Notre prochaine création, spectacle mêlant théâtre et musique, aura pour thème la maladie d’Alzheimer. Suivant la trame d’un voyage initiatique, cette fiction s’appuiera sur des témoignages de résidents d’EHPAD et de personnes de notre entourage. Nous souhaitons faire participer les élèves à notre recherche en les invitant à s’approprier les outils dont nous nous servons dans notre démarche artistique : la collecte de paroles et leur transposition scénique. Ce travail avec les enfants donnera lieu à des restitutions en EHPAD.
Initialement, nous souhaitions travailler sur la question de la fin de vie. Dans un monde où la population vieillissante est de plus en plus mise à l’écart, quel sens donner à la finitude ? Quelle place accorder aux personnes en fin de vie ?
Nous avons d’abord effectué une enquête dramaturgique à base de films documentaires, de fictions, d'écrits traitant de la question du vieillissement, mais aussi de nos récits personnels/familiaux. A la suite de ce travail, nous nous sommes rendues compte que nous ne désirions pas seulement travailler un corpus d’œuvres ni seulement puiser dans notre imaginaire, mais bien approcher le réel en provoquant des rencontres. Il nous paraissait nécessaire de nous immerger dans « un groupe-monde », une altérité qui nous questionne. Nous avons donc décidé d’accorder une place centrale à la parole et au témoignage de celles et ceux que l'on dit « personnes âgées » dans notre projet. La rencontre de complices vivant en maisons de retraite ou de proches de notre entourage deviendrait notre protocole principal de travail et le lien que nous souhaitions tisser avec eux constituerait le socle de notre spectacle. Les contours de notre quête documentaire se sont peu à peu précisés au fils de nos différentes résidences et séjours en EHPAD. Il s'agissait avant tout de faire preuve d’écoute, d’accorder du temps à la rencontre et de préparer en amont nos questionnaires en fonction des thématiques qui nous intéressaient.
Au cours de notre première résidence (une semaine passée dans un EHPAD des Yvelines), un thème s’est imposé à nous, venant éclairer sous un jour nouveau notre recherche : les maladies dégénératives, particulièrement la maladie d’Alzheimer. C’est ainsi que la question de la mémoire a pris une place conséquente dans notre recherche. De plus, il nous est apparu que l’envie d’écrire à partir de témoignages s’accompagnait d’un désir de fiction. Nous prenions le chemin de ce qu’on pourrait appeler une « fiction documentée ». Comment le destin d’un individu raconte l’universel. Nous avons inventé l’histoire d’une dame qui serait atteinte de la maladie d’Alzheimer et qui déciderait de partir en voyage en Suisse.
A travers cette histoire, nous voulons donner à voir et à entendre cette vieille dame non pas comme un être diminué qui arrive au terme de son existence, subissant la réduction de son espace de vie et le rapetissement de ses gestes, mais comme une guerrière mythique qui traverse gouffres et abîmes intérieurs avec le courage et la détermination d’une héroïne tragique. Comment rendre spectaculaires les actes de résistance infimes qui subsistent au cœur de celui que l'atteinte de l'âge contraint ?
Nous nous orientons vers une écriture de plateau, très composite, faite d’extraits de témoignages et de passages écrits qui raconteront les souvenirs recomposés de la vieille dame. Nous tenons à défendre une langue forte dans notre écriture. Nous avons été marquées par la finesse d'expressions de « l'ancien temps », l'extraordinaire richesse verbale, littéraire, de la langue orale de bon nombre de vieilles personnes. A ceci, qui nous apparait comme un immense legs, nous souhaitons ajouter et retranscrire la fantaisie et la cruauté induites par l'atteinte de la maladie d'Alzheimer qui ouvre grand les vannes mentales, ainsi que la pureté, la cruauté déroutantes des phrases et des mots prononcés dans le voisinage de la mort.
La musique tiendra une place prépondérante dans notre projet. Les liens entre la chanson et la mémoire sont extrêmement puissants, et nous souhaitons utiliser ce vecteur pour dessiner les contours d’un objet aussi fluctuant et fuyant que le souvenir. Pour cet aspect de la pièce, nous ferons appel à un compositeur.
Enfin, nous cherchons un rapport avec le public qui soit non-conventionnel, performatif et qui peut-être nous amène à improviser durant les représentations. Nous cherchons dans le jeu une grande disponibilité à l’instant présent.
Notre idée est de faire participer les enfants à la construction de la trame narrative au travers d’exercices et de jeux. Les instants de délire du malade d’Alzheimer, absurdes en apparence, ressemblent en un sens à la spontanéité de l’enfant encore préservée des conventions relationnelles.
D’autre part, nous prévoyons d’entrer en contact avec des EHPAD de la région et souhaitons organiser un temps d’échange entre élèves et résidents.
Par le(s) artiste(s)