Un confinement rempli de lettres et d'imagination 2

Publié par Suzanne Dubois

Dessin de Lou

Lou Bouffier

Il était une fois une femme, Lou Bouffier, qui était ouvrière de Mairie. Elle avait pour mission d’enlever toutes les mauvaises herbes. Elle travaillait si bien que très vite dans son village il n’y avait plus une seule mauvaise herbe. Le Maire complètement abasourdi par cet exploit se prit de passion pour son ouvrière et décida de tester ses limites. Il voulait que Lou arracha toutes les herbes, bonnes ou mauvaises, il disait « Mon village sera blanc comme la neige, pure et contrôlé. » Bonne ouvrière Lou fit son travail.

Le village s’élaguait de jour en jour, il allait bientôt ressembler à une feuille blanche.  Le Maire la félicitait tant qu’un sourire un peu forcé était venu se glisser sur le visage de Lou. Elle n’arrivait plus à le quitter alors même qu’elle se sentait un peu triste. Un matin elle dû s’occuper du dernier végétal qu’il lui restait à anéantir. Un bel arbre. Elle avait sa fidèle pelle avec elle. Elle se souvenait avoir planté cet arbre quelques années auparavant. Il n’était pas grand mais déjà bien robuste. Alors qu’elle allait naturellement entreprendre sa besogne, la force lui manqua. Brutalement elle se sentie avachie et pleura à grand sanglot. Elle s’adossa contre l’arbre et dans des petites expirations saccadées elle parvint à dire : « Je perds mon œil l’Arbre, je n’arrive plus à l’utiliser. Je perds mes sens. Je n’ai plus de force. » Elle senti une grosse vibration dans son dos. Elle comprit plus tard que c’était la manifestation du rire de l’arbre. L’arbre lui dit : «  Ce n’est pas que tu perds ton œil mon ami, c’est qu’il n’y a plus rien à regarder. Ce n’est pas que tu n’as plus de force, c’est qu’il n’y a plus de vie. » Abattu Lou Bouffier se sentit terriblement coupable, elle se confia à l’arbre et lui raconta son métier, le Maire qui l’encourageait, la ville qui blanchissait et elle l’Ouvrière en Or qui devenait triste d’avoir effectué tout cela. En caressant l’arbre elle lui dit « On dirait que ton écorce te protège. Je rêve d’avoir une peau avec une couleur aussi belle pour que mon œil ne se ferme jamais. J’aimerais tant réparer mes erreurs. Comment ai-je pu obéir à ce Maire qui n’a que la blancheur à la bouche ? » L’arbre lui répondit «  Fouille dans mes branches mon amie, tu trouveras un béret et un pull fait de mousse, de terre, d’écorces et de feuilles. Ils mélangent douceur et force. Porte les. Sitôt que tu en auras besoin tu trouveras dans leurs mailles des graines. Tu n’auras qu’à les planter et ton œil reviendra, tes oreilles aussi car je vois que tu commençais aussi à perdre l’ouïe. Ainsi tu seras heureuse et les habitants aussi.»

Lou fouilla dans les branches. Elle enfila les deux présents. Le pompon du béret était assorti à ses chaussures, parfait.  Elle se senti soudainement pleine de vigueur. Elle remercia l’arbre d’un tel présent. « C’est moi qui te remercie l’amie, répondit l’arbre, file tu as du travail à refaire. » Lou Bouffier couru, elle avait la sensation de voler. Elle sentait le vent frais sur son visage. « J’amène de la couleur dit-elle ! » Le Maire n’en cru pas ses yeux. Lou volait réellement. Elle parsemait la ville de couleurs. Le Maire se senti plein d’amitié pour cette fille qui lui réchauffait le cœur. Il se dit « Bah oui, évidemment, c’est mieux comme ça. »

Dessin d'Eva

Eva Bouffier

Il était dans le monde une jeune fille, Eva Bouffier, qui marchait  du lever du jour au lever du jour. Autant dire qu’elle marchait tout le temps. Il me semble tout de même réducteur de parler d’une simple marche. Eva Bouffier ne faisait pas que marcher, elle dansait. Elle avait un pas d’une vivacité, d’un élan, elle semblait voler. Nous ne savions plus si nous avions vu une simple jeune fille passer ou si nous avions vu un oiseau. Certains disaient même avoir vu un ange. Ceux-là étaient des rêveurs et des rêveuses. Ils avaient besoin de croire en leurs imaginations. Personne ne pouvait leur en vouloir d’imaginer de belles choses. Tout le monde disait : « Un ange… J’aimerais bien un ange. »

