Nous.

Les deux premières semaines - janvier et février

Publié par Valentin Clerc

Journal du projet

Comme je n'ai pas réussi à tenir un journal de bord jour par jour, j'ai décidé de fonctionner par blocs en confiant ici des impressions et des réflexions de cette aventure plus que des descriptifs poussés des contenus des ateliers. Ici tu trouveras donc mon arrivée pleine de doutes dans mon école sur les deux premières semaines, entre le vendredi 22 janvier et le vendredi 5 février 2021.

P.S. Des fois, je digresse mais dans ma tête c'est comme ça souvent.

Pierrefontaine-les-Varans. Doubs. 25. 22 janvier 2021. J'étais venu fin novembre dernier, le lundi 30 exactement, pour avoir un aperçu de là où j'allais mettre les pieds durant ces « au moins 20 séances » avec mes futur.e.s élèves. Et où j'allais mettre mon oreiller et mes couverts. Mais je crois que je n'ai pas vraiment réalisé ce qui allait m'attendre, à ce moment-là.

Ellipse.

Vendredi 22 janvier 2021. Me revoilà et pour deux bonnes semaines de suite en plus de cela. J'arrive à la Source du Val, restaurant qu'absolument tout le monde connaît, une véritable institution (je l'apprendrai plus tard) mais un restaurant composé aussi de deux trois chambres « pour dépanner », si je reprends les bons termes de la co-gérante Nathalie. 25 euros par jour pension complète. Qui eut cru ça possible quelque part dans le monde ? J'arrive pour poser mes affaires et je découvre le futur endroit où je vais dormir, travailler, me doucher, m'étirer, faire mes abdos, lire, réfléchir, douter, être inspiré, bref avancer. J'étais venu voir le lieu fin novembre dernier mais les travaux n'étaient pas terminés, une chambre paraissait correcte mais là, ils ont terminé les travaux plus vite juste pour moi. Il fait chaud, le soleil traverse la seule fenêtre de la chambre parfaitement orientée, tout est propre, les meubles sont là, « y'a plus qu'à !». Je fais quelques allers retours le temps d'amener mes différents sacs, « t'en as beaucoup ! » me fait remarquer Nathalie. C'est vrai que j'ai beaucoup de choses mais je veux être sûr de ne manquer de rien pour les deux semaines qui arrivent. Mes affaires dans la chambre, je ferme la porte derrière moi et décide de tout organiser pour être le mieux possible : le bureau déjà en face de la fenêtre qui donne sur le jardin du restaurant, quelques grands arbres tout fins qui font facile (en fait non, c'est dur à dire) 15 mètres de haut, d'autres jardins, une maison à la « forme montagnarde pointue asymétriquement », comme si l'architecte qui s'en était occupé avait été un peu ivre ce jour-là. Et puis au loin, des forêts en guise d'horizon. Je me sens isolé de tout. J'adore. Pas d'armoire mais une petite table qui conviendra parfaitement, couplée à un portant avec cîntres. Je sors tout, range tout, et en moins de 20 minutes je me sens définitivement bien, rassuré d'effectivement constater que cette chambre a désormais plus de gueule que ce que j'avais vu avant.

J'allume pour la première fois mon ordinateur dans cette pièce. Je prends enfin le temps de poser toutes mes idées pour préparer cette première séance de rencontre qui m'attend avec la classe de CM1 (dont 4 CE2) de l'école de la Rêverotte. Que j'adore ce nom. L'institutrice Claire m'avouera plus tard que l'accent circonflexe n'y était pas à la base, la Reverotte étant le fleuve le plus proche de Pierrefontaine. La Rêverotte. Un mélange entre de l'imagination et de l'insolence, entre des nuages et de la gadoue. Très inspirant. J'avais donc décidé d'avancer ma première séance au 22 janvier alors qu'à la base nous devions nous retrouver le lundi 25. Je souhaitais anticiper ma rencontre avec eux pour pouvoir travailler plus concrètement dans le week-end, une sorte de journée bonus, ou bien peut-être qu'inconsciemment j'étais impatient de rencontrer ce premier groupe de si jeunes enfants.

Oui, je n'ai jamais travaillé avec des enfants aussi jeunes. J'ai eu un dernier petit frère à quinze ans j'ai deux nièces de 8 et 6 ans donc j'ai toujours été entouré d'enfants. Ce n'est pas exactement la même chose mais c'est ce qui m'a donné des bases, je crois. Et puis j'ai déjà donné des ateliers, avec des collégiens notamment... Mais c'est les plus jeunes que j'ai eu. Et je n'ai jamais eu un groupe sur une aussi longue durée. Bref, c'est une sacrée première pour moi, et l'une des raisons m'ayant fait postuler à Création en Cours.

