Ici, les coquilles qualifient les « blisters », ces emballages en plastique thermoformé sous lesquels sont vendus d'innombrables objets. Ils me fascinaient depuis longtemps lorsque j'ai compris leur caractère indiciel, c'est-à-dire photographique. Je les développe depuis par photogramme, dans l'idée d'en constituer un répertoire. Je souhaite en poursuivre l'élaboration durant cette résidence. Je veux aussi aller à la rencontre de celles et ceux qui produisent les blisters, afin de connaître la relation qu'ils entretiennent à leur travail et le cadre dans lequel sont conçus ces objets. Ces rencontres seront l'occasion de travailler une forme documentaire. Je chercherai également comment remplir ces coquilles vides…
Il y a le premier blister. Un blister de grand format, qui avait contenu un nécessaire de douche – pomme et tuyau. Je ne me suis résolue à le jeter qu'après l'avoir emmené dans trois déménagements successifs. Plus tard – je me penchais sur la nature de la photographie et de l'image photographique – j'ai réalisé que ces emballages étaient des empreintes, des indices au sens que Pierce donne à ce signe ; une trace arrachée à la chose, comme le négatif photographique. Ces emballages thermoformés conservent l’empreinte d’un objet disparu : depuis 2012, je les utilise comme des négatifs ready-made que je révèle par photogrammes. J'aime la qualité de ces images, le trouble qu'elle jettent sur la technique dont elles sont issues. Leur précision leur donne le caractère d'une imagerie technologique de haute définition, alors que leur matière apparaît à travers un dispositif photographique primaire. Cependant, pourquoi ai-je conservé si longtemps sans usage ce premier emballage ? Pour ses dimensions peut-être, qui ne laissaient pas oublier sa nature d'objet. Pour sa forme, l'image abstraite qu'il dessinait. Pour sa matière plastique translucide, qui prenait et propageait particulièrement la lumière. Parce que c'était un déchet de valeur. À l'époque je vivais à Paris et je passais beaucoup de temps auprès de personnes sans domicile fixe. Certaines personnes utilisent pour les désigner un vocabulaire commun à la manière dont on pourrait qualifier les blisters : « déchets », « rebut » de la société – dont pourtant ils sont issus. Le blister, c'est du rebut, du déchet produit en série. Des gens travaillent à le produire, à le dessiner ; que leur travail soit d'apporter du soin à ce qui sera un déchet m'a frappé récemment. L'existence de ce type d'emballage pose évidemment la question de ce que nous produisons, de ce que nous consommons, et de comment nous le consommons. Les déchets s'accumulent, sur terre et dans les océans. De plus en plus de scientifiques recherchent de nouveaux indices sur l'impact des matières plastiques sur le vivant. On parle d'indice de pollution. On parle d'indice dans les enquêtes aussi. Depuis cinq ans j'amasse des blisters dans l'idée d'en tirer un répertoire d’images à utiliser dans des ensembles et assemblages mixtes. Devenus images, ces objets peuvent prendre des valeurs iconiques, ou symboliques. Je suis actuellement en train de les développer, et j'aimerai profiter de cette résidence pour élaborer ce répertoire à entrées multiples. Chaque coquille est unique, et toutes peuvent appartenir à différentes catégories. On peut s'attarder à la forme du blister, à sa ressemblance ou non à l'objet qu'il contenait, et s'il est reconnaissable, à l'usage de cet objet. Il y a aussi des catégories de provenances : ramassés, reçus, achetés. L'élaboration de ce répertoire est pour moi une forme d'enquête, à laquelle je veux associer les enfants. Nous lui donnerons une forme éditoriale ; livre ou affiches – comme des planches scientifiques. J'irai également à la rencontre de ceux qui conçoivent et produisent ces blisters. Je veux tout savoir de leur métier, de leur relation avec leurs clients, des usages pour lesquels sont conçus ses emballages, du moment où les présentoirs de supermarchés ont été configurés pour les recevoir et où la « lumière » à été inventée (la lumière est le trou triangulaire ou rond par lequel ils sont suspendus). Je veux savoir quels plastiques ils utilisent, d'où ils viennent, comment il sont composés. Je veux connaître leurs façons de considérer l'objet à emballer, comment il entre dans l'usine, comment il en sort, leur façon de designer les blister, quelles machines ils utilisent, et ce qu'ils pensent de tout ça. Je souhaite démarrer cette enquête documentaire en suivant des pistes photographiques, filmiques ou sonores. La transparence des blisters peut nous faire oublier leur valeur d'objet. C'est comme objet que je les considère depuis longtemps – objets-images, mais objets quand même – mais ils restent vides. S'ils sont des contenants, si telle est leur valeur, de quoi les remplir ? Comment rendre plein le vide qu'ils manifestent ? Quid du devenir de ses déchets ? Je souhaite expérimenter les possibilités artistiques de ce recyclage avec les enfants. Le blister est à la fois un objet présentoir, et un objet à présenter. Une exposition de restitution sera l'occasion de leur donner une valeur sculpturale inédite, en même temps qu'ils retrouveront leur caractère d'objet de monstration.
Pyrénées-Orientales
Par le(s) artiste(s)