Grotte d'un hippocampe collectif

Grotte d'un hippocampe collectif

Publié par Guillaume Hermen

Journal du projet

De l’expérience des rythmes de la nature…

Jeudi 26 avril dans la salle de classe de l’école de Curemonte, briefing rapide de la journée un peu particulière que nous allons passer les élèves, Hélène l’institutrice et moi-même. Aidés d’un article paru dans la revue Sciences et vie intitulé « Les mystères de la beauté », nous contemplons silencieusement durant une quinzaine de minutes des séries de formes issues de la nature tant macroscopique que microscopique : la sphère à travers une photographie de la lune, d’une bulle de savon ou d’un ovule, la spirale d’une corne de mouflon, d’un cyclone ou d’une pousse de fougère, la ligne droite, la tâche, la ride… Une fois réalisé ce petit échauffement de la perception, les enfants se munissent de leurs outils du jour, un crayon de papier, des crayons de couleurs, une tablette en bois, des feuilles blanches cartonnées, un guide récapitulatif des formes étudiées et une casquette, car aujourd’hui, le soleil corrézien tape fort. On quitte l’école, direction la forêt. Après 30 minutes de marche ponctuée de quelques pauses d’observation, nous arrivons au milieu d’une grande clairière lumineuse entourée de grands arbres et en contrebas, un petit chemin. Un coin d’ombre nous sert de point de rassemblement ; j’annonce les activités du jour.

Inspiré du travail de l’artiste Nicolas Courgeon (dont j’ai fait la connaissance l’année passée), j’invite les enfants à se disperser rapidement dans la nature et esquisser une feuille qui a attiré leur regard. Ils doivent tracer efficacement leur contour et leur corps, en mettant de côté l’envie de faire un beau dessin. L’objectif est ici de saisir l’essentiel d’un coup d’œil et de crayon, d’aller droit au rythme. Puis, dès qu’ils entendent le signal sonore instrumental (courte improvisation que je réalise avec les moyens du bord), ils arrêtent net leur travail en cours, changent hâtivement de place et de point de vue et se mettent à croquer une nouvelle feuille. L’opération se répète quelques fois et je sonne le rassemblement dans notre coin d’ombre central. On rassemble alors nos esquisses et, assis dans l’herbe, on compare les contours, les formes des réseaux intérieurs des feuilles tracées. Pour reposer nos yeux, c’est vers nos amis maîtres chanteurs que l’on consacre notre concentration l’instant de quelques minutes. « Combien de chants entend-on ? », « Où sont situés ces oiseaux ? », « Sont-ils proches de nous ou plutôt éloignés ? ». Ensuite, les enfants se dispersent à nouveau mais cette fois-ci pour traquer les formes qui nous entourent, esquisser par analogies grâce notre guide et notre première expérience de la matinée. On débriefe à nouveau dans notre QG à ciel ouvert : « Moi pour la spirale j’ai trouvé un escargot », « Pour la sphère, il y a le pissenlit », « Ah oui, mais le pissenlit ça fait aussi un rayonnement », « Lignes brisées, c’est comme les fissures sur le sol ».

La dernière activité de la matinée invite chaque élève à représenter une petite zone de la nature dans laquelle nous sommes. Pour cela, ils sont munis d’un gobelet en plastique dont le fond est coupé et doivent se servir de celui-ci comme d’une longue-vue qui, même sans l’optique grossissant l’image, aura la fonction de restreindre leur champ de vision pour mieux se concentrer sur la surface à représenter. Cela peut être un petit bout d’écorce comme un ensemble de nuages dans le ciel, peu importe, du moment qu’ils aient une certaine attraction pour ces éléments visuels et une envie de passer à l’action. Les élèves sont en autonomie, petit moment de répit pour Hélène et moi, où l’on savoure pleinement le brin d’absurdité du moment : au milieu d’une forêt, 20 enfants grimacent un gobelet en plastique collé sur l’œil.

…vers la restitution collective d’un moment partagé.

De tous les moments passés jusqu’à présent, cette journée du 26 avril passée avec les élèves de Curemonte et leur institutrice avait une saveur singulière, comme un souvenir inondant la mémoire d’une agréable lumière. Outre les activités que nous avions réalisées, j’étais touché ce jour-là, de manière inattendue, d’avoir redécouvert à travers les regards des enfants, leurs réactions, leurs attentions, un bout du trajet que j’effectuais quotidiennement en solitaire. Tous ces éléments éveillent peu à peu la nécessité de refaire vivre ce moment, le rendre présent à nouveau, le re-présenter, pour le plaisir de partager ses richesses : un nouvel élément de notre restitution du 3 juillet est en train de faire surface.

Un vendredi après la classe, Hélène et moi déambulons dans la salle polyvalente pour commencer à concrétiser le temps de restitution publique de fin de résidence. Où placer les panneaux des partitions ornithologiques ? Danserons-nous sur scène ou dans la cour ? Quel matériel pour diffuser nos films d’animation ? En marchant sous la voûte qui nous a servi de studio de radio, je tente d’imaginer ce lieu sans ces lumières artificielles et ces horribles objets qui viennent casser la magie naturelle de ces grandes pierres sans âge. Chaises en plastique, tables pliantes, réfrigérateur : et si on dégageait tout ça ? On y entrerait comme dans une grotte et on contemplerait comme des spéléologues les moindres recoins. Nos regards seraient guidés par le faisceau de nos lampes et, dans ce silence indestructible, on prendrait le temps de percevoir. Ce décor froid, humide et intérieur contrastait en tout point avec ce qu’avaient pu traverser nos sens lors de la journée du 26 avril en forêt et le défi devenait excitant : retranscrire le souvenir collectif de ce moment passé en nature, les sons entendus, les images, les mouvements, l’humeur générale, les états d’âme et sensations de chacun, dans cette mystérieuse grotte jouant le rôle d’une immense boîte crânienne protégeant notre mémoire de classe. Par les mots, les voix et les traits de chaque élève, nous proposerions une immersion dans la richesse d’une durée que l’on a partagée. Sur l’ensemble de la voûte seraient fixés dessins et phrases juxtaposant les coups de crayons et les écritures dans la puissance de leur diversité. On entendrait simultanément les voix d’enfants enregistrées décrivant ce qu’ils ont perçu sur le moment. Et au fond, un soupçon de lumière jaune qui éclairerait une structure de bois et de ficelles d’où seraient suspendus, à la manière des œuvres d’Annette Messager, les esquisses des formes et des feuilles réalisées dans la forêt. Le public serait invité, lampe à la main, à pénétrer et déchiffrer cette Grotte d’un hippocampe collectif…