C'est toi le portrait ! vise à réaliser des portraits filmés ré-inventés, quelque part entre le documentaire et la fiction.
Invitation, pour un groupe d'enfants du primaire, à jouer avec la représentation d'eux-mêmes, cette autorisation à se raconter et s'imaginer librement en image et en son, est également pour moi l'occasion de poursuivre des recherches formelles en expérimentant de nouvelles formes visuelles pour documenter l'intime, l'imaginaire et l'invisible.
J'explorerai des formes courtes sur le mode du portrait face caméra pour représenter ces images d'eux-mêmes rêvées, imaginées, enrichies de matériaux visuels et sonores produits par eux au cours d'ateliers (photos, dessins, enregistrements).
C'est toi le portrait ! fait suite à la réalisation de documentaires et de vidéos de portrait, à mes recherches techniques sur l'image, à mes frustrations, mes désirs, mes idées qu'ils ont fait naître.
Avec cette résidence de recherche et de création, je souhaite prendre le temps d'explorer de nouvelles formes visuelles pour raconter en image et en son des réalités cachées, invisibles, rêvées...
C'est pour moi une invitation à inventer librement, en dehors des codes et des attentes du genre. Une sorte d'autorisation pour quitter la représentation classique et photo-réaliste du réel, la monstration en image naturaliste de ce qui se voit au premier abord. Il s'agit là d'une double recherche : partir du sujet réel et le dépasser, partir de l'image documentaire et la dépasser.
Sur le sujet et le fond, il y a le désir d'aller au delà du visible, s'éloigner du réel pour documenter ce qui n'est pas dit, ce qui ne se voit pas, ce que l'on cache et ce que l'on rêve. Sur la forme, il y a le désir, pour documenter autrement ces réalités intérieures ou inventées, d'expérimenter, en invitant dans l'approche brute de l'image documentaire des formes venues d'ailleurs : du cinéma de fiction, des trucages, du cinéma expérimental, des effets visuels et des arts graphiques et numériques.
Ces deux désirs se conjuguent dans l’idée d’explorer l’espace de liberté que le cinéma se doit d'être, pour s'éloigner du réel et mettre en scène de la manière la plus sensible des réalités imaginaires.
Le cinéma et le récit en images sont pour moi des espaces de réalisation des possibles. Les images sont des lieux où il est autorisé de faire autrement, de voir autrement, y compris soi-même. Les questions de représentation de soi et les envies de jouer avec, de les transformer, les ré-inventer sont particulièrement présentes et importantes chez des enfants de fin du primaire. C’est à ce croisement que je vais travailler en les associant pleinement, en réalisant ensemble des petits films de portraits de ce qu'ils sont mais qui ne se voit pas, de ce qu'ils souhaiteraient être, de ce qu'ils rêvent et inventent d'eux-mêmes. Se rêver autrement, se donner une nouvelle apparence, se penser d'autres capacités ou pouvoirs, transformer son environnement ou en changer et trouver les formes pour mettre en image et en son cet autre-soi. C'est toi le portrait ! est alors là pour revendiquer l'image comme l'espace libre de cette représentation-invention.
Qu'il soit peint, photographié ou filmé, le portrait pose toujours la question de la trace qu'on laisse de soi pour maintenant ou pour plus tard. Le cinéma, par son essence-même de capture d'une réalité animée et sonore, est devenu le médium parfait de la conservation de la réalité que l'on souhaite sauvegarder et montrer aux autres. Le portrait m'est rapidement apparu comme un lieu propice à ce chemin d'exploration allant du réel et visible à l'enfoui et rêvé. Il est le bon point de départ formel pour apporter des dissonances à l'apparence, au connu, pour cheminer jusqu'à un portrait ré-inventé, imaginaire et pouvoir ainsi chercher à représenter et archiver des émotions, de l'imaginaire, du sensible.
Chaque film-portrait sera alors un petit laboratoire sur l'image que l'enfant aura créée de lui.
J'imagine pour l'instant que chaque portrait commencera toujours de la même manière : une image fixe de l'enfant sur un fond uni face caméra, un portrait photographique réaliste. Puis, un élément dissonant vient perturber la fixité et la réalité : un mouvement, l'apparition d'un élément... Le portrait s'anime, l'action commence.
L’élément dissonant et la forme filmée peuvent prendre de multiples formes. C’est là que ma recherche formelle se conduira. À partir de l'imaginaire de l'enfant filmé, de la rencontre et des ateliers réalisés en amont du tournage, j'expérimenterai une forme adaptée à la représentation de cet autre ré-inventé. Je jouerai avec des effets au tournage (effets optiques, effets de perceptives...), des jeux de lumières (lumière mobile, changeante), des jeux avec le fond, irruption d'éléments (la pluie qui se met à tomber par exemple), des effets de post-production (surimpression, jeu avec l'étalonnage, trucage numérique), des mélanges de matériaux (photos, dessins...).
Pour travailler l’image de soi, nous utiliserons différents outils (l'écriture, le dessin, la photo, la parole, la chanson). Pour les temps de création en commun et de développement d'un langage de l'imaginaire, j'aimerais proposer aux enfants de produire de la matière visuelle et sonore, avec moi et sans moi. Ils accumuleront du son et de l'image (en s'enregistrant, en filmant, en prenant des photos, en dessinant et en mélangeant les outils) permettant de cerner cet autre eux-mêmes qu'ils souhaitent représenter. L’univers sonore de chaque portrait sera également travaillé et pensé dans le mouvement de cette ré-invention, en cherchant à s'éloigner de la parole explicative et narrative. Les portraits seront sonores mais peu parlants. Ma défiance envers les mots qui se veulent porteurs du sens et de la vérité, me conduira là encore à expérimenter des formes, jouer avec la parole et les mots, pour trouver des représentations sonores et sensibles de leurs imaginaires. Ces matériaux pourront être réutilisés dans les portraits finaux si cela me semble intéressant.
Les temps de recherches, en dehors du groupe d'élèves, permettront d’écrire les mises en scène et les dispositifs de chacun des portraits. Je ferai des essais filmés avec les effets, jeux avec l'image et viendrai les présenter pour les associer aux étapes de création. En fin de résidence viendra le tournage. Un groupe peu nombreux faciliterait la réalisation du projet.
J'imagine une restitution sous forme d'installation. Une sorte de photomaton inversé : une simple cabine dans laquelle on vient s’asseoir seul et dans laquelle, après avoir tiré le rideau, on regarde sur un écran les portraits ré-inventés. Au lieu de réaliser son portrait, on assiste à celui d'un autre. J'aime assez l'idée de construire un lieu plus intime que la salle de cinéma pour vivre cette rencontre avec un autre derrière un écran et chercher, là encore, à inviter les récits et les images là où ils ne sont pas attendus. Cette cabine pourrait être installée dans l'école et pourquoi pas, faire naître alors une installation mouvante pouvant accueillir d'autres portraits rêvés au fil du temps.
C'est toi le portrait ! est donc une invitation à l’aventure, une invitation à jouer avec la représentation de soi pour un groupe d'enfants du primaire et pour moi le prolongement d’une recherche formelle. Mon souhait est de profiter de la configuration de cette résidence pour lier totalement recherche, création et transmission et d'explorer un rapport de création où le film est la combinaison de plusieurs mouvements créatifs, celui du filmeur et celui du filmé.
Par le(s) artiste(s)