Est-il possible de représenter les odeurs ? L’homme entretient une relation particulière au « 5ème » sens. L’odorat possède cette qualité particulière d’immersion ; il fait appel à la mémoire et à un réflexe de réminiscence intime. La source d’une odeur s’établit comme un référentiel unique auquel nous devons nous rapporter, le langage faisant défaut lorsque nous cherchons à le transcender. Un champ lexical dédié à la retranscription des odeurs n’existe pas réellement et pour traduire sa sensation l’Homme doit se référer à des analogies, des métaphores ou emprunter le vocabulaire perceptif des autres sens. Ce manque participe au problème d’appréhension des odeurs ; notre éducation est déficiente, nos mots manquants. Nous ne sommes pas à l’aise avec ce sens. Le décryptage scientifique des sens et le métier de parfumeur sont la traduction d’une quête de compréhension et d’organisation de cette immatérialité ; une tentative d’objectivité dans cette subjectivité. Nous avons construit l’année dernière une démarche artistique fonctionnant dans cette idée de va-et-vient entre ces deux notions intrinsèques. Nous avons utilisé nos outils de designer afin de tenter de représenter l’odeur, en s’attachant à différentes caractéristiques. Nous nous sommes attachés à créer un vocabulaire qui passerait par la vue, gardant en son sein une part de subjectivité et d’interprétation, mais reposant sur un socle objectif, scientifique. Notre projet de résidence Création en Cours, nous l’imaginons comme le prolongement de cette recherche; ancré dans un contexte concret et mettant l’accent sur l’aspect pédagogique de notre démarche. Nous avons pu constater que l’odorat, abordé dans un certain contexte, est une grande source d’inspiration; face à laquelle nous sommes tous égaux. Explorer ce thème avec de jeunes élèves est tant l’occasion pour eux d’appréhender différemment le champ olfactif, qu’un excellent prétexte à la création artistique.
L’intention de notre démarche est de prendre conscience de la complexité et de l’intérêt des ressentis olfactifs, d’apprendre à mieux les comprendre et de les utiliser comme inspiration créative.
L’an passé, cette recherche s’est traduite par la construction d’un système graphique s’appuyant sur de solides bases scientifiques et permettant de visualiser un corpus d’odeurs représentatives. Nous avons développé une démarche détachée des sources odorantes, combinant à la fois données scientifiques et perceptions subjectives.
Nous avons réalisé différentes expérimentations visuelles, à travers la photographie, la gravure et les mots notamment ; afin de mieux comprendre 6 odeurs données. Par la suite, l’intérêt fut d’aborder une approche moins spécifique, plus «universaliste». Pour cela, nous avons travaillé avec le Champ des Odeurs, inventé par le scientifique français Jean-Noël Jaubert; et nous avons développé une série de posters sérigraphiques et pédagogiques permettant l’identification des 45 molécules odorantes. Enfin, nous avons inversé cette démarche de travail et grâce à une collaboration avec l’International Flavors and Fragrances, nous avons développé un parfum qui est l’interprétation olfactive d’une image. Vous trouverez ci-joint, dans la catégorie « Visuel, Maquette, Esquisse », quelques images issues de notre diplôme, qui rendent compte formellement de notre production.
Nous aimerions saisir l’opportunité de cette résidence afin d’approfondir deux questionnements majeurs. Premièrement, et comme exposée précédemment, notre démarche s’inscrit fortement dans une volonté pédagogique. Nous avons interrogé plus de 200 personnes de tout âge pour constituer notre base de données initiale. Nous avons nous-mêmes suivis une formation olfactive, nous confrontant à l’apprentissage difficile de la mémorisation des odeurs ; et nous avons tenté de mettre en place cette série de posters, visualisations simplifiées d’un travail scientifique. Ainsi, le cadre de cette résidence nous permettra de nous confronter au regard intuitif d’enfants sur cette question de la perception des odeurs, les inviter à produire des formes en lien avec ces sensations, dénuées des visions préconçues des adultes et de nous même. En imaginant une série d’étapes, nous aimerions inviter les jeunes élèves à écrire, à collecter, à dessiner, à photographier, à peindre en réponse à des stimulus olfactifs.
