Bataille d'aranceri

Repérages - Ivrea

Publié par Rémi Brachet

Journal du projet
Arts de rue Arts plastiques Pyrotechnie (qualification C4T1)

Fin février, je pars avec Eva, chef opératrice, repérer plusieurs carnavals. Une semaine de route prévue, et un petit tour d'Europe : Ivrea, Vidracco, Sarreguemines, Châlon-sur-Saône et Bâle. En fait, nous resterons trois jours à Ivrea, carnaval exceptionnel, exemplaire, politique et joyeux, qu'on dirait conçu pour le cinoche. Nous passerons ensuite à la condamnation du prince à Sarreguemines, et abrégerons là les repérages, contents de la trouvaille italienne, par lâcheté aussi : les carnavals sous la pluie, c'est froid et mouillé, et pas que pour la caméra 16mm. Les rushes en 16mm, je les développerai et les montrerai aux enfants. En attendant de les employer dans la fiction que nous tournerons l'année prochaine. NB : les photos de cet article sont des captures d'écran des rushes 16mm.

Ivrea

Fin février approche, alors que j'ai à peine rencontré les enfants. J'aurais aimé avoir un peu de temps pour préparer avec eux mes repérages de carnaval, mais tant pis, mardi gras c'est mardi gras. Et mardi gras, c'est mardi gras partout en Europe : une masse concomitante de parades de fifres, de cavalcades, de bûchers, de kappensitzung, de cortèges aux flambeaux, de bals et de feux d'artifices... Bidouillant sans cesse mon planning de repérages de carnaval à la fin février, rêvant du don d'ubiquité, je trace un parcours européen de repérages. Et découvre, presque par hasard, en farfouillant sur Internet, le carnaval d'Ivrée (Ivrea en italien). Et deux jours avant de m'y rendre, je décide avec Eva, chef opératrice d'y rester un peu plus de temps - il faut dire que la com du carnaval, prévenue tardivement (c'est peu dire) se montre très accueillante.

Bataille d'oranges & Mugnaia

A Ivrea, pendant trois jours, des équipes de lanceurs d'oranges à pied (les aranceri a piedi) affrontent des chars. Il y a un pseudo concours, où sont récompensées les équipes les plus combatives, les mieux déguisées, etc. Mais le principe, c'est une lutte joyeuse et impitoyable, un rejeu d'une révolte populaire où les quartiers, par centaines de participants, se vengent d'équipages seigneuriaux, armurés et casqués. Dès qu'on quitte les masques, on s'applaudit, on chante, on se congratule. Et on communie avec les spectateurs, protégés de la bataille (à peu d'oranges près) par leur bonnets phrygiens rouges, symboles de la révolte et donc gages de neutralité. Soudain, on s'interrompt, on retient les chevaux. On déblaie les oranges pour laisser passer le cortège historique, acclamé. Il y a le Général (très napoléonien, avec tricorne et cocarde), le char des notables bouffis, des enfants à poney représentant les quartiers, et surtout la Mugnaia. "Viva la Mugnaia". Elle est l'héroïne absolue, légendaire, celle qui a refusé le fait du prince et l'a transpercé de son épée. C'est ainsi qu'elle se tient debout sur son char, à la fin du carnaval, face à la foule amassée, alors qu'on fait brûler le mât de la place de l'hôtel de ville. Et elle doit brandir son épée, sans faiblir, sans faillir, tant que le mât n'est pas entièrement consumé. (Cette année, la Mugnaia avait des "petits muscles", comme disait notre voisine de bûcher, mécontente de la performance de l'élue. Et elle manquait de "grâce". Malheur à celle qui ternit la belle image de la fête...)    

La Mugnaia
La Mugnaia

Repenser le projet

La région d'Ivrea, c'est aussi celle d'Olivetti, entreprise de machines à écrire, puis d'ordinateurs, qui s'est effondrée à la fin des années 90, avant de renaître, telle un phénix, dans les télécoms (en réalisant notamment une OPA à la hussarde sur Telecom Italia). Un phénix déplumé : le bassin d'emplois industriel ayant été sacrifié dans la manœuvre. Je commence à entrevoir mon histoire, à la conjonction du passé économique de la région et de la symbolique du carnaval (le peuple à pied, sans protection, face aux chars casqués et surprotégés). Dès lors, je réoriente l'atelier avec les enfants - cap sur Ivrea.

La joie et la fête
La joie et la fête