Se plonger dans les vibrations du son et observer les réactions du corps et de l’esprit. Mettre le corps en mouvement en suivant les fluctuations du temps, s’amuser des expressions du visage pour ressentir la forme d’une œuvre, faire sonner la voix pour comprendre le timbre, stimuler l’imagination en reliant le son, le geste et le signe, rire. Prendre comme point de départ « l’ici et maintenant » des enfants, leurs activités, leurs lieux de vie, leurs émotions, leurs nécessités et écouter le rythme. Entrer dans la musique du quotidien et s’amuser des polyphonies du monde en marche… Quel est le point commun entre la course d’un footballeur qui s’apprête à tirer et le battement d’aile d’un oiseau qui se pose ? Pourquoi imagine-t-on un cheval au galop quand le pianiste joue cette partie ? Faire de l’authenticité des moments d’apprentissage une matière à composer. Une création radiophonique où l’œuvre n’est pas le résultat d’un chemin mais une manière sonore de le mettre en lumière.
Nous entourant de téléviseurs, de panneaux publicitaires animés, de téléphones portables et de tablettes numériques, le 21ème siècle nous a propulsé dans une société des « écrans », où il devient quasi-impossible de faire abstraction de ces flux incessants d'images qui excitent nos émotions et impriment nos mémoires. Les enfants peuvent se sentir souvent attirés par la télévision, où les montages d'émissions, de films ou de publicités sont de plus en plus hachés, les plans se succèdent à une vitesse folle, le son gronde, frappe, explose, et la musique et les jingles nous sautent dessus par surprise. Le cerveau est littéralement submergé d'informations. Cette rapidité se combine à une immédiateté lorsqu'il s'agit de la communication, en particulier pour les adolescents (textos, réseaux sociaux) ou de la diffusion (sites de partages de vidéos). Internet nous fournit tout, tout de suite, et on finit par exiger tout, tout de suite. A travers ces rythmes effrénés, il devient difficile de prendre un peu de distance, un peu de patience, de laisser un temps de résonance à notre cerveau, un temps de repos à nos émotions. La réalité virtuelle, donnant l'illusion d'éviter l'ennui et la solitude, finit par nous couper de mécanismes essentiels comme la conscience de sa perception, l'analyse de son esprit et de son environnement, la stimulation de son imaginaire. Pris dans cette course, on désire souvent avoir ce que l'on veut mais rarement ce que l'on a. Une urgence donc, il s'agit bien de temps. Et si l'on considère que l'oreille est un capteur de temps, alors même dans un univers d'images, le monde du sonore aurait peut-être son mot à dire... Ce projet créatif et artistique dans une classe pourrait être un chemin musical exprimant justement ce « mot à dire » : le rythme ! UN PROJET A 2 DIMENSIONS INTERDÉPENDANTES 1. L'OBJET : une création musicale radiophonique en forme de question L’Infiniment Rythme n'est pas le titre de la création radiophonique à concevoir mais plutôt l'axe principal de travail et de découverte de l'année entière. Plutôt que d'arriver dans une classe avec un projet entièrement conçu où les élèves ne deviendraient que des suiveurs ou des exécutants, il m'a semblé intéressant, pour construire une réelle confiance et impulser une solide motivation, de commencer par une écoute globale d'eux-mêmes et de leur « autour ». Ainsi j'entre dans leur univers scolaire en leur proposant des directions précises (expression/perception du rythme) et les élèves me proposent un environnement qui leur est familier et qui se révèlera être un support essentiel à mes travaux de création. On pourrait imaginer un premier moment de classe où l’on définirait par des jeux corporels et expériences sonores cet intervalle rythmique dans lequel nous vivons : écoutons et jouons ensemble l’infiniment proche avec les rythmes de notre intérieur (les battements du cœur, la circulation du sang, le gonflement des poumons…) et l’infiniment lointain avec les rythmes des astres (révolutions des planètes, saisons, évolution d’une journée…). Nous pourrions poursuivre avec des ateliers d'observation en déambulant dans l'école et en notant tout ce que l'on voit et ce que l'on entend ; s’amuser du rythme des choses, les comparer, les juxtaposer, les superposer. Puis à travers quelques questions et activités d'expressions, voir se dessiner quelques esquisses de la personnalité du groupe et des individus qui le constituent. Le tout étant de stimuler les élèves par l'écoute et par le jeu, puis laisser monter leur curiosité, laisser venir leurs questions. Ces questions autour des rythmes et de leurs interactions pourraient être une belle entrée en matière pour une œuvre radiophonique. On pourrait considérer la création sonore élaborée au cours de l’année comme un territoire de rencontres entre plusieurs univers autour de la question du rythme. Le hörspiel et l’art radiophonique, réunissant des ambiances sonores des lieux, des prises de voix des enfants ou des personnes sur le site. La composition musicale acousmatique, utilisant des sons plus abstraits, modifiés et traités, ouvrant sur une écriture différente des figures et de l’espace sonores. Le monde ludique et vivant du théâtre musical, où l’on pourrait entendre des moments de jeux collectifs vocaux, de petites pièces composées pour l’occasion et interprétées par les élèves, des caricatures et personnages improvisés. Enfin, l’univers de la question, de la clarté didactique, où les voix des enfants