Le second objectif, en cohésion avec l’initiative Création en Cours qui souhaite privilégier les écoles les plus éloignées de l’offre culturelle, est de s’interroger sur le rôle du contexte spatial dans la perception olfactive. En changeant l’espace dans lequel s’ancre notre étude, nous souhaitons nous immerger dans un univers olfactif différent et nous confronter à des personnes possédant une autre culture, un autre vécu aux odeurs. L’intérêt est double, cette situation offre aussi aux enfants la possibilité de découvrir des odeurs ne faisant pas partie de leur quotidien. De ce fait, nous aimerions réaliser cette résidence dans l’un des départements d’outre-mer français, nous offrant la possibilité d’inscrire notre démarche dans un contexte inédit.
Au cours de cette résidence, nous imaginons nous rendre durant 5 semaines environ dans l’un des établissements d’outre-mer partenaires de l’initiative Création en Cours et travailler avec les enfants dans l’esprit d’un workshop. Nous aurons établi un cadre préalable, nous permettant de produire avec les élèves en suivant une ligne directrice commune. Ces expérimentations se baseront sur une sélection d’odeurs (naturelles ou de synthèse) que nous aurons réfléchi et que nos partenaires nous fourniront. Ce choix aura pour but de leur présenter un panel le plus varié possible, comportant des odeurs auxquelles ils sont familiers et d’autres inconnues. Ces dernières feront partie de familles olfactives différentes, aux qualités très variables (Hespéridées, Terpéniques, Douces, Fruitées, Souffrées...etc).
Dans l’éventualité de la réalisation de cette résidence, et dès lors que nous connaissons l’établissement scolaire qui nous accueillera, nous entrerons en contact avec des partenaires locaux afin d’enrichir le projet que nous proposons aux enfants. Des lieux culturels peuvent permettre de donner une dimension nouvelle à la pédagogie du workshop. Par exemple, un partenariat avec un jardin botanique local (le jardin botanique de Deshaies en Guadeloupe ou celui de Balata en Martinique) peut être à l’origine - pour nous comme pour le groupe d’élèves - d’une redécouverte des parfums floraux.
Nous aimerions installer un cadre à cette résidence nous permettant de créer conjointement : inciter les enfants à l’écriture et à la production d’images, utiliser cette occasion unique pour produire des images nous-mêmes et enfin inclure les élèves dans ce processus de création. Par exemple, en préparant une scène photographique (lumière, appareil, fond...etc) nous pouvons inviter les élèves à réaliser leur propre nature-morte olfactive dans ce cadre. De la même manière, en apportant une banque d’images préalablement constituée par nos soins, nous pouvons amener les enfants à réaliser des collages traduisant leur ressenti olfactif dans un style graphique défini.
L’aboutissement de notre résidence serait tout d’abord la production par les enfants de créations artistiques en réaction à des odeurs. Par l’impression et la reproduction, nous souhaitons que chaque enfant conserve les travaux qu’il aura réalisés; nous scannerons afin de documenter les dessins et autres images, nous imprimerons pour eux les créations photographiques et numériques. Ensuite, comme énoncé, nous poursuivrons notre propre travail de cherche artistique, en plus de celui accompagné des enfants. Par exemple, l’écriture, la documentation sur l’île, la rencontre d’acteurs du monde olfactif local, la production de photographies, de dessins et d’images numériques représentent la direction que nous souhaitons prendre afin de rendre compte de l’expérience olfactive de notre résidence. Nous documenterons, par la prise de note et la photographie, le déroulement du projet et enfin nous souhaiterions, en collaboration avec les structures locales partenaires ou intéressées (musées, galeries, institutions publiques...) proposer une exposition afin de montrer l’ensemble des productions. Il s’agira de faire dialoguer des dispositifs permettant de faire sentir les odeurs d’inspirations, avec la lecture et la découverte des productions qui en découlent.
Guadeloupe
Par le(s) artiste(s)