JOUR 1 : Nous les rois

JOUR 1 : Nous les rois

Publié par Adil Laboudi

Journal du projet

Quand j’ai postulé à Création en cours (Médicis-Clichy-Montfermeil) en octobre, je m’attendais à être affecté dans un collège de banlieue pour y faire ma résidence d’artiste. Je pensais partager mes questionnements sur l’identité avec un mélange d’élèves beurs, noirs, bridés et blancs.

Vendredi 7 avril.

9h. Me voilà sur la route pour Bracieux, un village à 10 minutes du plus grand château secondaire de François Ier. Avec mon pote Ed, on loue une voiture – 1 an que je n’ai pas conduit, mais ça, il l’ignore – et sous un soleil radieux, on part rendre visite à la classe de CM1/CM2 que j’ai l’honneur de suivre jusqu’à juillet. Après Blois, on passe les murs en pierre blanche qui ceinturent le bois du château de Chambord et on arrive dans un village charmant avec son clocher, sa mairie et même une statue de Porthos des Trois Mousquetaires (appelé aussi « baron de Bracieux et de Pierrefonds »).

Devant le portail de l’école René Masson, j’ai le cœur serré. Je me revois au premier jour de maternelle, avec mon sac rouge avec imprimé lapin et répondant timidement à ma mère qui me tire par la main : « je veux rester avec toi, moi ! ». Ma nervosité n’échappe pas à Ed : il rit, et le temps de consommer une cigarette, nous voilà devant 26 petites têtes joyeuses et un lapin roux – cette fois-ci un vrai – qui se promène dans la classe et mord les lacets. Devant eux, je me tords les mains (quelque chose dans les murs me fait régresser de plus de vingt ans). Puis, quand ils me bombardent de questions et de références, je lâche les mains, hausse la voix et met en garde comme un adulte en soif d’autorité.

11h. 

Petit cours sur ce qu’est un personnage. « Quelqu’un a une définition ? » A ma surprise, tous les doigts se lèvent instantanément, dont celui de N.* : « c’est une personne qui fait des actions et dit des choses dans un récit fictif ». Euh… Qui lui a appris à parler comme ça, lui ? Je leur donne différents éléments qui caractérisent un personnage (genre, âge, aspect physique, milieu social, origine, intention, caractère) et ils sont tous capables de me citer des personnages de BD, de mangas, de dessins animés, de contes et d’histoires mythologiques caractérisés principalement par chacun de ces éléments. Balaises, les gamins ! Chapeau bas à madame Roy qui puise dans toutes les méthodes novatrices d’enseignement pour tirer sa classe si haut !

Rectifier le tir

Quand j’ai demandé aux enfants de m’apporter un objet qui symbolise leurs origines, la plupart lève le doigt et s’écrit « mais si on n’en a pas, d'origine ? ». Je leur explique que tout le monde sur Terre en a, mais au fond de moi, je sens que j’ai tort de ne pas ouvrir ma problématique au contexte de ma résidence. Alors oui, les élèves de la classe ne sont pas châtelains ou châtelaines – Bracieux est un village modeste - mais l’environnement où ils grandissent est… comment dire… chargé d’histoire.

Du coup, mes lectures se sont élargies, ainsi que mes sources d'inspiration :

Je ne sais pas exactement comment je croiserai le thème de l'identité avec celui de la chasse et de la royauté. Je ne sais pas non plus sur quoi portera le texte final que j’écrirai et que je lirai en juillet aux enfants, à leurs parents et aux élus locaux du Loir-et-Cher (DRAC...), mais c’est un vrai plaisir pour moi d’ouvrir les perspectives sur des domaines que je ne connais pas, moi l’enfant d’immigré qui ne connaît des rois de France que ce qu’on a bien voulu m’apprendre à l’école, moi l’enfant du béton pour qui la forêt était une expédition annuelle et la chasse une image hypnotique à la télévision à 5h du matin.


J’ai envie de parler de chasseurs en manque de gibiers (et qu’ils pourraient avoir trouvé en moi), j’ai envie de faire de  ces bambins des rois et des reines. L'imaginaire est ouvert...

Alors comme dirait Shakespeare : Inchallah !

@ Marie Hudelot

* l'identité des enfants est protégée.