La définition du terme forêt concerne le dedans, et le dehors, voire ses marges. Elle est un écosystème complexe et riche, offrant des habitats à de nombreuses espèces et populations animales, fongiques et microbiennes entretenant entre elles, des relations d'interdépendance. Elle sera notre objet d'étude, en s'intéressant à ses histoires, ses liens et ses habitants qu'ils soient réels ou imaginaires. Sous forme de récoltes, d'études graphiques, de prises d'empreintes, d'expérimentations corporelles, ce territoire fortement boisé deviendra notre terreau artistique. Les enfants participeront au processus de création. Les recherches seront exposées au sein de l'école d'accueil (dessins, modelages, photos, vidéos, danse, installation).
A partir d'une installation L'arbre qui cache la forêt, arbre fait de matières textiles et végétales, nous avons rêvé créer une forêt. Une forêt symbolique qui représenterait et élargirait l'idée même de forêt, celle de notre enfance, de notre inconscient, celle que nous ne connaissons pas encore. La forêt comme un lieu de partage, de rencontre, de collaboration. Ce serait une forêt hybride, faite d’espèces rêvées, d’arbres et d'êtres mixés. Elle serait lumineuse et inviterait à l’initiation, au passage. Une cinquantaine d'arbres verrait le jour.
Et nous avons rêvé plus loin. Partir voir la forêt, s'imprégner d'elle pour expérimenter, muter avec et à l'intérieur d'elle, rencontrer ses habitants, partager avec ceux qui la connaissent, dialoguer avec les enfants qui la côtoient.
Vivant en Ile-de-France sur un territoire fortement urbanisé et considéré comme le coeur de la France, nous avons imaginé partir sur une de îles de France fortement boisée. Trois îles arrivent en tête: la Guyane, la Corse du Sud et la Réunion, toutes les trois couvertes à plus de 50% de forêts.
Dans une optique de work in process, ce rêve de créer une forêt a eu un début et est déjà passé à la réalité concrète. Nous avons planté des graines dans des parcs. Ce sont des actes artistiques symboliques qui visent à nourrir l'espace-temps pour le modifier. Ces graines viennent de récolte de coquilles, anciens habitats, maisons abandonnées. A l'image de certains crustacés qui les réutilisent pour leur donner une nouvelle vie, nous les transformons pour leur donner une nouvelle utilisation. Tels des ready made, les coquillages prennent une autre possibilité d'existence en se transformant en graines symboliques mixés avec l'art féminin et contemplatif/réflexif du crochet.
Nous envisageons ainsi l'action artistique dans le temps comme une transformation, pour germer, devenir arbre, devenir forêt, fleurir et donner des fruits dans un avenir proche. Le monde végétal nous enseigne une autre temporalité nécessaire à une transformation alchimique. Un autre vocabulaire se crée dans ce devenir plante.
Pour Danser la forêt, nous travaillerons avec l'idée du recyclage. Pour cette transformation de la matière, nous "récolterons" de vieux habits, vêtements, pour les transformer en objet d'art, en costume, qui danse avec l'aide du corps du danseur/performeur, de celui qui le revêt. Cette notion de second cycle est en accord avec les cycles de la nature (ce qui n'est plus utile à l'un, devient une richesse pour l'autre), rien ne se perd, tout se transforme. C'est une contre-production, dans le sens d'aller à l'encontre de la production massive du capitalisme globalisé et du système de consommation.
Nous récolterons aussi des histoires, des mythes, des contes, des récits locales pour trouver des couches souterraines, cachées, archétypales, pour les traverser d'une manière transversale, pour les croiser avec d'autres. Ces récits se retrouvent dans des cultures lointaines, en apparence étrangères et disparates, mais qui contiennent les mêmes principes universels. C'est le cas de cet être qui tourne (cf. photo principale), comme un derviche, mais aussi comme un orixá brésilien. Tous les deux, par exemple, cherchent cette connexion de l'homme avec le cosmos, avec la nature, et sont porteurs des philosophies, des pensées/actions.
Les étapes de travail sont alors envisagées dans l'optique de l'écosophie en articulant les trois écologie : environnementale, sociale et mentale. Car, de même qu'un arbre est un système en soi, nous envisageons des corps-paysages, des ensembles, des organismes vivants les uns toujours en rapport aux autres. Pour cela, l'interdisciplinarité sera notre base de travail. Comme un flâneur, nous nous baladerons dans les disciplines pour nous en nourrir: théâtre, danse, arts plastiques, musique, littérature, photographie et cinéma.
Cette ouverture permet aux différents individus de s'exprimer selon leurs singularités et de collaborer ensemble. Nous deviendrons alors les intercesseurs les uns des autres. Nous sommes ici tous considérés comme des artistes potentiels, et les différentes techniques abordées permettent de devenir non seulement des artistes, mais des techniciens les uns des autres. Nous cherchons ainsi une complémentarité par la différence. La forme finale de la résidence est un résultat d'une expérimentation hybride. Elle découle de chaque expérimentation entre les différentes approches, possibilités et individus.
Historiquement et conceptuellement, la performance art permet ce dialogue entre les différentes disciplines et individus. Le but n'étant pas d'effacer les spécificités des disciplines et des champs artistiques déjà existents, mais plutôt les barrières et les frontières qui empêchent les rencontres, collaborations, hybridations.
Il est de même pour l'art contemporain, et dans ce sens nous nous inspirons du philosophe Agamben, pour qui la contemporanéité ne peut pas exister sans la compréhension et la recherche des nos ancêtres, de ceux qui nous ont précédé, de nos racines. Nous pouvons trouver ces êtres mythiques, archaïques en communiant avec la nature. Mais aussi dans le partage de textes et récits qui portent le mythe dans un dépassement temporel. Le mythe parle toujours de la condition humaine et de ses rapports avec la nature, avec des puissances extérieures et intérieures. Le mythe est image et langage. Il est autobiographique et autofictionnel. D'où notre désir de parler de nous, de donner la place à chaque individu, pour que chaque participant du processus trouve son mode d'expression, pour que nous puissions dépasser l'individualisme et accéder à l'individualité. Il s'agit d'un devenir monde.
Les différentes approches de la connaissance nous aident ainsi à créer de nouvelles connexions, agencements, cartographies, compréhensions, sensibilités, perceptions. Le partage nous permettra de nous émerveiller avec ces possibles, avec ces synchronicités. A l'ère de la virtualité, comment ne pas s'étonner devant cette coexistence des différents mondes et espace-temps possibles? De trouver des résonances entre la physique quantique et la pensée mythique, philosophique et ancestrale japonaise, par exemple? C'est la force des archétypes, de ces images, connaissances collectives et archaïques - car atemporelles - que nous chercherons et que nous transmettrons aux élèves qui suivront notre projet.
Par le(s) artiste(s)