L’insaisissable est un solo de danse, inspiré des Haïkus, simple et évocateur. Visible à 360°, il met en jeu un corps, en perpétuelle transformation, dans une rotation continue. Comme la terre, au contact du sculpteur, le corps prend forme en tournant, laissant apparaitre, l’ombre d’un instant, les multiples facettes, de ce qu’il peut être. Pluriel et singulier à la fois. « Comme un éclat de désir qui passe avec le silence. » (Jean-Pierre Colombi, poète français) L’insaisissable puise son essence dans l’indicible et l’abandon à l’imaginaire.
L’insaisissable : ce qui échappe, ce qui ne peut être retenu. Là où il n’y a pas de prise, il y a la possibilité d’ouvrir encore les bras… Ce n’est pas simple de s’exprimer de manière précise. On a beaucoup de mots, d’expressions parlantes, de gestes, d’intentions. Mais cela ne suffit pas toujours à traduire fidèlement une pensée ou une sensation. On peut avoir recours aux figures de style, telles que les oxymores, pour faire éclater une vérité profonde entre deux notions opposées. On peut aussi, comme les peintres, ajuster des couleurs côte à côte, avec le secret espoir de faire naître entre l’indicible présence, l’insaisissable, la notion, qui n’est contenue dans aucun mot, dans aucun geste, mais entre… Celle que l’on aperçoit de manière fugace, lorsque le sculpteur, patient et tenace, enlève jour après jour de la matière pour découvrir l’essentiel et offrir au monde l’intérieur de ce qu’il a à dire. Danser, c’est encore une manière de s’exprimer avec poésie en créant des tableaux éphémères, où le corps et l’espace se sculptent mutuellement. Ce n’est peut-être pas la manière la plus parlante, mais c’est celle que j’ai choisie. Parce qu’à mon sens, elle accepte généreusement cette notion d’insaisissable. Avec la danse, on sait qu’on est dans l’instant, qu’il n’y a pas de prise possible. Car la signification profonde d’une danse, c’est tout sauf quelque chose que l’on peut saisir. Éventuellement, c’est elle qui nous saisit, qui nous embrasse de l’intérieur, mais pas l’inverse. Comme source d’inspiration et point de départ concret, je voudrais travailler sur les Haïkus. Forme courte de poème japonais, qui contient la poésie de l’instant. Frais, concis et éclatant de vérité, le Haïku est écrit spontanément d’un ressenti conscient. Il n’est pas lié à la compréhension intellectuelle des choses, mais plutôt à une forme de vécu personnel. En évoquant, de manière malicieuse ou mélancolique, l’éclat sacré qui est au cœur de toute chose, il invite le lecteur dans une errance réduite à l’essentiel. Un voyage instantané. Traditionnellement calligraphié, il peut être lu, de par sa brièveté, en une seule inspiration. Il est la goutte de rosée dans laquelle le monde est reflété. Il contient ces deux qualités : l’instant et l’éternité. Le minuscule évènement dans l’immensité. Ce qui advient dans ce qui est. Construit en trois vers : court - long - court (de 5, 7 et 5 syllabes) il se déplie comme un triptyque entre deux temporalités, celle d’une saison évoquée, et celle d’un état intérieur. De cette double notion, j’en ressors l’envie d’explorer deux musicalités qui puissent me permettre de transmettre ces sentiments de brièveté et de longévité, ce constat d’état intérieur face à un état extérieur. Je recherche également au travers de ces lectures un dialogue entre le corps et l’écrit. Comme un élan de l’un vers l’autre, pour tisser une matière significative, qui ne puise pas sa force dans la compréhension des différents éléments, mais plutôt dans le ressenti de chaque particularité, dont la présence modifie l’ensemble. C’est vraiment cette idée empruntée à Milan Kundera que « Chaque nouvelle possibilité qu’a l’existence, même celle qui est la moins probable, transforme l’existence toute entière. » Je vais donc chercher à transformer l’existence de ce corps à l’intérieur de cette rotation continue. Comme un déroulé de vie, où jour après jour, les particularités construisent la verticalité de l’être. Tantôt décelé lors de mes recherches personnelles, tantôt révélé lors des ateliers, chaque petit évènement pourra y être incorporé.
Tarn
Par le(s) artiste(s)