Troisième Semaine

Troisième Semaine

Publié par Maëlle Reymond

Journal du projet

Semaine du 22 au 26 Janvier 2018

Atelier 3 : Cette semaine, nous avons exploré le rapport possible entre la poésie des mots et celle des gestes. Comme supports d’explorations et de discussions j’ai choisi 3 Haïkus (traduits en français pour les enfants) :

Tant et tant de choses

Me reviennent à l’esprit !

Fleurs de cerisiers !

Bashô

 

En prière tout le temps-

Me parlant

A moi-même

Jack Kérouac

 

Main dans la main dans la vallée rouge

Avec l’instituteur universel

Le premier matin

Jack Kérouac

 

L’idée étant que nous puissions partager ce que nous évoquent ces poèmes. Par associations d’idées, en rebondissant d’histoires en histoires, on en vient à imaginer que la vallée est remplie de cerises (Axel) alors on pourrait peindre tous les mouchoirs en rouges (Ambroise) ! Si on fait un gros tas avec les mouchoirs, ça me fait penser à un terrier de renard (Romain), ou à un enchevêtrement d’idées, ou de souvenirs…

Ce qui est magnifique dans ce genre de discussion en cercle, c’est qu’on passe par tous les univers (je n’ai relevé ici que quelques réflexions…). Sautant d’un regard à un autre, je ne suis jamais passée aussi vite de la profondeur à la superficialité, et vice-versa. C’est un vrai parcours de santé, où fusent mille et une idées, que j’essaie d’attraper au vol, de comprendre, ou de pousser vers plus de détails.

J’ai bon espoir que pendant mon absence (d’un mois) ces évocations continuent d’infuser, tant de mon côté, que du leur.

Après trois semaines d’immersion, je ressens vraiment le besoin de laisser le temps agir sur tout ce qui a été soulevé. Je laisse aussi le soin aux enseignants de prendre le relais, pour qu’ils continuent à explorer avec leurs élèves, toutes sortes de possibilités entres ces mots, ces gestes, et ces images qui se créent.

Les liens se mettent en place.

Au niveau humain aussi, je sens une équipe se former autour de ce projet, où chacun se questionne sur son rôle à jouer. Moi la première, je me questionne sur l’équilibre à trouver entre ma propre recherche, qui se révèle de plus en plus intime, et le degré de partage que j’instaure.

Cette semaine, j’ai proposé aux enseignants de l’établissement (pas uniquement ceux dont les classes participent à mes recherches) de venir une heure dans mon atelier, pour expérimenter (comme les enfants) autour de mes propositions : garder les bras en l’air ou me marcher dessus…

Quelle intimité étrange cela créer, de sentir sur mes organes l’interrogation – la vraie – de ces plantes de pieds adultes qui avancent sur un terrain, où elles ne sont jamais allées !

De plus en plus intense, j’ai cette impression, d’intimité étrange entre ce que je suis en train de créer et les yeux, qui petit à petit viennent à se poser dessus.

Chaque jour, j’ai profité de mes ateliers pour montrer un ou plusieurs extraits de mes recherches. J’ai vécu pour la première fois, ce contexte de 360°, où les regards (et commentaires…) viennent de tous les côtés.

Le cercle résonnait en moi comme une communauté, je réalise également, qu’il peut prendre l’allure monstrueuse de l’arène de cirque.

Je repense à une réflexion que je m’étais faite, il y a quelques temps déjà, sur la spécificité de ces espaces scéniques, même provisoirement créés, qui spontanément transforme l’être qui y apparait. C’est très mystérieux cette bascule, entre le moment où chacun s’assied, où l’on se dit bonjour, et l’instant où quelqu’un se pose à l’intérieur pour danser, il y a comme une perte de la qualité d’humain. Cette personne devient une – autre – chose, dont la destinée peut à loisir être commentée… C’est curieux cette réaction du public, face à un corps qui évolue en silence, de le considérer naturellement comme sourd. Comme si un corps qui n’émettait pas de son, ne pouvait pas en recevoir…

Entre les oh ! les ah ! les beurk ! les ça doit faire mal ! mais comment elle fait ! elle est toute rouge ! ça tremble ! Les enfants parlent de mutant. Il parait que certaines parties de mon corps se sont interchangées. Certains creux apparaissent béants, notamment sous les aisselles, il parait que c’est dégoutant. (Déroutant ?)

Finalement, je retrouve autour de ce cercle, les mêmes réactions amusées et amusantes qu’ils ont eues, mi-fiers mi-inquiets, lorsque certains m’ont marché dessus.

Une autre constatation : au cours des 40 improvisations qui ont eu lieux ces deux dernières semaines, j’ai observé que les enfants ont quasiment tous un rapport très direct à la matière, avec l’envie d’une immersion totale. En voyant tous ces enfants, de différents âges, chaque jour et ce, sans se concerter, se jeter dans les mouchoirs, avec le même plaisir, je me suis vraiment demandée pourquoi de mon côté, l’évidence avait été tout autre…

Spontanément (je ne sais pour quelle raison), j’ai considéré ce sol jonché de mouchoirs, comme la résultante d’une action antérieure (comme une pluie à laquelle je n’aurai pas assisté) mais dans laquelle, j’aurai eu le plaisir de pousser.

J’ai vraiment cherché à exploiter la distance que je peux créer avec eux, comme sédiments de croissance. En m’éloignant, il y a une tension qui nait immanquablement : la verticalité, d’un corps qui tente tant bien que mal d’exister entre terre et ciel. Au milieu. Même si naturellement on est toujours beaucoup plus proche de la terre que du ciel. Il y a quand même la possibilité d’envisager la réversibilité du paysage. Parce qu’un sol rempli de mouchoirs ressemble autant à un ciel rempli de nuages, qu’à un champ rempli de neige… Tout dépend dans quel sens on regarde le tableau, et dans quel sens on oriente le corps.

De mes recherches, je confirme donc que la verticalité est fondamentale dans ce que je suis en train de traverser. Je confirme le pivot vecteur de transformations. Et je confirme aussi l’intuition du Haïku calligraphié en un seul souffle.

Le reste est encore suspendu à d’innombrables possibilités… qu’il me faut davantage explorer, ou davantage laisser reposer.