Arrivée à Felletin

Publié par Pauline Fremaux

À l'arrivée à Felletin, ville la plus proche de la commune de Gioux, qui comporte quelques commerces, je commence par tenter de comprendre l'histoire de la région, par me documenter et observer à la fois les détails de l'espace, et les relations des habitant.es, les diverses communautés qui vivent dans la ville. Le marché est un jour d'activité, la matinée se passe au café, entre notes, croquis, observations discrètes, présence puis interactions légères dont j'espère que peu-à-peu elles me permettront de louer des liens en confiance.

À l'arrivée à Felletin, ville la plus proche de la commune de Gioux, qui comporte quelques commerces, je commence par tenter de comprendre l'histoire de la région, par me documenter et observer à la fois les détails de l'espace, et les relations des habitant.es, les diverses communautés qui vivent dans la ville. Le marché est un jour d'activité, la mâtinée se passe au café, entre notes, croquis, observations discrètes, présence puis interactions légères dont j'espère que peu-à-peu elles me permettront de louer des liens en confiance.

Parfois, je m'invite à une table, c'est agréable. Pour le déroulement du projet tel que pensé, j'ai contacté la Fédération des Enfants Déracinés des DROM, il y a plusieurs semaines déjà, afin d'entrer en contact avec Valérie Andanson. Plusieurs groupes culturels et linguistiques vivent en Creuse, et une importante communauté réunionnaise y habite, suite à la politique de déportation menée par le BUMIDOM sous Michel Debré, entre les années 1960 et 1985. Peu de documentation circonstanciée est accessible, même si l'histoire de ces enfants déclarés pupille de l'état de manière autoritaire (en théorie avec le consentement des parents, qui en grande partie soit ne comprenaient pas la langue métropolitaine des papiers, soit ont été victimes de fausses promesses de visites de leurs enfants, et du traditionnel couplet de la « meilleure vie », dans une logique un peu dissimulée de dispersion des luttes sociales et indépendantistes. Dans ce contexte, on ne peut pas parler de "consentement"), a été peu à peu médiatisée suite au soutien d'Erika Bareights. La documentation accessible est majoritairement produite par des personnes externes aux faits, ou bien financée par les départements ou institutions y ayant pris part ; on doute fortement de la réelle impartialité de cette littérature, mais peut-on et doit-on réellement demander de l'impartialité lorsque la vie de plus de 2000 personnes, mineures à l'époque, est en jeu, et ne doit-on pas considérer comme une évidente nécessité que les mieux placé.es pour décrire la situation, sont les enfants et les familles victimes de cette politique ? Toujours est-il que, si les témoignages de certaines victimes sont disponibles de part et d'autres, les revendications de celles et ceux qui, à juste titre, demandent réparation, ne semblent pas prises en compte.

Comme travailler sur la langue, les langues parlées, et le rapport général aux langages sous leurs diverses formes, leur lien étroit avec notre cognition, et les motifs de notre imagination, demande au moins de prendre connaissance des communautés présentes sur un territoire, à plus forte raison lorsque ces communautés sont au cœur d'une vision sociale double, d'une projection dans l'espace double et au bord de la fiction (ce mot "fiction" ne remet pas en cause ni l'identité ni la véracité des faits et traditions transmis par les personnes, il désigne une toile de fond tirée entre deux espaces, réceptacle aux récits, au renforcement, et source de connaissances), parfois repoussée jusque dans le sas de la fiction par ceux et celles qui ne chargent pas de pensée politique cette double appartenance, il était important de rassembler à la fois les informations dont je disposais (afin de ne pas commettre de maladresse), et de me mettre en contact avec les principaux concernés. Selon cette logique, un échange a été établi, des envies de projets aussi, et surtout un début d'apprentissage de l'histoire réunionnaise, puisque celle ci n'est pas enseignée à l'école.

Je pensais à ce moment travailler (avec l'accord des personnes, sans quoi le projet n'aurait pas eu lieu), pour une partie du projet de résidence, en lien étroit avec certaines personnes de la Fédération, en prenant pour lorgnette le travail de Françoise Vergès, à travers lequel je regardais comme depuis un télescope les contours d'une région que je ne connais pas, mais surtout à travers lequel je décodais les procédés rhétoriques mis à l'oeuvre dans chaque publication faite par des personnes autres que les victimes, ayant trait aux réunionnais de la Creuse. Ce mécanisme de représentation et stéréotypisation, je m'y relie via mes propres appartenances, ce qui ne déjoue pas pour autant le questionnement sur la légitimité de mon travail lorsqu'il porte un regard vers des groupes dont je ne fais pas partie. Par la suite, avec l'annonce du confinement, les difficultés auxquelles de nombreux groupe de personnes se sont heurtés, la complexité de cette situation demandant des rencontres attentives, et modérées de ma part, qui ne pouvaient pas avoir lieu dans l'empressement, ce versant du projet a dû être reporté et les échanges n'ont pas pu ce poursuivre au jour où j'écris. Prendre un premier contact avec la personne de l'association qui habitait toujours près d'ici, sur les conseils de Mme Andanson, a pris du temps, car avec le travail auquel la Fédération se confrontait, il fallait que ma proposition de projet soit précise (mais aussi il fallait qu'elle soit complètement mobile, et puisse répondre et s'adapter à la demande des membres) ; comme d'autres recherches avaient lieu en même temps, et que ceci était une part du projet dont j'ignorais l'amplitude, je me concentrais sur les deux à la fois, tout en poursuivant des collectes sans rapport, observations sur place, de manière plus légère, et pour préciser des envies de matériaux. Aussi, dans l'embarras de ma position extérieure, et dans le besoin de clarifier le projet général, de réfléchir plus calmement à comment le mettre en place, par quel bout dans l'isolement géographique. Les lectures que je faisais n'étaient pas toujours politiques, et les textes d'Amy Clampitt, Kafka et Pasolini, qui déroulaient des paysages vastes, denses et historiques, me faisaient penser à ce qui doit diriger ce projet : ce qui relie, ce qui lie et donne de la continuité.

    images montrant plusieurs propositions d'installations constituées de loupes gravées, de lampes, de pieds et de rails.
    Principes pour des structures projetant une grille de lecture sur une autre. Principe pour une série de gravures sur loupe. Réflexion portant sur des problèmes de représentation, à l'état de simple recherche désorganisée.
    schémas de structures composées de pans de miroirs gravés, et d'éléments opaques.
    croquis de structures dans lesquelles des miroirs gravés multiplient les reflets d'objets et de silhouettes, tout en modifiant leurs répliques doublement gravées. Dans les reflets multiples, on ne distingue plus les deux silhouettes qui deviennent une seule.