Les futur.e.s act.eur.ice.s

La cinquième et sixième semaine (mai)

Publié par Valentin Clerc

Journal du projet

Lundi 10 mai 2021. Je m'apprête à partir pour Pierrefontaine. Seulement maintenant. J'aurais dû retrouver ma classe qui rêve et qui rotte la deuxième semaine d'avril mais ces foutues circonstances sanitaires m'en ont empêché... Nous avons donc dû tous attendre deux mois avant de nous retrouver, ce qui est quand même assez impressionnant. J'appréhende de les retrouver et d'avoir oublier le prénom de certains ou certaines. J'appréhende de devoir retourner chercher des notions de théâtre déjà oubliées pour eux. J'appréhende de ne pas bien me servir de cette aventure, d'avoir perdu du temps, d'être en retard sur ma progression...

Au moment de partir, je reçois un texto de l'instit' Claire qui me dit que ma salle de théâtre sera déplacée ailleurs. Lorsque j'arrive à la Source du Val, ce restaurant auberge qui m'héberge et me nourrit, Nathalie me dit qu'elle m'a changé de chambre car ils sont en travaux. Je reviens donc à Pierrefontaine avec une étrange impression (clairement fausse mais je ne le découvrirai que plus tard) d'être redevenu un étranger, d'avoir tout à reconstruire. J'arrive à l'école et effectivement nous allons devoir changer de lieu de travail. Nous serons désormais à la bibliothèque où quasiment personne ne se trouve mais où il y a du passage et qui est beaucoup plus grande... Je ne sais pas par où recommencer avec eux, par où reprendre, je suis un peu perdu, j'atterris seulement, j'ai trop de choses à leur dire du coup... je décide de prendre ce temps pour parler. Se reconnecter ensemble. Je leur demande de me parler du film « Jack » qu'ils ont vu, ce film où Robin Williams joue un enfant de 10 ans dans le corps d'un adulte de 40 suite à une maladie : un magnifique film sur la différence et la tolérance de la différence, subversif parce qu'il parle d'une maladie fantastique pour parler d'un thème hyper réaliste et présent. Puis on se remet debout et on refait quelques exercices de cohésion de groupe. Quelques turbulences ici et là sont visibles mais dues à ce trop grand temps qui nous a séparé de nos dernières séances de mars... Pas non plus bien simple de changer d'espace mais en même temps ça nous oblige à nous exprimer plus forts.

Je décide le soir de me faire un rétroplanning de ce qui nous reste à travailler ensemble jusqu'au spectacle. Avec tous les jours fériés, les sorties, les mercredi etc...il nous reste six séances. Ça va être court mais en même temps ça va nous obliger à faire des choix, être efficace.

 

Mardi 11 mai 2021. Nous travaillons sur le volume, la projection vocale et je veux les voir et les entendre sur scène quand je les laisse faire ce qu'ils veulent. Les un.e.s après les autres, ielles viennent sur scène devant nous et ils ont carte blanche. Certain.e.s ont l'air d'apprécier cette liberté. D'autres ne veulent pas passer, soit par manque d'idée soit par manque de confiance en eux. On se retrouve lundi prochain et d'ici là j'aurai écrit des textes pour eux à partir de leurs réponses à tous mes questionnaires. Et d'ici là j'aurais davantage de réponses sur comment les mettre en confiance.

Au moment où j'écris ces lignes, j'ai un petit coup de chaud. J'ai peur de ne pas bien me servir de cette chance offerte par Création en cours. Normalement ces ateliers doivent servir comme de la recherche pour le spectacle, or là je créé un spectacle en parallèle au mien. Il s'agit des mêmes thèmes et du même principe, oui, mais est-ce que je me suis trompé ? Est-ce que j'ai tout fait à l'envers ?

Ellipse dans ma réflexion.

En fait, je crois que non. Je crois que ces ateliers de transmission ne m'apportent pas tant par leur contenu que par leur simple existence. Je n'apprends pas énormément de choses pour mon spectacle mais disons que j'apprends plus sur qui je suis avec eux. Je me découvre dans cette pédagogie avec ces âges où tout est possible et pur. Je suis si proche d'eux de par le travail sur l'intime que nous menons que j'ai l'impression de réapprendre sur qui j'étais à leur âge et ce qui m'a fondé. Et c'est ça que je vais chercher dans mon spectacle, c'est dresser un autoportrait de moi-même hyper honnête, très intime et le plus fidèle possible à ce que j'ai vécu. Je crois que c'est ça qui me nourrit le plus dans cette aventure. L'acte davantage que ce qu'il contient. Voilà où j'en suis aujourd'hui.

Ellipse.

Du coup depuis ce 11 mai dernier, j'ai écrit des textes pour chacun.e d'entre elleux à partir de leurs réponses aux questionnaires. J'ai tout fait en une journée pour chacun.e de ces 26 élèves. Oui ça a pris du temps mais j'ai fait exprès de tout créer en une seule journée pour que ça n'empiète pas trop sur mon planning d'écriture du Robin qui est extrêmement chargé. J'envoie tout le soir à Claire et Julien pour avoir leur avis, pour qu'ils puissent y jeter un œil d'ici lundi, si possible... Mes deux préoccupations : n'est-ce pas trop long à apprendre ? Est-ce que ça leur paraît pertinent ? J'ai deux retours merveilleux de chacun.e. Ielles sont ému.e.s, touché.e.s, à fond dedans. Ouah ! Trop bien ! Quel soulagement de savoir cela, bien que ce ne fut pas le but premier de ma présence ici.

