu de l’impact percussif, morphologie associée aux deux autres objets.
Le percussionniste-comédien sera soumis à la temporalité des machines mécaniques, temporalité qui varie pour chaque pièce. Sa partition musicale s’adaptera aux durées changeantes des rythmes produits par les objets. Son instrumentarium pourra inclure des objets (boîtes de conserve, pot de confiture, dés à coudre) que, par sa manipulation, vont devenir des instruments. Encore une fois, les limites entre l’objet brut et l’instrument se brouillent.
Dimension visuelle
L’univers scénique de ce spectacle s’inspire du théâtre d’objet. Les objets et matières, à l’état pratiquement brut, semblent prendre vie par leurs mouvements autonomes. Leur voix électroacoustique est une prolongation organique de leurs propriétés plastiques et visuelles. La manipulation manuelle de la part du percussionniste-comédien se limite au démarrage de la chute. La relation entre l’instrumentiste et les objets nous rapproche de la musique de chambre, où le jeu d’ensemble se fait par le regard et par la respiration. La mise en scène sera sobre et cherchera à mettre en valeur les mouvements de l’objet qui feront vibrer l’espace. L’éclairage va amplifier le mouvement par des mécanismes d’ombres agrandies, d’ombres portées, et des jeux de lumières réfractées.
Recherche et création
Dans ce projet la recherche et la création sont profondément imbriquées. Pendant la phase de construction, il s’agit de trouver un système mécanique très spécifique qui fournisse un rythme suffisamment stable pour concevoir une partition musicale et contrôler globalement la durée de chaque pièce, et en même temps assez instable pour garantir la dimension imprévisible. La dernière étape de construction consiste à développer l’aspect visuel de chaque objet pour avoir un rendu visuel des rythmes qu’il produit, à une échelle qui convienne aux dimensions de la salle de concert, et visuellement assez riche et intéressant.
Le choix des sons qui vont être associés aux mouvements des objets constitue un autre chapitre de la recherche. Il s’agira d’analyser quelle morphologie et quelle qualité de son s’associe mieux à la dimension visuelle de l’objet pour que du point de vue psycho-acoustique une relation causale puisse être établie entre le son et le mouvement de l’objet.
La conception du dispositif électroacoustique de chaque objet et l’écriture de chaque partition demande le développement d’un système de notation spécifique, qui soit en même temps cohérent avec l’écriture musicale traditionnelle et qui s’adapte aux conditions temporelles particulières de chaque objet.
Grâce aux composants visuels et à l’utilisation de matières et objets familiers aux enfants et au public, ce spectacle cherche à sensibiliser des publics autres que les habitués de musique classique et classique contemporaine.
Les collaborateurs
Guy-Loup Boisneau, percussionniste et comédien.
Léo Lescop, designer et plasticien. Nous avons construit en 2012 la Fontaine électroacoustique ensemble.
Oria Puppo, scénographe. Nous allons construire l’objet inspiré du culbuto.
Par le(s) artiste(s)