Depuis que je suis sorti de mon école, en juin 2017, j'ai co-fondé une compagnie et je cherche sans cesse à plonger hors de ma zone de confort. Ce n'est pas toujours facile, même impressionnant parfois, l'impression de sauter dans de l'eau dont on ne connaît pas encore la température. Des jeunes de quartiers qui n'ont jamais été au théâtre ce n'est pas la même chose que les pensionnaires d'une maison de retraite. Et même plusieurs groupes de jeunes de différents quartiers ne sont pas pareils... Bref, là je suis en plein dedans. Enfin, je vais être en plein dedans.

Me voilà donc en direction de l'endroit où l'on va essayer de rêver et roter. J'appréhende. J'ai peur de ne pas être assez préparé, j'ai peur de me retrouver complètement à la ramasse, largué, pas à la hauteur de la tâche qu'on m'a donné, de la chance qu'on m'a offerte. Une fois devant l'école, j'appelle Claire l'instit' parce que je ne sais pas par où rentrer.

On se retrouve et nous nous dirigeons dans la classe. Elle est vide. Toutes les trousses sont sur les tables. Sur les murs, plein de conjugaisons, de frises chronologiques, de couleurs. J'ai une impression de calme avant la tempête. Je suis très impatient de rencontrer ces jeunes gens avec qui je vais passer quasi six mois. La sonnerie retentit et les voici, les un.e.s après les autres, à me dire « bonjour » puis passer devant moi pour fermer les fenêtres, aller coller un aimant au mur, poser une question à la maîtresse. L'impression de me retrouver pris dans une toute nouvelle société avec de tous nouveaux codes. Ils s'installent tous et toutes. Me voilà devant eux, ils sont 26 et je suis tout seul avec Claire l'instit' qui veille au grain. J'ai plein de choses à leur dire mais ne souhaite pas aller trop vite, griller des étapes. Nous nous présentons les uns aux autres, je leur donne la différence entre un comédien et un acteur. On s'apprivoise, ça prend du temps d'entendre chacun.e mais cela me paraît nécessaire. Je leur dis ce que nous allons faire ensemble, je parle de mon idole et de mon spectacle sur Robin Williams, le travail que nous allons mener ensemble... Récréation. Nous nous dirigerons ensuite vers la « salle de motricité » qui est l'espace le plus grand de l'école où je leur donnerai mes premiers exercices basés sur le jeu, la création d'un groupe.

Ellipse.

Ma première séance est terminée et fût un carnage : c'est vendredi après-midi, ils sont 26 et nous nous trouvions dans une salle beaucoup trop grande et assourdissante. Aucun exercice ne fonctionnait comme prévu, je tentais différents biais, j'amorçais des choses, je les arrêtais, je repartais sur autre chose. Une seule sensation subsiste : celle de n'avoir jamais transmis ma passion et ce n'est pas très agréable comme sensation. Débrief avec Claire à la fin de la journée, je tente de m'excuser, je lui fais part de ma surprise de n'avoir su mener ma première rencontre comme je l'entendais. Et là, Claire me rassure en me disant : « Tu viens de vivre ce que tout nouvel enseignant vit lorsqu'il rencontre une classe pour la première fois : une période d'évaluation. » Et soudain tout mon stress redescend. Nous parlons, je lui pose plein de questions, son expérience de 30 ans dans cet établissement me sauve, me bouleverse, me passionne. Je découvre quelque chose de nouveau qui me plaît et que je ne parviens pas encore à nommer précisément. J'ai bien fait de prévoir cette séance en amont pour apprendre à les connaître, je sais maintenant (un peu plus) à qui j'ai affaire et comment je vais m'y prendre lundi. Nous partirons sur des demi-groupes de 13 constitués par Claire qui permettront de séparer (un peu) les duos ou trios ou quatuors turbulents. Nous allons travailler sur la création d'un groupe de confiance, solide, pour ensuite se diriger vers l'individuel.

Ellipse.

Vendredi 5 février. Ok. Malheureusement je n'ai pas réussi à faire un carnet de bord comme je l'aurais aimé, c'est à dire vraiment jour par jour etc... du coup là je vais plutôt vous faire un debrief de ces deux premières semaines trop bien que je viens de vivre (elle ne sont pas que bien, bien sûr, elles sont aussi épuisantes, fatigantes, surprenantes, émouvantes, riantes etc.)

