"Le motif dans le territoire" est un projet de recherche et de création dont l'objectif principal est de réancrer des gestes artisanaux traditionnels (particulièrement en lien avec l'univers du textile), avec leur environnement de production.
"Welcome Back"
Ce n'est pas la première fois que je mène cette recherche, puisqu'il s'agit de l'un des trois projets principaux de mon travail d'artiste. Les deux autres étants : Jacques Anquetil et les métiers à tisser collectifs. Néanmoins, jusqu'ici, j'avais une approche assez simple qui passait par l'observation, la découverte, le dialogue avec les habitants (notamment lors d'ateliers de tissage) qui me permettait à la fois d'interroger la représentation "officielle" et historique du territoire et aussi, de découvrir ses réalités environnementales (faune, flore, urbanisme, activités agricoles, industrielles...). Il s'agissait de tisser des liens entre ce que je pouvais percevoir, ce que les habitants m'en disaient et ce que la région, le département ou la ville me racontaient. Il ne s'agissait pas pour autant d'opter pour une position froide et distante, puisque le regard est toujours guidé, influencé. Les pièces finissaient systématiquement par proposer une histoire, un point de vue, parmi beaucoup d'autres possibles.
La différence fondamentale entre ces précédents projets et "Le motif dans le territoire" est que je fus sélectionnée pour venir travailler dans l'Orne. Et l'Orne, c'est la "terre" d'origine de ma famille. Deux questions se sont alors rapidement posées : comment pourrai-je me détacher de tous les souvenirs qui surgissent dès lors que je pense à l'Orne ? Et comment réussirai-je à adopter un regard neuf, sans me laisser trop influencer par ce que je sais, ou plutôt, par ce que je crois savoir ?
Aussi, l'un des enjeux principaux était de réussir à faire comprendre aux enfants avec lesquels j'allais travailler, la raison pour laquelle je me trouvais dans leur école à Chailloué. Le lien entre fibre, terre et motif n'est pas toujours évident à expliquer pour moi. Ma propre expérience vis à vis des textiles m'a démontré que j'ai finalement compris toute la symbolique et la poésie des métaphores textiles le jour où j'avais enfin mis les mains dans la fibre, et appris à tisser. Mes premières séances seraient donc assez simples : transmettre le geste technique du tissage.
Transmettre est peut être l'un des termes les plus importants de cette recherche. Travailler dans l'Orne, à partir de mes propres souvenirs, et de ce que je peux observer aujourd'hui, passe indéniablement par la notion de transmission. Que m'a-t-on transmis ? Que nous a-t-on transmis ? Les pratiques artisanales, particulièrement textiles, ne survivent que parce qu'elles se transmettent. Que ce soit dans le cadre d'une maison, d'une usine ou d'un atelier protégé par l'UNESCO, les savoir-faire ne doivent leur existence actuelle que par leur capacité à être transmis. L'univers textile a cette facette poétique d'être à la fois très concret et très abstrait. Les tissus portent en eux la trace des gestes, mais leur fabrication en repose que sur le savoir immatériel et invisibles de la main.
Travailler sur la transmission, la mémoire et la représentation du territoire par les textiles me fit me tourner vers les tissus que j'avais récupérés chez mes grands-parents. Bien que ma grand-mère ne m'ait jamais appris à broder, coudre, tricoter ou crocheter, elle m'avait transmis beaucoup d'autres choses. Elle m'avait beaucoup parlé de l'Orne, et c'est par mes souvenirs que je souhaitais débuter. Des souvenirs précieux, sans doute embellis, que je m'apprêtais à confronter avec le présent, avec la réalité que je pourrai percevoir.
Tout en transmettant aux enfants de CM1 - CM2 de Chailloué mon "savoir" de tisserande, je commençais à faire l'état des lieux de mon "savoir" du territoire, sur un drap brodé il y a longtemps, par ma grand-mère.