Ce projet aboutira à la création d'une balade artistique en forêt autour de la nouvelle de Jean Giono L'Homme qui plantait des arbres.
Il commence par la rencontre de trois artistes Suzanne Dubois danseuse et comédienne, Elena Sandoz comédienne et danseuse, Clara Serayet danseuse, acrobate, circassienne et clown. En mêlant leurs différentes disciplines elles vont chercher comment donner vie à cette nouvelle de Jean Giono dans le format d'une balade.
C'est essentiel pour elles d'être dans un milieu vivant où l'interprète n'est pas le seul vecteur de cette vie. Elles tiennent aussi à éveiller le public dans un endroit où tout leurs sens seront sollicités.
Il y aussi cette urgence de vouloir profiter de la forêt.
"Mais si l'on revient sur Terre, si l'on brise cet écran posé sur le réel, la forêt se donnera à nous d'une toute autre manière. Si on y va dans cette forêt, si on y ramasse ou coupe du bois, si on y cueille, si on y chasse, si on y joue, si on y flâne, si on la défend, si on s'y bat, on la saisira autrement qu'en terme de chiffre, de ressources, de données. Un autre rapport au monde peut alors se construire, fait d'espaces irréductibles les uns aux autres. Une manière de se tenir droit. De ne plus courber la tête. S'enraciner mais aussi surgir. Se déployer. Quelque chose comme une verticalité inédite. C'est peut être d'abord cela une forêt et ce que l'on a envie d'y défendre : un évènement vertical. Quelque chose qui, contre l'étrangeté du monde administré, est enfin là. Pleinement là." Jean Baptiste Vidalou, Etre forêts. Habiter des territoires en lutte.
Comment mieux exprimer le désir profond, sous jacent à ce projet, cette envie viscérale de balade artistique en forêt, qu'en citant Jean Baptiste Vidalou?
Cette envie de balade en forêt c'est d'abord l'envie d'être là où il faut, là où règne le vivant, où tout est sensible. Y proposer une balade artistique permettrait par la magie de l'art de redonner à la forêt toute sa magie peut être un aspect sacré et donc non quantifiable, non monnayable, simplement l'envie de la préserver.
Lors d'une balade on peut être seul, entre amis, en famille, avoir décidé de son parcours ou du moins du point de départ, avoir choisit de faire des tonnes de kilomètres ou juste deux... Lors d'une balade on papote, on rêvasse, on s'invente des histoires, des jeux, on ramasse, on cueille, on philosophe et on se tait, on se sépare quelques fois pour se retrouver ensuite, on fait des pauses, des pauses goûter et surtout on profite. C'est un moment où on aiguise ses sens, où on fait attention aux détails, au vivant et c'est ça qui nous intéresse. Pour faire vivre cette balade nous voulions une histoire qui nous touche profondément, avec laquelle chacun pourrait repartir.
Nous nous sommes retrouvées un soir pour lire ensemble L’Homme qui plantait des arbres de Jean Giono. A la fin de la lecture, grand silence. On ne sait pas comment, on a été emportées, délicatement du début à la fin. Pas de suspens, pas d'actions mouvementées avec de grandes péripéties. Non, simplement un homme solitaire, silencieux berger et apiculteur qui plante des arbres jours après jours jusqu’à créer de grandes forêts : Elzéard Bouffier. Puis un voyageur qui est le témoin, celui qui regarde, celui qui raconte, celui qui fait le lien entre Elzéard et le monde extérieur. En effet Elzéard ignore le monde, il ignore la Grande Guerre comme la seconde, là où le voyageur est soldat de première ligne. Dans les villages alentour rien ne vit ou alors ce qui vit attend la mort. Ces même villages deviennent finalement des endroits où il fait bon vivre. Lentement, aussi imperceptiblement que la poussée d'une plante, le texte passe de la mort à la vie, c'est la seule chose, si on peut dire, qui se passe et qui nous tient.
Alors, oui, ce sera ce texte pour notre balade en forêt.
Très rapidement nous ouvrons quelques pistes qui nous intéressent. La figure du voyageur : qu'est ce que c'est qu'être observateur, témoin d'une histoire, être le seul lien entre cette histoire et la réalité? La figure du berger : qu'est ce qu'un acte dépouillé de tout égoïsme, un geste premier, un héros anti-spectaculaire, comment on invite à regarder?
L'accueil de cette nouvelle dans le monde : traduite en plus de treize langue, distribuer en des milliers d'exemplaires gratuitement, qu'est ce qui crée cet attachement à Elzéard? Elzéard est un personnage inventé de toute pièce et c'est sûrement ça le plus fort. Le documentaire fictif est une piste qui dans ce contexte nous intéresse particulièrement.
Jean Giono a reçu de nombreuses lettres officielles venant de poilticiens, de scientifiques de sociologues... qui demandaient de rencontrer Elzéard ou de discuter de mesures à prendre pour la sauvegarde des forêts, beaucoup d'enquêtes ont été effectuées sur l'existence ou non d'Elzéard au plus grand bonheur de Giono qui, bien que donnant des indices évidents, ne répondait jamais clairement. Dans sa manière d'écrire il nous prédispose à la confusion, il joue avec. Mais une question demeure : Pourquoi tant de personnes veulent tellement croire en l'existence de ce personnage, qu'elles occultent toute une partie de la nouvelle qui montre bien que, malgré la vraisemblance, tout reste fictif? Il doit sans aucuns doutes répondre à un désir, un rêve collectif, auquel chacun a à coeur de s'accrocher. Giono croit fermement en l'importance de l'existence de l'imaginaire, pour lui Elzéard existe puisqu'il le fait exister. C'est avec cette ferme croyance qu'il a écrit cette nouvelle pour la revue Reader's digest qui demandait aux écrivains d'écrire sur ce thème "Le personnage le plus inoubliable que j'ai rencontré." Dans un contexte d'après guerre la revue voulait donner à ses lecteurs des exemples de personnes extraordinaire ayant existées. C'est en répondant à cette commande que Giono écrit L'Homme qui plantait des arbres. Il dira ensuite : "Comment pouvait on demander à un inventeur professionnel de parler d'un personnage qu'il n'invente pas?". L'une des définitions de mythe proposé par le CNRTL est la suivante : Construction de l'esprit, fruit de l'imagination, n'ayant aucun lien avec la réalité, mais qui donne confiance et incite à l'action. En cela Elzéard est un mythe. C'est un fruit de l'imagination qui donne confiance et incite à l'action, c'est en cela que Giono dit que cette nouvelle est sa plus réussie. C'est par l'imaginaire qu'on peut modifier notre façon de percevoir le monde et donc, à terme, modifier le monde. En cela Elzéard nous paraît être un héros très moderne. C'est un modèle écologique. Le mythe qui s'installe autour de lui nous donne envie de faire de cette balade un documentaire sur la vie d'Elzéard. Dans l'idée ce documentaire semblerait d'abord très réel puis peu à peu la fiction prendrait le dessus. Nous voulons que le spectateur rencontre de nombreux personnages qui témoignent de l'existence d'Elzéard sans jamais le rencontré réellement. Ainsi le spectateur parmis ces témoignages qui se disent et se contredisent ne saura plus quel est la véritable histoire d'Elzéard Bouffier. A t-il vraiment existé? Il prendra vie comme un mythe qui se forme et se transforme au fil du temps.
Nous allons chercher comment avec les outils d'expressions qui sont les nôtres, le théâtre, la danse, le cirque, le chant dans ce format de balade nous allons pouvoir amener ce mythe. Nos différentes périodes de résidences nous permettront de répondre concrètement à cette contrainte.
Par le(s) artiste(s)