Le projet 3020 traite de l’invention d’un peuple. Il s’agira de réfléchir sur ce qu’est le métissage dans un contexte occidental et comment se manifeste le mélange des cultures aujourd’hui au sein des familles et des communautés pour pouvoir inventer une communauté fictive du futur. Il s'agira de construire un territoire, une langue et des coutumes à partir d'études de fonds muséaux ou d'archives locales ainsi que la collecte d'informations sur la communauté locale du lieu de résidence.
Le projet s’articulera autour de la fabrication d’un corpus d’images, de textes et d’artéfacts sculpturaux témoignant du peuple 3020, fonctionnant comme un aller-retour entre recherche sur le terrain et production artistique assistée des élèves.
En France, les cultures s’entremêlent et s’influencent les unes les autres, parfois de manière inconsciente, tout en revendiquant une identité singulière. D’un côté, il y a une volonté de conserver une authenticité, mais une culture ne peut qu’évoluer, ou s’adapter, au contact d’autres manières de vivre et de penser. On assiste à l’émergence d’une nouvelle génération riche d’un passé pluriel qui se revendique ni totalement d’ici, ni totalement d’ailleurs. Le bouleversement des cultures et l’arrivée sur le territoire de migrants à différentes périodes de l’histoire questionne sur l’ailleurs et a eu pour conséquence de renverser les questions identitaires. Que signifie l’origine ? Est-ce l’endroit où l’on naît ? Où l’on grandit ? Où l’on s’installe ? Que veut dire avoir des racines culturelles ? Est-ce que ces questions ont vraiment un sens aujourd’hui ?
Edouard Glissant nous dit : « Je crois que seules des pensées incertaines de leur puissance, des pensées du tremblement où jouent la peur, l’irrésolu, la crainte, le doute, l’ambiguïté, saisissent mieux les bouleversements en cours. Des pensées métisses, des pensées ouvertes, des pensées créoles » Selon Alain Ménil, Glissant évoque un nouvel « ordre du monde », et pour qu’il se réalise, il faut qu’il y ait une collision, un choc entre plusieurs éléments hétérogènes qui, au lieu de venir strictement se contredire, produisent un sens nouveau ou un prolongement inattendu. Glissant souhaite bousculer le système artistique occidental clos qui s’imposerait comme modèle juste et unique. Lorsqu’il évoque le terme de créolisation, il y a l’idée d’un chaos créateur formé dans la rencontre de l’Occident avec ce qu’on appelle l’autre qui ne fait pas partie de l’histoire « officielle » comme le définit l’Occident. Dans cette vision du monde, la différence est une richesse productrice d’identités complexes qui permet de réfléchir la complexité des cultures contemporaines de manière poétique. Gilles Deleuze et Félix Guattari ont d’abord relevé cette organisation chaotique du monde sous la forme d’un « chaosmos » où « tout se fait par résonance des disparates ». Glissant y préfère la formule « chaos-monde » décrit comme : « Le choc actuel de tant de cultures qui s’embrasent, se repoussent, disparaissent, subsistent pourtant, s’endorment ou se transforment, lentement ou à vitesse foudroyante : ces éclats, ces éclatements dont nous n’avons pas commencé de saisir le principe ni l’économie et dont nous ne pouvons pas prévoir l’emportement. »
Nous penserons le peuple 3020 emporté dans chaos-monde fondé sur le croisement des êtres et des savoirs. Pas tout à fait d’ici, pas tout à fait de là-bas, les membres de cette communauté devront être imaginés de toute pièce. Nous pourrons alors en créer les symboles (drapeau, blason ou chanson nationale) le territoire (carte, villes, capitale), la langue (invention de nouveaux mots), coutumes et traditions (danses, costumes et recettes) dont certaines parties seront réalisées avec les enfants.
Pour comprendre comment envisager la question de l’identité dans la société contemporaine, nous verrons notamment l’importance de l’image empruntée et comment elle peut être une source de connaissance. Mais aussi qu'elle peut être détournée pour aller vers le fictionnel à travers un atelier de collage. Ces images seront ensuite associés à des objets fabriqués en s’inspirant des premiers outils inventés par l’homme ainsi que des nouvelles technologies et outils numériques. Ainsi, la rencontre fortuite d’un silex à touche fabriqué en pâte à modeler et d’objets récupérés pour nous faire réfléchir sur l’influence du passé sur notre présent. Nous verrons comment le fragment permet d'imaginer d’autres scénarios alternatif à la réalité et qu’agencer des images entre elles peut tisser du sens et de la fiction.
On observe dans le contemporain, des pratiques artistiques hybrides, autant dans leur mode de production que dans leur source d’inspiration. Ancrés dans un phénomène d’indiscipline envahissant tous les champs de recherches, certains artistes explorent leur(s) identité(s), se prenant au jeu de l’enquête, des sciences humaines telles que l’anthropologie ou l’ethnographie, dont ils empruntent les outils de recherche. Ils privilégient des formes produites ou empruntées, au sein d’oeuvres in progress. La finalité de ces oeuvres est moins d’apporter une vérité ou de soulever des questionnements, et d’interroger un mouvement à l’intérieur de l’identité, pour en dévoiler des fragments. Ainsi, la fiction et la narration s’immiscent là où l’inconnu se fait sentir et où le manque d’informations laisse place à une identité fantasmée.
L’hybridation des pratiques au sein du corpus d’œuvres témoignera de cette réalité sociale plurielle. Selon Marc Augé, la question n’est pas tant de savoir si le contemporain est un sujet d’étude ethnographique légitime, mais plutôt quel aspect de la vie sociale contemporaine peut relever d’une telle étude. Il faudra alors se questionner sur les formes d’enquêtes ethnographiques, ses capacités à apporter des preuves, à mettre en route un processus de réflexion. A partir du réel et d'une vraie étude de terrain, le projet dérivera vers le fictionnel pour créer tous les codes liés au peuple 3020.
Un schéma de recherche sera établi sur les six mois de création en déconstruisant les processus de recherche lié aux sciences humaines pour l'adapter à la création artistique. Les procédés utilisés seront de l’ordre de l’interview, la collecte de documents d’archives, et la fabrication d'artéfacts. Ces recherches constitueront le corpus de référence de la civilisation 3020 dont le but final est de constituer une édition qui sera entre l’ouvrage scientifique et le guide touristique ainsi qu'une exposition de type muséale témoignant des "faux" us et coutumes imaginés.
Par le(s) artiste(s)