Processus de métissage

Processus de métissage

Publié par Adil Laboudi

Journal du projet

Mardi 23 mai : arrivée dans la cour de récréation de l’école. Un petit garçon que je ne connais pas court vers moi : « toutes les filles me poursuivent, mais moi, je suis en pleine croissance alors aucune ne peut me rattraper », me confie-t-il à bout de souffle avant de s’enfuir, traqué en effet par une foule de filles qui crient. Ok… Ma présence dans l’école est devenue banale.

Détournement d’objets

Les élèves ont apporté des objets symbolisant leur environnement et leurs histoires personnelles. Boules des pétanques, branches d’oliviers, une flopée de drapeaux français, robe kabyle, vêtements de sports, figurines… Autant d’éléments portant une réelle charge affective voir émotionnelle. Après avoir parlé de ce que les objets symbolisaient pour eux, ils doivent créer des personnages à partir des objets en appliquant deux principes : 

  • détourner complètement l’objet de son usage habituel ;
  • créer un personnage qui soit masqué.

Afin qu’ils ne se sentent pas seuls dans cette tâche, ils travaillent par deux. Si au départ ils ne voient pas nécessairement où je veux en venir, petit à petit, ils se prêtent au jeu en créant des yeux, des nez ou une bouche à partir de cartes, d’un micro ou encore d’un fouet.

Métissage

Plein d’enthousiasme, je reviens le jour suivant et leur demande d’échanger leurs objets afin qu’ils fassent l’épreuve de l’altérité. Tout à coup, je sens les larmes qui montent. De la colère aussi. « Mes parents m’ont formellement interdit de prêter mes objets ». « Je ne veux pas qu’ils cassent ». « Ca coute cher » ou encore avec l’aplomb dont seul un adulte me semblait capable : « il est hors de question que je prête, un point c’est tout ». Bon… On rembobine… Je ne pensais pas provoquer une telle levée de boucliers. Je fais un tour de table pour savoir ce que chacun ressent. Je comprends où est le problème : je sous-estime la charge que les objets ont pour eux, ils ont besoin d’être rassurés. Après ce premier tour de table, je leur demande de définir clairement quelles sont règles qu’ils imposent à leur camarade dans la manipulation de leurs objets : « je ne veux pas qu’on déchire », « je ne veux pas qu’on jette » et quand un « je ne veux même pas qu’on touche » arrive, je mets simplement l’objet en question de côté : tant pis. Puis, fièrement, je leur annonce que nous venons collectivement de faire une première expérience de ce qu’est l’altérité : le respect de l’histoire, de l’opinion de l’autre. « Echanger, c’est entrer dans un terrain inconnu dont il faut apprendre les règles pour donner confiance et dialoguer. En théâtre, c’est pareil. On rencontre sur un plateau des gens avec une susceptibilité et une histoire différentes et tout l’objectif, c’est de faire dialoguer ces êtres différents, les faire avancer ensemble quelque part. Il faut donc de la délicatesse, parfois de la diplomatie ou de la brutalité, mais alors on en paye les conséquences ». La tension baisse. L’exercice continue et moi, j’ai eu chaud…

Acteurs et metteurs en scène

Chacun pioche donc au hasard dans les objets des autres, sous l’œil attentif du collectif. Ils créent avec soin de nouveaux personnages en trouvant des façons encore plus originales de détourner l’usage des objets ou de masquer le visage. Nous travaillons donc pleinement dans la question du métissage puisque les personnages sont le résultat d'un processus mélangeant les propriétaires des objets et leurs histoires. De plus, cette fois-ci, ils se font aider par un « œil extérieur », une sorte de metteur en scène attribué qui aide à la position finale qui sera prise pour la photo (les photos de cette page sont une étape de travail). C’est passionnant de les voir se donner des conseils, s’aider à la mise en place, prendre de la distance pour mieux percevoir et sublimer. Je n’ai jamais senti aussi nettement à quel point le théâtre – dans son aventure d’élaboration encore plus que dans l’œuvre finale – est un acte fort d’échange et d’empathie. La semaine prochaine, Marie Hudelot nous fera l’honneur de sa présence. Elle continuera le travail avec les enfants et prendra les photos finales. Comme disait Shakespeare : il me tarde !

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