Je vais écrire un court-métrage autour du carnaval, et réaliser un char avec les enfants, travailler et réfléchir avec eux autour de l'esprit du carnaval. Une création éphémère, collective et "gratuite" (ça me travaille cette idée de spectacle gratuit, les feux d'artifices en sont une autre dimension). L'esprit du carnaval, c'est le masque, le déguisement, la possibilité, une journée durant, d'être qui on veut. Une certaine utopie de l'égalité, joyeuse, festive. L'objectif est pluriel : s'appuyer sur les échanges avec les enfants et les repérages dans la région (carnavals rhénans de début d'année) pour enrichir l'écriture du court-métrage ; construire un char avec eux pour une restitution lors de la fête de fin d'année de l'école, qui servira ensuite de décor pour le film ; les faire expérimenter la création d'une œuvre collective (le char).
Enfant, j’allais tous les ans au carnaval de Bagneux, la Fête des Vendanges, en septembre. C’était le meilleur dimanche de l’année. On se rendait chez mes grands-parents, au sixième étage d’une tour bâtie sur les hauteurs de la ville, dominant toute la plaine parisienne. Entre cousins, on se battait pour les fenêtres de la cuisine et de la salle de bains : entassés dans leurs embrasures, juchés sur des tabourets, on regardait le défilé se mettre en place, les chars se regrouper autour d’un rond-point, cul à cul, prêts à descendre l’avenue.
On avalait le dessert, ma grand-mère nous filait des munitions en douce (des confettis et des bombes de fils serpentins) et on descendait rattraper le cortège qui s’ébranlait.
J’étais dominé par les chars, et j’adorais me mettre tout proche, près des sonos déréglées. J’avais des jeux avec mes cousins : au premier qui se glisserait entre les échassiers, dans la fanfare ou la battucada.
On était libres, un peu moins surveillés, on côtoyait tous les âges, tous les sexes. On avait l’impression de n’être plus vraiment de notre âge, de nous fondre dans un collectif qui nous échappait autant qu’il nous appartenait.
C’était bruyant, sensuel, un peu sale, aussi effrayant qu’enthousiasmant.
Tout le monde vient au carnaval. Et beaucoup déguisés. Il n’y a plus vraiment de frontières sociales, juste le rôle que chacun s’est assigné par le masque et le costume. C’est un idéal festif de renversement, de retournement.
Et même si on n’est plus aux Bacchanales ni au carnaval médiéval, beaucoup plus licencieux, il y a toujours ce trouble, cette étrangeté du travestissement.
C’est réjouissant et libérateur.
À Bagneux, le carnaval a été remplacé par un festival d’arts de rue ; ailleurs on les annule. Les gros carnavals sont de plus en plus professionnalisés : on y vient seulement en spectateur, sans forcément se déguiser. Des barrières séparent le cortège de la foule.
« L’esprit » du carnaval, doucement, s’effile.
Avec les enfants, qui ont la chance de vivre dans une région à tradition carnavalesque (les carnavals rhénans), j'aimerais réfléchir à cet esprit de carnaval, et à le "retrouver" le temps de la résidence.
J'ai rencontré mi-décembre l'équipe pédagogique de l'école de Neufchère Marthille en Moselle (le directeur de l'école, la responsable des arts plastiques sur la Moselle). J'ai pu aborder avec eux l'organisation de la résidence.
La construction du char sera le point d'ancrage du travail avec les enfants, mais je pense développer l’atelier plus généralement autour du carnaval, et de ses principes fondamentaux : la transfiguration, le masque, le double, le renversement des identités sociales.
La restitution sera associée à la fête de l'école : on présentera le char, et on organisera le soir un embrasement du Totem (un monsieur Carnaval de bois et de papier mâché, qui prendra la forme que les enfants souhaitent) juché sur le char.
En début d'année suivante (entre janvier et mars 2018), j'espère pouvoir associer les enfants au tournage du court-métrage écrit pendant la résidence, afin qu'ils puissent voir leur char utilisé comme décor et découvrir un tournage.
Dans le travail avec les enfants, il y a une partie conceptuelle, « d’écriture » (qui peut passer par le dessin, le récit oral…) : qu’est-ce que le carnaval ? qu’est-ce qu’un double ? qui je suis/qui j’aimerais être ? quelle figure pour le char, ou quelle forme s’il n’est pas figuratif ? quel sens lui donner ?
Je vais faire intervenir un comédien pour faire expérimenter concrètement aux enfants le masque et le clown (deux jours en février) et un illustrateur pour travailler la figure représentée sur le char telle que les enfants l'imagineront (deux ou trois jours sur fin mars et avril).
Cette réflexion sur "l'esprit du carnaval" sera adossée à la confrontation régulière à des œuvres : des projections de films ou d’extraits de films (par exemple, le défilé ecclésiastique dans Roma de Fellini), des visites (expo liées, atelier de construction de char ou de costumes, etc.).
Et il y a la dimension artisanale : la création du char.
Le char sera composé de deux parties : le support, réutilisable pour le tournage, où on pourrait jucher des carnavaliers, et le "Totem" qui sera embrasé lors de la restitution à l'école. J'associerai à la fabrication un chef décorateur pour préparer la transition avec le tournage (six jours sur mai et juin).
J’ai le véhicule support, une vieille camionnette. À partir de là, tout est à bâtir.
Il faut chercher des matériaux, les assembler, se laisser guider par ce que l’on récupère.
C’est un travail composite, qui permet de découvrir plusieurs techniques de construction (le bois, le plastique, le carton…). On peut aussi y ajouter plusieurs « machines » (lanceurs de confettis…) des effets lumineux, des petits effets pyrotechniques, un système de diffusion sonore…
Ce qui permet aussi d’associer les enfants en fonction de leurs goûts et capacités et d’être décisionnaires sur la nature de leur char.
Il y a un vrai travail à élaborer autour de la récupération : à la fois récupérer chez soi ou dans son entourage, mais aussi s’adresser à des déchetteries, à des sociétés de constructions de char, à la Fémis et à l'Opéra de Paris (récupérer ce qui part à la benne)…
Pour ma part, j'écrirai un court-métrage autour d'un carnaval "rhénan". Je ferai des repérages d'écriture pour nourrir le récit : j'irai assister à des carnavals, rencontrer des sociétés carnavalesques (Sarreguemines, Sarre-Union, Saverne, Sarrebrück...), des associations qui fabriquent des chars...
Je partagerai ce travail avec les enfants, les informerai aussi de l'avancement de mon écriture.
Qu'ils découvrent également comment on invente, puis fabrique, un film.
Moselle
Par le(s) artiste(s)