Faisant écho aux enchevêtrements complexes de la nature, aux univers bigarrés des marchés et carnavals du monde, l’ornement dans son travail est prolixe, envahissant il ne vient pas en supplément ; il est constitutif de la vitalité et de l'énergie recherchée dans l’œuvre.
A travers ce projet, les élèves sont plongés dans l'univers des formes, des motifs, de la couleur, de la matière et du textile.
Ils créeront un œuvre collective d'un grand format, racontant leur monde imaginaire, s'immergeant dans les entrelacs de l'ornement, intégrant des matériaux vernaculaires, pratiquant différentes techniques, interrogeant et partageant les pratiques familiales liées au textile, pour donner vie à l’œuvre.
Rendre le motif vivant, réfléchir au tableau comme une parure, faire jaillir la matière de la surface seront l'objet de leurs questionnements.
Motivations
Ma motivation pour ce projet de recherche, création et transmission proposé par les Ateliers Médicis dans le cadre du programme Création en cours est double.
D'une part, il permet l'accès à la culture de publics qui en sont éloignés. Cette préoccupation est au cœur même de ma démarche artistique qui par l'ornemental pose la problématique de l'exclusion des marges, modèle théorisé par Jacques Soulillou dans Le livre de l'ornement et de la guerre1 qui décrit le lien entre ornement, ordre, et pouvoir, lien qui génère de facto des cercles d'exclusion, des cercles périphériques dont s'est emparé l'art contemporain et qui en fait non seulement un sujet esthétique mais également un sujet de résistance. C'est à travers ce prisme que j'intègre ma propre démarche artistique. Ce souhait de transmettre est d'autant plus important pour moi que j'ai moi même pu faire l'expérience d'une enfance dans un milieu rural totalement coupé du monde artistique. Il me parait essentiel que les choses évoluent vers un accès plus large à l'art et à la culture et je serai très fière d'en être acteur.
D'autre part, être soutenu dans ce temps de recherche et de création est très important pour un artiste aujourd'hui. Ce temps de recherche est essentiel et parfois difficile à poser. Il fait écho à mes questionnements actuels sur mon travail. Après une première étape importante de créations pendant ces deux dernières années, j'aimerais remettre un temps de recherche au cœur de mon travail pour explorer de nouvelles formes d'expression en lien directe avec ma démarche artistique.
Intentions
Explorer la saturation est un moyen pour moi d'interroger l'ornementalité de l’œuvre au sens de l'énergie vitale qui s'en dégage. Celle-ci n'est autre que l'expression d'une force, d'un flux, d'un mouvement, d'un rythme. Cela m'amène aujourd'hui à de nouvelles interrogations : les notions de flux et de fin sont-elles compatibles ? La duplication de motifs mineurs dans un tableau qui deviennent majeurs dans un autre m'a permis d'atténuer l'arrêt du phénomène expansif aux limites du tableau et de créer un fil continu entre les œuvres. Le mouvement est également apporté par le rythme régulier des motifs et l'arythmie de ces derniers que je cherche à décomposer et à abstraire, juxtaposant plusieurs grammaires ornementales pour cela et apportant des éléments de volumes.
L'ornement m'a permis d'avancer vers un effet de saturation, de débordement, de prolifération, métaphore du flux vital. Couplé au textile, celui-ci, comme le motif, interpelle notre humanité, notre altérité, renforçant par sa nature la vitalité de l'ornementation.
Le processus organique, prolifique est à l’œuvre dans mon travail mais me pose de nouvelles interrogations. Comment explorer ce phénomène organique, vivant, intrinsèque au motif hors du tableau, interrogeant par ce biais, la limite de l’œuvre et le lien que l'ornement entretient avec son espace environnant ?
Dans mes derniers travaux, les éléments sont d'avantage protubérants, se détachent de la surface pour approcher l'objet. Au delà de leur signification subversive, les broderies, les éléments bourrés de matières, sortent littéralement du tableau et le redéfinissent non plus comme surface plane mais comme un objet sculpture, un objet parure. Le travail de Franck Stella, de Rina Barnerjee, de Lygia Clark a une grande influence pour moi à la fois dans leur composante ornementale mais également comme objet. La série des Memory Ware Flat de Mike Kelley réalisés à partir de matériaux vernaculaires sont également une source de réflexion.
Considérant le cadre comme un frein à cette force ornementale qui déborde, cela me force à changer de paradigme en faisant non plus du cadre une donnée d'entrée que l'ornement rempli mais de l'ornement la donnée d'entrée à la fois ergon et parergon. Questionner le lien de l’œuvre avec son espace, libérer totalement ou partiellement le travail de son attache première, la surface plane du support en bois, avancer plus loin dans l'expérimentation du tableau parure – tableau sculpture voir installation serait l'objet de la recherche proposée dans ce projet. Ce dernier sera réalisé avec le medium textile et différents matériaux collectés tout au long de cette année. Le textile, comme matière sensible, comme trame de notre humanité, comme combinaison infinie de motifs, comme lien avec l'artisanat, comme médium féminin par excellence m'a ouvert il y a quelques années une voie de recherche que je souhaite explorer encore. Des éléments divers (sequins, coquillages, miroir, bricolage textile...) intègrent déjà mon processus créatif mais je voudrais expérimenter un travail dans lequel il prolifèrent d'avantage et me permette d'accéder à une troisième dimension. La structure de l’œuvre sera réinterrogée dans cette recherche : le textile aujourd'hui est collé sur cette surface plane, il est suspendu dans un travail brodé plus récent, mais le textile, enroulé, noué peut également « faire structure ».
Au delà du questionnement formel, cette recherche intégrera un questionnement sur les limites de mes choix esthétiques. Les codes liés à l'art décoratifs sont nombreux, démultipliés, la proximité avec le kitsch est réelle. La question n'est pas, dans un travail qui se veut expansif et prolifique, une simple formalité. C'est bien une réelle question plastique qui devient centrale dans ma recherche à cette date. L'équilibre est ardu et difficile à trouver. Dans mon univers esthétique, « more is more » et « less is less » . J'aimerais développer ces choix esthétiques dans leurs propres limites (le trop, la saturation, la couleur, le foisonnement) pour faire acte d'une plus liberté plastique plus affranchie encore des codes. Quand le processus accumulatif doit-il s'arrêter ? Moins et cela pourrait devenir décoratif au sens péjoratif du terme et m'éloigner de mon objectif. Cela repose la question de la limite dans mon travail d'un autre point de vue. Attraction du beau et en même temps répulsion du trop...Cette interrogation est au cœur même du procédé de la parure. La parure attire, séduit mais en même temps doit avoir un pouvoir effrayant...
En intégrant dans leurs travaux de nombreux éléments de matières textiles et en les faisant sortir de la surface de la toile, ma recherche personnelle entrera en résonance avec le travail réalisé avec les élèves et leur entourage. Un temps d'échange sera réservé avec les élèves sur cette recherche leur permettant de découvrir à partir de photos ou de vidéos, en parallèle de leur propre projet de création, le work in progress de cette recherche en cours.
1 Jacques Soulillou, Le Livre de l'ornement et de la guerre, Marseille, Editions Parenthèses, 2003
Par le(s) artiste(s)