Ils / elles étaient variables.

Ils / elles étaient variables.

Publié par Laura Pouppeville

L’adjectif peut prendre toutes les formes.

Après l’hiver, après les vacances scolaires et les jours fériés printaniers : retour en classe.
Classeurs,  cahiers de texte, lutins transparents. Et la pochette rouge que j’avais distribué à chacun la dernière fois pour collecter les récits, qu’est-ce qu’elle contient depuis ?

La journée commence toujours par le français.
« À l’intérieur virgule les murs sont peints de couleurs vives et la sculpture est peu présente point final. »
Les doigts se lèvent. La main bien tendue. Le bras bien vertical. On s’étire haut pour être celui qui aura le doigt le plus près du plafond et remporter la chance de partager son savoir, ou ses erreurs d’ailleurs. Qui tiendra le plus longtemps ? « Yes, j’étais la première comme d’habitude. »
« C’est, c aspotrophe, e, s, t. Une, u, n, e. Série, s, e accent aigu, r, i, e. Colonnes, c, o, deux l, o, deux n, e, s. »
Un bras confiant. « J’ai écrit série avec un c. »
Un bras énergique. « J’ai écrit série avec un e à la fin. »
Un bras fébrile. « Le premier fait bizarre. »
Être celui qui donne la bonne réponse. Stylo vert pour corriger le bleu avant que la maîtresse y passe du rouge. Les bruits de blanco jouent toute la journée. Celui où l’on entend la petite bille s’agiter dans le tube pour que le filet de blanc s’échappe de la pointe. Ou l’escargot qui se déplace sur la feuille en laissant trainer bruyamment sa bave correctrice.
« C’est invariable de toute façon. »
                  Une conjonction est invariable. Elle met en relation deux éléments au sein d’un énoncé. Selon la nature de la relation, il faut distinguer la conjonction de coordination :  les deux éléments sont de même nature mais indépendants,  et la conjonction de subordination : elle est dépendante de l’élément principal.

Puis vient le temps des mathématiques.  « Ça ne s’arrête jamais. Cette opération est infinie. Quoi qu’il arrive, il y aura toujours un reste. Et toujours le même : 1. On ne peut pas la finir. »

À ma place au fond de la classe, j’observe, je note, j’enregistre et je photographie. Puis j’invite les enfants à faire de même. On fait des listes infinies. Qu’on ne peut pas finir. Quoi qu’il arrive, il y aura toujours un reste : un objet, un bruit, un déplacement, une couleur, une matière, un motif que l’on n’aura pas listé. Il y a trop de variables.

Entre temps, j’ai fait le même travail de récit et collecte de déplacement sur l’école avec les enfants de Creysse, où se déroulent les enseignements de CE2-CM1. Forcément, ceux en CM1-CM2 aujourd’hui à Mayrac, y sont passés l’an dernier. Sauf Alexandre qui n’était pas dans la région avant cette année. Mais Alexandre habite à Creysse alors ça lui parle dans tous les cas.
On affiche les plans de Creysse fait pas les élèves actuellement dans cette école.
On projette les vidéos sur lesquels ils expliquent leur plan.
« Mais quoi ? 300 pas pour aller à l’autre pré ! Ils se sont trompés ! »
Indignés, ceux de Mayrac se lancent dans l’écriture, les dessin, les plans, avec une grande implication pour rétablir la vérité : leur réalité de l’école de Creysse, celle de leurs souvenirs du moins. On se filme, face à la caméra cette fois. Champ, hors-champs, position devant la caméra, lancement du micro.

Enfin, toutes ces divergences se mixent et se retrouvent sur un même format – quelques mètres de plastique transparent couvre-livre – pour construire un plan collectif. Qu’est-ce qu’on raconte ? Qu’est-ce qu’on dessine ? Quelles couleurs et quels matériaux pour quelles informations ? Les décisions se prennent tous ensemble, la production commence. Certains au dessin, certains au plan, certains aux déplacements, certains aux récits, certains aux photographies. Puis on échange. Encore une décision restera à prendre la prochaine fois : quelle forme finale donner à ce travail de relevé et mémoire pour qu’il puisse exister dans la nouvelle école ? Tapis, rideaux, fond d’horloge ? Nous ne sommes pas encore tous tombés d’accord. Ça viendra.

Entre temps, nous avions regardé des extraits du film de Robert et Delphine Milin, L’art, les gens, l’artiste. Les deux enfants nous font bien rire avec leurs intonations et vocabulaires d’adultes. Mais plus sérieusement, qu’est-ce qu’ils racontent ?
« L’artiste peut travestir la réalité.»
« Tu peux filmer la réalité de ce que tu veux. »
« Ça dépend de l’endroit où on est. Par exemple, si on va dans une petite île de l’océan pacifique il y a 100 ans, ce décor serait tout à fait inhabituel. Donc l’art, sur le moment, sur le le lieu, c’est l’habitude. Mais à d’autres endroits c’est quelque chose comme un rêve, tout à fait nouveau. »
Oui, tout ça on l’a bien désormais intégré .

Retour en bus scolaire jusqu’à Saint-Sozy.