Il faut dire qu’Eva Bouffier faisait grandir les rêves. Elle apportait le soleil dont ils avaient besoin pour mûrir, pour s’affirmer.  Elle avait la peau de la couleur du soleil couchant. Ce moment où on peut regarder le soleil dans les yeux parce qu’il cède sa place à d’autres formes de lumière. Ce moment où il devient doux. Où il cherche à réchauffer les cœurs, comme s’il voulait laisser un souvenir de lui, une braise, qui durerait toute la nuit. Là. Chaleureuse. Une lumière sur laquelle se recueillir même dans les nuits les plus noires. La peau  d’Eva Bouffier diffusait cette douce lumière, cette douce chaleur qui laisse une trace. Elle semblait déposer des braises de cœur en cœur. Quand sa danse ne suffisait pas à créer une braise dans un cœur. Elle en donnait une directement de son béret. C’était un béret très spécial qu’elle avait cousu en Ecosse. Elle avait appris à coudre la lave des volcans grâce à des chants d’une beauté infinie. Elle avait ainsi crée son béret qui gardait la chaleur de la lave et la douceur de la mousse. Quand il s’usait, elle chantait les mêmes chants et il retrouvait son éclat. Son secret était là. Elle avait comme une maison soleil dans laquelle elle pouvait se réfugier  dès qu’elle en avait besoin. Il lui suffisait de chanter les chants pour réchauffer son béret et son cœur. Cette maison soleil, elle la suivait partout au-dessus de sa tête, elle avait même un toit comme un volcan, c’était sa maison, son Ecosse flottante. Eva Bouffier était partout chez elle et tout le monde espérait qu’elle s’attarde un peu ou du moins qu’elle revienne illuminer leurs jours.  

 

Dessin de Clara

Clara Bouffier

Clara Bouffier est une bergère qui vit en haute montagne. Là-bas, les montagnes sont si hautes que le soleil s’y pose pour faire un somme au milieu de l’après-midi. C’est ce qui donne à Clara son teint caramel. Il n’y a pas beaucoup d’arbres mais ceux qui vivent sont solides et vaillants.

En arrivant dans cette montagne Clara avait d’abord eu peur. Elle avait donc décidé de se construire une grande maison, très solide. Avec des grosses pierres. Elle y avait passé beaucoup de temps et d’énergie. Tellement, qu’elle ne s’était pas rendue compte que l’herbe commençait à manquer pour ses moutons. Plus les moutons rêvaient d’ailleurs, plus la maison imposée son ancrage. 

En se réveillant un matin, Clara s’aperçue que ses moutons étaient tristes. Ils avaient chacun une larme perdue sur leur corps. Une larme qui avait dû couler dans la nuit et qu’ils avaient un peu oubliée. Elle se demanda quel malheur avait bien pu arriver. Elle imagina vite qu’un loup avait dû passer par là et en emporter quelques-uns, mais elle fit le compte : tous ses moutons étaient là. Ça ne tournait pas rond. Pour se rassurer  elle les compta encore. « Je ne comprends pas, se dit-elle,  que veulent dire ces larmes ? » Elle s’allongea dans la belle herbe verte tondue par les moutons et réfléchit. Un par un ses moutons venaient la voir les yeux exorbités. Elle leur fit à tous un gros câlin. Elle-même sentait ses yeux tomber de chagrin, sans comprendre pourquoi. Elle se sentait bien dans cette montagne, que se passait-il ?  Quand le soir tomba,  elle souhaita bonne nuit aux moutons et se dirigea vers sa maison. Ils la regardaient partir et se mirent à bêler d’une étrange manière. Elle avait peur de rentrer chez elle. C’était bien la première fois qu’elle avait peur de la protection qu’elle avait créée. Elle fit abstraction et rentra. Mais elle ne ferma pas l’œil. Elle se sentait terriblement seule. Ses moutons bêlaient encore. Peut-être que eux aussi, de l’autre côté de sa forteresse, se sentait seuls.  Elle décida d’aller les retrouver et de dormir avec eux. Au chaud, en boule, au milieu de le leur laine. Elle passa une très douce nuit.

Le lendemain matin elle se sentait parfaitement bien. Elle vit que ses moutons étaient joyeux. Ils sautaient les uns au-dessus des autres. Elle sautait avec eux. Elle remarqua seulement à ce moment-là qu’il n’y avait pas assez d’herbe ici pour ses moutons. Elle les emmena un peu plus loin dans la joie. Le soir venu, elle ne pensa pas à rentrer dans sa maison. Elle dormi très bien. Les moutons s’en réjouirent. Peu à peu la maison qu’elle avait passait tant de temps à construire pour se protéger s’effaça de sa mémoire ou devrais-je dire se détacha. La façade se détacha, le chemin, même le toit orange vif finirent par se confondre avec les montagnes. Clara Bouffier avait trouvé une forteresse qui s’adaptait à tous les reliefs. Elle sautait, dansait et riait avec ses moutons. L’été ils revenaient souvent dire bonjour à l’arbre. Clara Bouffier en profitait pour faire un saut dans sa maison, comme un merci, mais elle n’y restait jamais trop longtemps. Ce qu’elle aimait elle c’était la belle étoile.  

