Sorgeloos, Herman, Cédric Andrieu, Jérôme Bell

Principes (3/3) Occuper l'espace

Publié par Paul Andriamanana Rasoamiaramanana

Journal du projet

Les premiers temps du travail avec les enfants ont été des ateliers de recherche sur le mouvement. En m'appuyant sur trois exercices effectués par les enfants, je développe comment j'ai avancé dans ma recherche personnelle.

« Le pointeur » Mars 2017

Au début de Cédric Andrieu de Jérôme Bell, Cédric Andrieu montre au public certain des exercices de danse qui l'ont marqué au début de sa carrière de danseur. L'un d'eux est un exercice de Dominique Bagouet – dont j'expliquerai le déroulement un peu plus loin. En voyant cet exercice exécuté sur scène, un peu ennuyeux pour le spectateur, j'ai compris l'importance qu'il pouvait avoir pour un interprète. Je suis très sensible à la géométrie d'un espace et à son volume et trouve nécessaire, pour pouvoir y évoluer, d'éprouver le rapport d'échelle entre cet espace et mon corps, qui l'occupe et en est le centre sensoriel. Cet exercice m'a semblé tout à fait adéquat pour travailler travailler ce rapport précisément et je me suis promis, pendant la représentation, de me l'approprier très rapidement. Le travail avec les enfants m'a permis non seulement de l'utiliser mais aussi de le développer dans la veine de ma recherche avec eux.

  • Je suis ancré, planté dans le sol.

  • Je regarde l'espace alentours, je cherche un « point de désir », un objet où mon regard s'accroche. Ce peut être une tache sur un mur, un angle, un objet au sol, n'importe quoi sur lequel, sans réfléchir, mon regard bute (avec de l'entraînement, le regard s'affine et trouve son point d'ancrage sur des parties de l'espace plus subtiles et moins directement structurant).

  • Lorsque j'ai buté, je m'arrête et je regarde.

  • Je désigne du doigt ce sur quoi mon regard s'est arrêté (les variantes ici peuvent être nombreuses, toute partie du corps pouvant devenir mon outil de désignation, on peut inclure à l'exercice les notions d'opposition (désigner le point opposé sur un axe précis), de souvenir (désigner avec le pied ce que le doigt a pointé avant...)

  • Un fois pointé du doigt, je reparcours l'espace à la recherche d'un nouveau point d'ancrage et répète l'exercice (les jeux sur les vitesses d'exécution ou sur la fluidité des mouvements sont nombreux là aussi)

Lorsque je propose un exercice aux enfants, je leur montre sans rien leur dire puis ils essayent de trouver la règle qui génère mes mouvements. Je refais l'exercice jusqu'à temps qu'ils aient trouvé précisément le principe. Puis les enfants font l'exercice et je le modifie en fonction de la manière dont ils le font.

La première fois qu'ils le font, les enfants reproduisent une forme par mimétisme. Ils font se balader leur main dans l'espace, le doigt mollement pointé dans une direction imprécise... puis la laisse retomber, avec un nonchalant ballant, me regardent pour indiquer qu'ils ont fini l'exercice mais qu'ils n'ont pas vraiment compris pourquoi ils faisaient « ça ». A l'évidence, je n'ai pas vraiment réussi à leur faire passer le sens qui fait que la forme a une raison d'être; à savoir que l'on fait cet exercice pour comprendre l'espace dans lequel on va évoluer, pour ressentir ses dimensions, l'éloignement de tel ou tel mur, pour fixer dans son imagination telle ou telle particularité...

J'arrête alors l'exercice. Je demande à un enfant qui a le moins ressenti de le refaire, et aux autres de regarder. J'inclue dans la consigne de décrire à haute voix ce qu'ils pointe, le plus longtemps possible, sans cesser de pointer, sans cesser de regarder. Je relance ensuite l'exercice pour tout le monde, en demandant de bien faire l'effort de description dans sa tête.

Certains, très sérieux, respectent la consigne au pied de la lettre, leur regard a changé, la concentration plus forte, d'autres se déplacent, opèrent des torsions, renversent la tête, s'amusent plus...

J'en déduis alors que les corps se sont mis au diapason de l'espace et que les enfants ont enfin versé du simple exécutant formel à l'interprète.

J'ai envie de de coupler le jeu (parce que maintenant, ce n'est plus un exercice fastidieux) du « pointeur » avec celui du « meneur ». Le pointeur est dans l'espace et un groupe de quelques enfants dans un autre endroit de l'espace. Le premier désigne un point dans l'espace et les autres doivent s'y rendre.

Le travail de passeur est sans fin : déjà, les enfants qui doivent suivre le pointeur ont perdu la concentration qui les animait quelques instants plus tôt; ou peut-être ont ils quitté l'état d'imagination active (le pays imaginaire, comme j'aime à l'appeler) qu'ils exploitaient dans le jeu du « pointeur »; ou encore, ils n'arrivent pas à transposer d'une consigne à l'autre cet état de corps si particulier – et je les comprends, car cet état-là, je ne l'ai trouvé qu'à l'âge de vingt-trois ans, après un certain temps passé sans danser, maturé de frustration; il est difficile à trouver mais il m'est nécessaire pour danser car il permet de résoudre la dichotomie dont je parlais tout à l'heure, entre forme et sens (sensation, émotion, intention...).

Il faut, à nouveau, leur rendre la clef de cet état dans un cadre un peu différent, qui est celui du groupe. Il faut trouver les images qui résonnent chez eux, qui appellent d'autres images chez eux. J'essaie, pour cet exercice, de leur faire imaginer que le pointeur désigne un trésor et qu'ils vont le chercher. Mais il est possible que cette image ne me parlant qu'à moitié, je n'arrive pas vraiment à la leur transmettre de manière dynamique... Ce n'est que plus tard, bien plus tard dans l'année que je trouverai le vocabulaire imaginaire qui me permettent de leur faire tenir l'imagination sur plusieurs exercices.

Photo : Sorgeloos, Herman, Cédric Andrieux, Jérôme Bell

Thème(s)
Corps et geste