Fin de ces deux semaines. J'ai compris énormément de choses : je veux travailler avec eux sur l'autoportrait. Mon spectacle est un peu un autoportrait. Est-ce que je m'adresse à Robin quand je parle dans le spectacle ? Sacrée question. En tout cas eux s'adresseront à leur idole au moment de leur prise de parole. J'ai compris qu'avec cette classe dite difficile ce n'est pas en passant par dessus eux que je vais gagner mais en les laissant venir à moi en baissant le volume. Ce midi, j'ai eu un échange hyper intéressant autour de la manière d'enseigner et de parler avec des plus jeunes. C'est passionnant. Ça me passionne. Apparemment, depuis toujours je faisais ce que les enseignants appellent entre eux du « climat scolaire ». Tout est dit dans cette formule. Et aussi, une autre enseignante dont je n'ai pas encore retenu le nom a évoqué la formule de « cadre bienveillant ». Je vous contextualise.

Ce qui est nouveau pour moi dans cette résidence et dans ces ateliers avec les enfants c'est que :

- premièrement, je n'ai jamais travaillé avec des aussi jeunes, encore moins sur une aussi longue période

- deuxièmement, je n'ai jamais eu à être aussi strict. Et ça c'est très étrange pour moi.

Du coup une de mes questions auprès des enseignant·e·s (qui sont vraiment supers car vraiment à l'écoute et dans la discussion avec moi) c'est comment trouver cet équilibre entre autorité et ludisme ? Comment ne pas paraître trop sec, ce que je ne suis pas du tout par nature ? Comment trouver ce centre ? Et voici que cette enseignante me parle de « cadre bienveillant ». C'est ça, donner des consignes claires dès le début et si ça ne les respecte pas on s'arrête. Si des choses se passent mal, on en parle ensemble. Dans le dialogue. Dialoguer. Discuter. C'est trop bien : « Marlon, est-ce que tu t'es moqué de Mattea ? / - Non pas du tout. » et voilà les doutes s'estompent.

Je leur ai dis aujourd'hui qu'on était une famille, des frères et sœurs. Cette façon de fonctionner où je m'arrêtais de parler quand ils faisaient du bruit était vraiment super. L'exercice de faire attention à celui qui marche yeux bandés au milieu a trop marché aussi en terme de silence. Ils ont bien compris et c'est une super victoire. La prochaine fois il sera intéressant de leur donner des termes plus précis pour la qualité, l'humeur, les métiers aussi peut-être. Mais l'idée est de leur donner la possibilité de mieux se connaître et de s'assumer.

Le film « Jack » avec Robin Williams peut être un super moteur pour son éloge de la différence. Donc en mars je pense qu'il faudra retourner sur les textes et aller préciser le contenu. Chacun écrit son monologue. Et évidemment choisit un kiff de scène qu'il pourra réaliser avec l'aide des autres.

Je souhaite qu'au moment de la restitution de fin d'année, nous prenions en photo chacun.e des élèves pour qu'ils aient chacun.e un poster d'eux/elles chez eux/elles. Toutefois, j'aimerais bien que ce ne soit pas des photos d'eux/elles en mode « je me prends pour mon idole » mais plutôt eux en mode « je kiffe comme jamais ». (Je me demande s'ils le disent encore ça « kiffer » ?) Du coup, est-ce que vraiment on les initie à la photo ? Je pense qu'il faut aller poser la question à Antonin pour ça , qu'est ce qu'il en pense lui, comment intégrer la photo au travail avec les enfants ? Est-ce obligatoire ? Je ne suis pas sûr. Et en même temps, une photo d'eux qui rayonnent ça peut être trop beau.

Peut-être la question à leur poser pour qu'ils acceptent de dire leur texte devant tout le monde serait : qu'est ce que tu aimerais que le public fasse et qui te rendrait vraiment heureux ? La cohésion de groupe. Ce cocon est vraiment important.

Je viens d'avoir une discussion avec deux profs qui sont venus dans ma classe alors que je travaillais, comme pour profiter de la présence d'une nouvelle personne et ainsi se confier : trop intéressant. La vie est faite de problèmes qu'il faut résoudre. Résoudre les problèmes tel un rubik's cube. Et ça, ça fait partie de la pédagogie, de la transmission. Passionnant. J'aime beaucoup être à la Rêverotte et il faut juste que la prochaine fois je prépare mieux les questions que je leur pose. Mieux bosser l'autoportrait et trouver d'autres moyens pour qu'ils puissent accéder à eux/elles-mêmes.

Une idée terriblement excitante vient boucler ces deux premières semaines : et si je retrouvais ce groupe l'année prochaine aussi ? Et si je les suivais jusqu'en 3ème lorsqu'ils se retrouveront dans le collège juste en face ? Grandir avec un groupe, ça aussi ce serait passionnant.

Florilège.