Le coeur de Freissinières

Avant l'été

Publié par Nina Deux

Journal du projet

Je ne sais pas si je vais pouvoir revenir à la rentrée, entre septembre et novembre 2020. Pour l’instant on se sépare, j’ai tellement de choses que je veux encore leur montrer, et tellement de choses que je veux faire, moi. Tout au long de la résidence, le projet a beaucoup (trop ?) changé, j’ai hésité parfois à opérer un revirement total, j’ai fait des expériences qui ne m’emmèneront nulle part ou qui ne sont pas pertinentes. Je sais que même si je reviens à l’automne, j’aurai beaucoup moins la possibilité de m’intéresser aux plantes sauvages comestibles comme je le fais maintenant, car la plupart d’entre elles auront dépassé leur saison. Je repars avec un herbier fourni de plantes communes, mais moins intéressant comme base de travail qu’une observation directe, et surtout sans la possibilité de tester des recettes à leur associer.

À la médiathèque du village, on m’a orientée vers un livre de recettes traditionnelles de la vallée, ainsi qu’un autre répertoriant les lieux de cueillette et les plantes comestibles de la région, agrémenté de quelques recettes. Beaucoup sont sucrées, ce qui m’intéresse moins, ou trop vieillottes, ou trop compliquées. En grande curieuse, j’ai envie de faire mes propres expériences.

Mercredi, je suis allée faire une longue randonnée dans la montagne, juste en face du gîte. Je suis tombée au milieu de la forêt sur la Cabane du Parc, en plein milieu d’une grande zone d’alpage elle-même entourée d’une forêt de conifères denses, à presque 1700m d’altitude. Sur ce terrain fumé par les moutons, j’ai ramassé une grande quantité de chénopode blanc et de rumex alpin.

J’ai utilisé le premier comme un épinard dans des chaussons au chénopode et à la tomme de Freissinières (fabriquée par la famille de deux de mes élèves). La tige du second, compotée et sucrée d’une pointe de miel, a fait une tartine délicieuse. J’ai fait goûter les deux à mes élèves jeudi, ils ont pour la plupart adoré. J’ai offert à Anne un bocal de boutons de fleurs de pissenlit confits au vinaigre, qu’elle et son mari ont dégusté à l’apéritif.

Des plantes communes dans toute la France à celles (comme le rumex) plus spécifiques à la région alpine, il y a plein de choses faciles et délicieuses à faire. J’ai envie de faire honneur à ces plantes discrètes, moins spectaculaires que les fruits et légumes de nos supermarchés, et pourtant pleines de richesses. Plein de mauvaises herbes loin d’être en voie d’extinction, envahissantes même, qu’on peut transformer et apprécier, d’autant plus quand on a la chance de pouvoir les cueillir dans un lieu aussi peu pollué que ces montagnes.

Je repense à la salade de pissenlits de ma grand-mère, et à la chasse aux agarics « rosés des prés » chez moi, en Normandie. Les noisettes sauvages et encore fraîches trempées dans le café au lait, les fraises des bois dans le talus et les mûres dans les haies. Ici j’ai découvert encore d’autres choses, le « thé de soleil » préparé avec l’achillée, le serpolet qui donne un  parfum de thym aux salades, les fleurs de plantain gluantes et au goût de champignon. Je veux continuer à les tester, à en faire des préparations, à les illustrer pour les transmettre.

Quoi qu’il arrive, j’ai l’intention de revenir ici, au moins au printemps prochain, pour les retrouver et continuer ce travail.

Qu’en est-il au final de mon projet initial, projet de podcast et de film d’animation ?
Je suis en train de monter les interviews des élèves. Il y a beaucoup de silences, de « euuuh » et de « beeeen… » à enlever, mais aussi beaucoup de choses drôles et intéressantes à écrémer. J’espère obtenir une série d’entretiens rigolote. Les CM ont déjà pu entendre un pré-montage de leurs interviews, et on a beaucoup ri en s’entendant et en écoutant les réponses des copains !

Lorsque la série sera à peu près complétée, je voudrais la laisser reposer quelques semaines pour la réécouter et voir ce qui en ressortira. Je suis déçue de n’avoir pas eu l’occasion de m’asseoir avec eux à table, de laisser traîner mon micro pour capter leurs conversations, ou leur poser des questions et faire ce qu’on fait (il paraît) le mieux en France : parler de manger en mangeant.

En tout cas, je compte revenir dessus à la rentrée pour créer un « best of » de ce que m’ont dit les enfants, et j’ai toujours le projet de l’illustrer en animation, même s’il sera sans doute plus court que prévu, sans cet axe de la Cantine qui m’intéressait tellement. Ce sera peut-être un inventaire animé des goûts et dégoûts des enfants, puisque le sujet se prête bien à l’illustration. Si j’ai la possibilité de revenir passer une semaine ici, je vais leur demander d’illustrer chacun.e leur goût et dégoût, pour m’en servir comme inspiration d’animation et créer une œuvre collaborative. Même si ce n’est pas possible, je demanderai sans doute à Anne de faire ce travail avec ses élèves pour me l’envoyer, pour faire un trombinoscope "portrait chinois" de la classe, avec nos aliments aimés et détestés.

On se dit au revoir et à bientôt, car même si la résidence ne peut pas se prolonger à L'automne, je compte bien revenir à Freissinières pour partager la suite de mon travail avec les élèves.