Ce projet prend place dans des espaces ruraux à forte mixité culturelle et linguistique (la Creuse, comme l'Occitanie, la Réunion, sont des espaces où de nombreuses communautés coexistent). Je voudrais porter attention aux mouvements et interférences générés par ces langues et ces mémoires croisées. mon travail suivrait plusieurs étapes, dont la première serait une phase de rencontres et de relevés, de récolte de récits et d'indices concernant le territoire et ses habitants, la seconde, la constitution d'un lieu de rencontre que j'appellerai le noyau, qui pourra être aussi l'espace de création d'autres structures légères et transportables, et la troisième verra la modification constante de ce lieu, hébergeant diverses rencontres.
La mobilité d'un lieu à l'autre, ménageant de longs temps d'adaptation et moments charnière, la confrontation à des codes d'interaction assez normés et la conscience de la diversité des capacités et des modalités d'échange me conduisent naturellement à porter attention au langage, et aux rapports entre communautés (minorées de sexualité, de genre, de classe, aux zones rurales isolées...). Au sein de mon travail, j'aimerais questionner la prééminence du discours historique dominant (centré sur l'occident et les populations aisées urbaines et blanches), et celle de savoirs homologués et spécialisés, au détriment de gestes traditionnels et pratiques culturelles oblitérés (relégués à la sphère domestique ou quotidienne, ou considérés comme culturellement marginaux, voire obsolètes). Je m'intéresse à la manière dont se tissent les récits, à la pulsation entre histoire collective et individuelle, traditions familiales et héritages passés sous silence.
Mon travail pourra être réparti en trois mouvements. Au cours de ce projet, je me propose de plonger dans l'écosystème d'un village, où, dans un premier temps, mon travail sera dédié à la compréhension de ses lieux de partage essentiels, la rencontre de ses habitant.e.s et de leurs activités, en lien avec le patrimoine de la région. Ces observations pourront prendre la forme de descriptions, de relevés de matériaux, de portraits sonores et visuels (photographie argentique, vidéo, et enregistrements audio de récits et d'histoires : je souhaite en premier lieu investir des formes simples de documentation, à la fois non-invasives, spontanées, et discrètes). En parallèle, je poursuivrai mes recherches et lectures quant aux langues locales, aux procédés génératifs du langage et du souvenir, en croisant ces pratiques de relevé territoriales avec mes prises de notes, sous forme de grands dessins qui pourraient me servir de base de donnée théorique.
Le second mouvement verra la constitution progressive d'un lieu de rencontre (le noyau), au sein duquel d'autres productions plastiques (sculpture, image, écriture) pourront être proposées. Le noyau sera constitué de structures légères permettant à un travail de recherche participatif d'avoir lieu. Il pourra consister dans la création de supports de tri d'images rendues ainsi accessibles (les images et documents récoltés lors de la première phase), d'espaces de 'bureaux' (volumes, tables et armatures) permettant de présenter conjointement textes et images, de venir s'installer pour consulter ou échanger, et de structures dialectiques, mettant en évidence les traces physiques laissées par les discussions.
Le noyau est un lieu de collecte, comportant une partie d'atelier calme dédiée à sa propre construction et à la construction au fur et à mesure, des sculptures afférentes (construite au maximum selon des principes d'économie de matériaux, et de légèreté: bois, armatures en acier, structures pliables et mobiles), un lieu de récoltes (archivage), et un lieu de rencontres. Ainsi, cet espace sera toujours en construction, et toujours consultable. Il peut à la fois servir de base de donnée, de lieu d'échange, et de support de témoignage. Une partie de sa structure devra permettre d'y accueillir en tout temps des personnes, et leurs récits. Une autre partie se devra de faire émerger un laboratoire de création de projets et de sculptures en rapport avec ces collectes, et une troisième, accueillant des discussions, permettra de visualiser les effets, et paramètres de ces interactions- tout les effets paraboliques et périphériques de prise de distance physique, d'ennui, d'interactions non verbales...(je proposerai à des personnes travaillant ou vivant sur place de se joindre aux discussions, ainsi qu'à des artistes et théoricien.nes de ma connaissance, dont le travail porte sur les thématiques proposées. Pour ce qui est des practicien.nes, je me concentrerai surtout sur les métiers d'intermédiaire.) Les métiers d' « intermédiaires », c’est-à-dire de médiation entre plusieurs locuteurs.rices (orthophonie, interprétariat, traduction, doublage, etc...), m’intéressent particulièrement car j’y lis un jeu de distance entre l’énonciateur.rice et l’encodeur.euse. De ce jeu, je tente d’extraire des formes de textes induisant un aspect de tapisserie ou de tissage, tressés ou rimés, et je travaille à la fois, ces notions de boucles, de courants, de multitudes, en sculpture et en image.
Le noyau sera construit à la fois comme un laboratoire où conversations spécialisées et informelles pourront avoir lieu de concert, et se mêler l'une à l'autre, un laboratoire d'échange d'idées, de savoirs et d'expériences, de création et d'écriture.
Le noyau pourra être fragmenté (une partie atelier, dans les locaux de l'école, et une partie mobile, légère et déployable dans l'espace), et ainsi être hébergé successivement par différents lieux pratiques du village, pour permettre d'entrer en contact avec des personnes très diverses, et de s'intégrer à la vie du quartier ou du village (par exemple l'épicerie, l'école, la salle des fêtes, la bibliothèque, le marché, le café, etc...).
Au cours de la troisième étape de travail, j'aimerais travailler à l'assemblage de ces structures mobiles, à leur dissémination ou répartition dans les différents lieux de vie du village/ville, leur modification, et l'hébergement des différentes rencontres qui seront publiques (dans ces lieux pourront prendre place discussions planifiées et spontanées, et performances). Cet espace de circulation finalement éclaté sera à la fois sculptural et usuel, et j'espère qu'il pourra être le théâtre d'associations inédites d'images et de jeux.
Par le(s) artiste(s)