 

Le lundi 17 mai , je leur donne enfin leur texte, en demi-groupe. Je leur laisse le temps de regarder chacun.e de leur côté et si jamais des choses les gêne, on enlève. De là, je revois toute la difficulté que c'est de parler de soi devant les autres, de se confier, et ça pour le coup c'est le cœur du travail du Robin. Une fois que tout le monde est ok, tout le monde le lit devant les autres. Grand moment. Ils sont courageux et courageuses, ça me touche. Certain.e.s ont du mal, c'est compréhensible et je ne les forcerai jamais. Donc on enlève, on modifie, on cache, on réessaye. Je leur demande de connaître le texte pour jeudi. Selon Claire c'est totalement faisable donc on s'arrête sur jeudi.

Jeudi, je mélange les groupes pour commencer à anticiper la réunion des deux demi-groupe. Ça résiste encore un peu, le mélange les excite et je peine à retrouver le silence. Le groupe passant en début d'après-midi est toujours plus dur que celui d'après. En fait ce n'est pas lié au groupe mais au moment de la journée.

Il y a certains conflits que je me retrouve à gérer entre eux et j'ai du mal avec cette frontière entre psychologie et intime. Et j'aimerais faire un vrai point là-dessus : c'est dur de devoir accepter qu'il y a des choses qu'on ne peut pas contrôler, notamment en ce qui concerne leur chez eux. Où est la limite entre l'intime et le social ? Je me retrouve à la récréation à devoir comprendre pourquoi Marion est allée pleurer dans les toilettes et ensuite avoir une discussion entre elle et ses deux copines. Ça me passionne profondément et en même temps est-ce mon rôle ? Et en même temps si je ne le fais pas, il va y avoir blocage avec le travail que je veux leur faire expérimenter. Du coup dans ma démarche, je le réalise ici avec vous, je crois que ces deux aspects, social et artistique, sont profondément liés.

 

Le jeudi 20 mai, discussion avec les autres instit' : ielles souhaitent vraiment voir le projet. Déjà pour la simple et bonne raison que ça leur fera une sortie, ce qui, par les temps qui courent, est tout à fait compréhensible. Et en plus pour voir un spectacle, leurs copains, leurs grandes sœurs etc. Donc j'ai répondu que je demanderai l'avis à mes petit.e.s acteurices en herbe. Leur réponse : ils appréhendent mais je sens que ça va le faire, ça va le faire si je fais un petit mot avant pour les sensibiliser à être respectueux de ce qu'ils vont entendre. Le feu vert est donné : trois restitutions auront lieu. A 10h pour les CP-CE1, à 14h pour les CE2-CM2 et à 18h15 pour les familles. Pas plus de 2 par famille, fucking covid de merde. Mais on ne va pas se plaindre, notre plan A était de pouvoir jouer à l'Espace des Arcades de Pierrefontaine devant les élèves et parents, ce sera chose faite.

 

Mardi 25 mai, nous avons fait ce qu'on appelle de la table. Tout en restant dans la classe, nous avons écouté les textes que chacun.e a lu devant les autres. Ça y est les groupes 1 et 2 n'existent plus, maintenant voici notre grande famille. J'arrive avec plein de choses à leur dire concernant l'échéance du spectacle de vendredi. Et puis surtout je leur dis que le PRSC est au centre de notre travail. PRSC = Progrès Respect Solidarité Communication. Les 4 valeurs au cœur de tout, nos enseignements transversaux avec leur programme si vous préférez. Je ne sais plus si je vous en ai parlé mais tant pis au pire je radote : quand j'ai rencontré Claire le premier jour, en novembre dernier, et que je lui ai demandé si elle avait des sujets ou des thèmes qu'elle abordait et qu'elle souhaitait que moi aussi j'aborde, elle m'avait donné ces 4 valeurs là. Qui sont affichées à différents endroits très visibles dans l'école. Et c'est le cœur de notre restitution de vendredi.

 

Ce mardi, la lecture devant tout le monde est fastidieuse car il faut sans arrêt leur demander le silence, ce n'est pas évident mais je me dis que d'aller à l'Espace des Arcades va peut-être changer des choses. La petite Elisa n'a pas voulu passer. Partie remise.

A la fin de l'après-midi, une fois que tous ces petits monstres sont sortis, j'ai eu un échange avec Julien très intéressant. Car il se trouvait pour la première fois parmi nous cet après-midi puisque le groupe était entier. Il m'a donc fait des petits retours sur comment je me comportais avec les enfants. Et en l'occurrence quelque chose qui m'a parlé c'est la longueur de mes phrases et le manque de participation lors du début d'après-midi. En l'occurrence, j'avais plein de choses à leur dire pour la préparation du spectacle et ils souhaitaient toujours poser des questions mais la plupart concernaient des choses que j'avais prévues de leur dire après donc j'avançais sans les interroger bref... J'aime ces retours, ils me font gagner du temps sur la suite et surtout ils me plongent encore davantage moi aussi dans le P de PRSC.