tous les mots vont bien dans ma bouche

Nos c********

Publié par Mathilde Garcia-Sanz

Journal du projet
Littérature Poésie

J’ai été confrontée à une sorte de problème lors de la conception de notre livre. Je souhaitais ajouter au recueil de poèmes des enfants une sélection des miens, écrits au cours de la résidence. Pour respecter le devis de l’imprimeur, le budget, ma sélection, les cahiers de 4, je disposais de 8 pages. En cherchant à réduire mon texte pour former une séquence cohérente, j’ai eu affaire à un mot particulier. Un mot que j’avais écrit et qui ne pouvait pas être remplacé par un autre : nos c******, nos Cé. O. U. I. deux eLe. E. eSse, et certainement pas nos roupettes ou nos testicules. Non, dans ce poème il était question à la fois de nos erreurs et de notre courage, réunis d’usage par ce mot viril et vulgaire qui, sur le point d’être publié, m’a plongée dans un moment de doute. Devais-je céder à l’autocensure ? J’ai relu mon projet de résidence, relevé deux trois phrases convaincantes : montrer aux enfants qu'ils peuvent, dans le contexte de la poésie, jouer avec les mots et transgresser les règles d'une langue « correcte » ; en ne leur interdisant aucun mot, aucun sujet ; une transgression de la langue française, souvent regardée comme faute et sanctionnée comme telle (scolairement et socialement) ; un endroit où tous les mots vont bien – même s'ils sont hésitants, inexacts, incorrects ou mal élevés - et choisissent de s'accorder entre eux pour former, non pas une phrase, mais un poème ; je veux leur dire qu'en tant que poètes, s'ils sont sincères, ils ne peuvent pas avoir tort, ils ne peuvent pas avoir faux. Je me suis ensuite rappelée de tout ce que je leur avait dit dans ce sens, de toutes les preuves que je leur avait données en leur présentant des textes truffées de mots inconnus, des textes qu’ils n’ont eu aucun mal à comprendre et à apprécier. Et j’ai ri en réalisant que j’avais envisagé une minute de renoncer à un mot sous prétexte qu’une partie des lecteurs seraient âgés de 10 ans. à 10 ans on connait ce mot là, on connaît sa portée, on sait de quoi il est question. J’ai compris que je ne devais pas y renoncer et qu’au contraire, il était presque crucial que je le publie dans ce contexte, soit dans un poème où il est précédé des mots « sternum » et « ventricule ». à ma connaissance, un seul lecteur s’en est ému, et il a 46 ans. Il s’agit de Katia, l’institutrice, qui m’a passé un coup de fil inquiet le lendemain de la sortie du livre. Elle a tourné autour du pot un bon moment avant de prononcer le mot. Je lui ai parlé de mes doutes et de mon choix final, je lui ai dit de m’adresser directement les éventuelles plaintes de parents. La semaine suivante nous en avons ri de bon coeur toutes les deux, et elle m’a demandé de lui dédicacer son exemplaire à cette page précise. J’ai conclu par la formule « tous les mots vont bien dans ma bouche ».