Dessin d'Alice

Alice Bouffier

Alice Bouffier avait des allures de capitaine Haddock, pourtant elle ne vivait pas sur l’eau bien au contraire, elle vivait dans les hauteurs. Mais l’histoire raconte qu’il se pourrait bien qu’elle vienne de la mer. On dit que la marque sur son visage vient de la grande marée noire. Elle aurait était portée à contrecourant par de vaillants saumons tout le long d’une large rivière, jusqu’à être déposée sur un pont de pierre et de bois qui semblait avoir toujours existé et où elle allait être en sureté. L’enfant tenait dans sa main un petit hochet avec des grelots tout en or. Le tintement du hochet avait attiré une maigre chienne. Voyant l’enfant, la chienne s’allongea autour de lui pour le réchauffer. Elle lui portait une attention toute particulière. Il y avait comme une urgence à le faire vivre. Alors même qu’elle paraissait à bout de force, ses mamelles se remplirent de lait. L’enfant bu. Elle grandissait a vu d’œil, et plutôt que de faiblir, la chienne se voyait renforcée. Le hochet grandissait à la mesure de l’enfant. Dans ce paysage ou plus rien ne semblait vivre à part ce chien, Alice Bouffier et cette rivière, Alice se déplaça s’appuyant sur son hochet qui à cette taille ressemblait plus à une canne. Chaque coup de grelots semblait appeler la vie. Un arbre qui semblait mort, s’étira, devint immense et déploya ses bourgeons. De la terre, des plantes, des arbres, des fleurs commencèrent à surgir.  La chienne demanda à Alice comment tout cela pouvait pousser alors que rien ne vivait depuis longtemps. Alice Bouffier lui fit sentir son hochet. Il sentait mille odeurs, le mouvement, les vents marins, le sel, la marée qui monte et redescend... La chienne se pourlécha, prit le hochet dans sa gueule et gambada avec une joie nouvelle, elle courut si vite que la terre se mit à trembler. Au loin Alice cru voir l’écume des mers s’approcher d’elle. Elle se dit que c’était bien trop tôt pour que la mer vienne déjà la rechercher. Elle était tellement heureuse de ce qu’il se passait sur cette terre, comment les grelots la faisait chanter, la faisait vivre. Elle voulait y rester encore pour découvrir quelques merveilles. Puis elle remarqua que l’écume avait des têtes et des pattes qui piétinaient le sol. « C’est l’écume des terres », s’exclama-t-elle. Heureuse elle remercia sa mère chienne d’avoir rassemblé ce beau troupeau. Elle ne comprenait pas pourquoi elle était là ni qu’on lui offrit tout ça, mais une chose était sûre c’est qu’elle allait en prendre soin. 

Dessin de Lola

Lola Bouffier

Dans une vaste plaine entièrement blanche, sans aucun relief, le vent soufflait sans relâche, comme une cascade. Lola Bouffier avait été sculptée par ce vent. Elle sentait à l’intérieur d’elle ce mouvement perpétuel. Ce vent intérieur. Elle se laissait porter par lui. Ce qui faisait qu’elle voyageait beaucoup. Tantôt elle allait avec le vent extérieur, tantôt elle allait contre. Rien ne se figeait. Pour dormir elle se laissait emporter par les courants. Elle aimait en cherchait un, chaud et doux. Ils étaient assez rares mais elle avait appris à les repérer. Dès qu’elle en sentait un, elle se précipitait dessus et dormait aussi longtemps qu’il durait. Une fois il dura tellement qu’elle parcouru des kilomètres et des kilomètres. Peut-être aurait-elle pu atteindre le bout du monde sur ce courant. Mais elle fut brutalement stoppée. Ce jour-là,  elle rencontra un arbre ou plutôt elle se réveilla éclatée contre un tronc. Une fois remise du choc, elle fut complètement émerveillée. L’arbre était blanc et avait un tronc très penché, comme plié par le vent. Il parvenait tout de même à s’élever de mètres en mètres.  Complètement ébloui par ce pont qui s’offrait à elle Lola Bouffier décida de grimper dessus. Elle escalada ainsi pendant des heures et des heures, le vent dans le dos. Cette ascension lui donna envie de chanter et à mesure qu’elle chantait, l’arbre sur lequel elle marchait se colorait. Elle vit que l’arbre commençait à faire des bourgeons, des feuilles sortirent, toutes de couleurs différentes. Devant un tel spectacle Lola sauta de joie et chanta de plus belle. Elle envoya des notes avec des nuances qu’elle ne connaissait pas encore. La couleur des feuilles lui inspirait  des rythmes nouveaux, des émotions inconnues, elle découvrait tous les possibles de sa voix. L’arbre lui répondait en laissant naître des feuilles avec des couleurs toujours nouvelles. Peu à peu les feuilles se mirent à tomber et recouvrir le sol. Lola chantait avec tout son cœur, tout son ventre, toute la vitesse que son vent intérieur lui donnait. Elle resplendissait. Elle éclata en une multitude de rayons qui vinrent illuminer toute la plaine blanche. De ses rayons elle réchauffa toute la plaine devenue multicolore. Le vent sculpta dans ces feuilles colorées pleins de nouvelles formes. Et Lola Bouffier qui s’émerveillait de chaque nouveauté resta très haute dans le ciel immobile mais pleine d’une vitesse absolue.