Qu'est-ce qu'on se raconte ?

Qu'est-ce qu'on se raconte ?

Publié par Laura Pouppeville

Avant de partir, j’ai demandé à ceux qui se trouvaient autour de moi
« Toi tu as des souvenirs de l’école primaire ? ».
Souvent ils se mettaient à le raconter d’une traite, ce qui m’étonne toujours, moi qui me souviens de rien.
« Attends, écris-le et tu me l’envoie ».
Au fur et à mesure, je recevais des histoires, suffisamment pour que chaque élève que j’allais rencontrer puisse s’emparer d’une d’entre elle, devenir « responsable » d’elle comme on le nommera par la suite.

Avec mon vélo électrique, on s’installe dans un chalet au coeur de la fôret du Lot. Il fera tant bien que mal pour m’amener tous les jours à l’école. Il passe le test du paysage valonné à merveille, 30 km/h en descente, 8 pour monter. Il a du s’incliner juste une fois devant la neige. 9h c’est tôt, 16h30 aussi. Il faut se faire au rythme.

– C’est quoi cette histoire ? J’y crois pas. Elles sont fausses tes histoires.
– Non, elles ont été écrites par ma famille et mes amis.
– Quoi, il y a vraiment quelqu’un de ta famille qui a eu un Z en bavardage ?
– Oui, toutes les histoires se sont vraiment passées.
– Pauvre Paulo …

Et ici, c’est quoi les histoires ?

Au fond de la classe, j’observe. Ils me font rire. « Maîtresse » « Maîtresse » « Maîtresse » « Maîtresse », Blandine saute entre les CM1 et les CM2, les jaunes, les verts, les violets et les rouges. 15 se connaissent depuis la maternelle, ils se suivent d’école en école – ici, une école = une classe = deux niveaux scolaires. Il y a juste Alexandre qui habitait Dijon encore l’an passé. Mais Alexandre il est bien là, avec les autres, intégré dans cette équipe-famille. Ils viennent à l’école en car ensemble, jouent tous ensemble à la récrée, mangent tous à la cantine.

Heure du déjeuner, Coco a cuisiné des moules-frites pour les 16 élèves et les 3 adultes de l’école. Aujourd’hui c’est spécial. Des sourires gênés et impatients. Ça doit faire trop longtemps qu’ils gardent le secret. Lucie a caché la gâteau sur la chaise de Coco. Coco s’approche, moment de silence et de panique jusqu’à ce qu’elle reparte. Ouf, on a tous cru qu’elle allait s’asseoir. D’habitude elle revient jamais dans le réfectoire après avoir terminé son plat. Le moment est venu : une pierre précieuse, « joyeux anniversaire Coco », un pot décoré maison, « happy birthday Coco », un porte-clef, « féliz cumpleanos Coco », un attrape-rêve.

Retour tous ensemble en car. Au bout de la pente, il y a Saint-Sozy. À Saint-Sozy ce qui compte c’est la supérette de Corine. – Bonjour, bisous, comment ça va ? – On peut même s’asseoir pour y boire un thé ou café. C’est là que Coco achète de quoi nourrir l’école. À Saint-Sozy, il y a aussi la nouvelle école qui se construit. Les classes de Mayrac, Creysse et deux autres villages voisins seront réunies dès septembre prochain. Au moins dans la nouvelle école, il y aura des WC adultes et enfants séparés. Et il n’y aura plus besoin de garder son bonnet pour y aller. Mais qui fera à manger pour les 90 bouches rassemblées ?

Produire constamment du récit. Fabriquer le présent et les souvenirs.
Raconter.

Ça semble être plaisant. De temps en temps ils se lèvent et se tiennent devant le micro et toute la classe pour raconter un souvenir. On met en place des jeux de transmission de récit. On se filme. On s’enregistre.

Puis quoi faire de ce qu’on nous raconte ?

Je reviendrai en mai quand il fera plus doux. Jusque là, ils sont devenus « responsables » d’un espace et d’un adulte de l’école.
– Non, ça ne veut pas dire que vous pouvez le punir. Responsable, ça signifie que vous avez en charge de récolter ses histoires.
De mon côté, je me chargerai de confier leurs réponses à mon entourage qui leur avait écrit. La correspondance commence.