prendraient l’allure de voix off explicatives, interrogatives, nous invitant avec générosité et humour à pénétrer sur un terrain un brin philosophique, proposant le rythme comme une porte d’entrée vers le vivant, ou le vivant comme une ouverture vers le rythme. En résumé, un objectif majeur de cette création serait de stimuler nos sens par son travail plastique du son tout en bousculant notre esprit par la curiosité et la nécessité de repousser les limites de notre définition du rythme. L’œuvre radiophonique prendrait donc pour matière sonore première des prises de sons réalisées de mon côté en lien avec les thèmes et exemples soulevés avec les élèves lors des journées de rencontres, mais aussi et surtout des textures, voix, séquences enregistrées sur le vif lors de nos moments de médiation. Le quotidien des leçons, des questions, du tableau noir et des récréations devient un matériau acoustique et rythmique à modeler, à découper et à recomposer. Changer de point de vue : plutôt que de regarder le chemin comme menant au résultat, envisageons l’objet comme une manière originale d’éclairer le trajet… 2. LE TRAJET : générer de la matière sonore par une année de découvertes à travers le jeu Les moments d’apprentissage, de découverte, de dépassement de ses propres limites par le travail et l’éveil ont souvent cette saveur vivante et authentique et sont en eux-mêmes une matière brute riche à explorer. Ainsi les moments collectifs de médiation et de transmission (participation des élèves, réactions aux thèmes proposés, jeux, chants) constitueront une véritable sonothèque pour la création radiophonique. Ceux-ci pourraient s’articuler sous différentes formes, selon la nature des activités (merci de consulter le pdf joint) : - Classe entière (frontalité) : numéro musical et muet créant une écoute attentive ; rébus annonçant une thématique, stimulant l’imagination ; reconstruction du cours précédent, en interrogeant les élèves ; cours sur la thématique trouvée (ex : rythme des astres, Debussy, polyphonie, émotions…) ; création collective (sons, gestes, signes de notation…). >> Atmosphère dynamique et théâtrale, stimulant les élèves par l’écoute, la question, le jeu, l’humour, la pratique du rythme et du chant, l’expression corporelle - Atelier en groupes de 8 (circonvoisinité) : respiration / jeux d’écoute collectifs pour installer la détente ; échauffement vocal et travail du chant (sur les chansons apprises) ; échauffement rythmique, comprendre le débit par le corps ; apprentissage et restitution de rythmes en percussions corporelles ; travail des rythmes acquis sur un set de percussions inventé ; improvisation théâtrale et technique d’expression scénique. >> Les élèves stimulent leur mémoire et leur attention à travers la rigueur nécessaire aux apprentissages pratiques de la musique - Duos/Trios (entités autonomes) : initiation à l’univers de la production sonore ; rotation d’équipes sur 4 postes : 1. Écriture et interprétation d’une séquence vocale ; 2. Écriture et interprétation d’une séquence bruitée ; 3. Enregistrement de la séquence ; 4. Prises d’information (scripte) >> Les élèves sont mis en autonomie totale et doivent créer ensemble un petit moment de production sonore dans un court temps de préparation. Le moment de la post-production se fera dans un second temps. - Correspondances (seul à seul) : tous les 15 jours, les élèves reçoivent en classe des « cartes postales questions ». Ils doivent répondre à ces questions à la fois par les mots mais également par le dessin, le collage. >> Ces correspondances me permettent de maintenir le lien avec l’école malgré la distance, d’avoir un rapport direct avec chaque élève, de les connaître mieux individuellement, de les valoriser dans leur singularité. Voici un exemple sous forme de récit de moment de classe (vécu l’année dernière au sein du programme AIMS) qui propose une manière sonore et théâtrale de stimuler à la fois concentration et imagination chez des enfants de 9 à 10 ans, et qui crée immédiatement une porte d’entrée dans la perception du son. « Jeudi, 13h30, brouhaha dans les escaliers. Le CM1B de l’école Anatole France retrouve sa salle de classe. « Je ne veux plus rien voir sur les tables », dit le professeur. Les 24 élèves sont assis à leur place, et face à eux, une statue en forme d’être humain. On attend, on s’interroge, on comprend le message : ici et maintenant, tout commence dans le silence… Peu à peu les corps cessent de s’agiter ; les mots se dissolvent pour laisser place aux respirations. On entend un fond d’air dans les feuilles de l’arbre de la cour, on distingue la voix lointaine du professeur de la classe du bout du couloir. Silence. S’invite alors une musique, le corps de la statue s’anime enfin, suivant les nuances du son et les fluctuations du temps, avec pour fond de scène le grand tableau noir. Quelques jeux de regards s’accrochent aux vibrations de l’air et des expressions changeantes dessinent un visage burlesque. Dans son drôle de numéro de danse, toujours sans un mot, le personnage se met alors à demander de l’aide aux élèves. C’en est fini de leur statut de spectateurs, la partie se joue maintenant à 25 ! A grands coups de gestes dans l’espace, de gribouillis de craie et d’imitations vocales farfelues, le personnage compose son rébus et les enfants proposent sans relâche des petits bouts de sons qui leur permettront de deviner la thématique du jour. On est entrés dans l’écoute. »
Corrèze
Par le(s) artiste(s)