L'Œil de lièvre

Le texte de la pièce

Publié par Juliane Lachaut

Journal du projet

Le texte de la pièce L'Œil de lièvre a été écrit par Théo Cazau, auteur du Groupe T, pendant la période de résidence.

Ce texte a emprunté son vocabulaire au Dictionnaire Universel de Furetière (1690).

On trouvera plus bas le glossaire donnant la définition des mots obsolètes qui parsèment le texte.

 

L'Œil de lièvre

 La pièce se déroule sur un toit, tous les personnages sont des habitant.es de l’immeuble. La vue donne sur un paysage d’éoliennes, on y voit d’autres immeubles, des arbres verts, les routes dessinent des parcours entre des espaces vagues grillagés. 

JOUR 1 

Max et des Bedondaines sont allongé.es nonchalamment sur le toit, iels s’enlèvent des bouts de peau en trop qui poussent sur leurs corps à l’aide d’eau, de pinces et d’éponges. 

MAX 

Nous ne faisons qu’un avec le marbre rose, 
Nous nous carrons statues divines, sensualité du vent qui fait glisser le laurier. 
Nous élaguons les viandes pour des busques droits, sans escarre à l’horizon : nos corps taillés pour la sérénité bleue de la mer. 
Des pieds magnifiques, polis sur l’harmonique. 

Entrée Léol avec son étalage, et ses multiples marchandises. 

LÉOL 

Chambres vides à louer ! Chambres vides à louer ! 

NUIT 1 

Gaëg et d’autres habitant.es dessinent dans le noir des silhouettes boursouflées sur un toit aux allures clandestines. Iels se présentent fièrement leurs protubérances, en jouent et en rient. 

Quand Gaëg s’avance… 

GAËG 

Ils nous ont donné une nuit recouverte de chansissure. 
De loin, c’est un toit aux ongles de velours. 
De près, un jardin à l’ombre, et une fois dedans, une guirlande lumineuse, faite des sourires d’ardentes lunes en fleurs. 
Certaines sont en bouton, des jaunets, d’autres frelatent leurs branches, des baccata. 
Nous sommes ces ardentes lunes en fleurs. 

Acclamations 

Et il est temps que les lunes exigent leur part égale de soleil. 

Acclamations 

LÉOL 

Le dégoût est une pluie qui tombera d’en haut. 
Même en bête à deux dos, les noces de chiens froidissent… 

GAËG 

Je vais les aboucher, avant qu’ils nous mordent. 

Sortie Léol 

JOUR 2 

Entrée Bedondaines 

GAËGUISTE (Aux Bedondaines :

Vous nous avez donné une nuit recouverte de chansissure. 
De loin, c’est un toit aux ongles de velours, 
De près, nous sourions et frelatons nos branches. 
Nous sommes devenus d’ardentes lunes en fleurs, et nous exigeons à présent notre part égale de soleil. 

Des rires volent, le dégoût pleut sur eux. 

Entrée Max 

MAX 

De la sérénité. 
Jusqu’à la tombée de ce jour, il n’y aura eu que du bruit, suivi d’un long silence. 
Ce n’est qu’alors, en sérénité, que la parole pourra résonner dans la généralité. 

Max fait signe aux Gaëguistes de sortir. 

Silence 

Sortie Gaëg et ses Gaëguistes 

NUIT 2 

Tous.tes les habitant.es de l’immeuble sont réuni.es sur le toit. 

GAËGUISTE

Vous nous avez donné une nuit recouverte de chansissure. 
De loin, vous voyez un toit aux ongles de velours, 
Regardez nos sourires, et voyez une guirlande d’ardentes lunes en fleurs. 
Nous sommes ces lunes et nous demandons notre part, égale à la vôtre, de soleil. 

Silence 

BEDONDAINE 1 

J’ouvrirai un avis, mais si c’est un avis stupide, ne me le dites pas. 
Vous dîtes que vous êtes des lunes, mais la lune je ne la vois que la nuit. 
Pourquoi venez-vous nous brûler les yeux ? 

Des signes d’accord 

GAËGUISTE 

Le soleil produit toutes les influences et vous le savez, la nuit nous maintient dans le reflet diffus de leurs profits : 
vous demandez-vous pourquoi les rats cherchent à vivre au plus près du garde-manger ? 
C’est un rêve d’égalité qui se cache derrière nos dents. Rien d’autre. 

BEDONDAINE 2 

Oh non, nous savons très bien pourquoi les rats veulent vivre au plus près du garde-manger. 

Rires 

Notre devoir est de les chasser. 
Nous vous authentiquons sangliers, sangliers de la malenuit, qui ventrouillent, souillent, et nasillent dans la boue du gâchis. 
Le soleil est notre garde-manger : à chaque passée de vos viandes, une statue devant, derrière, prête à vous bien étriller la tête, le rêve de vous rebouffer, jouer trictrac nuit et jour au tranche-lard avant le coupe-tête dans la forêt. 

Là là et là là seulement : notre sérénité. 

Une brise froide traverse les corps des Gaëguistes. 

LÉOL 

Craignons les chiens des jours, et les lunes au pillage. 

CAM 

Il y a des nuitées de cela, Jeanne-le-Grand boîtait, et s’aidait de cette canne. 
Cette nuit, je boîte aussi. 

(Aux Gaëguistes :) 

Je boîte aujourd’hui pour vous, parce que comme Jeanne-le-Grand en son temps, je vois à travers vos corps que les chiens des jours vous font porter un collier de misères. 
Vous y avez boursouflé des perles, mais pour tous les toits d’ici et d’ailleurs, un collier reste un collier. 

(A tout le monde :) 

Le soleil produit suffisamment d’influences pour que tout le monde puisse en profiter, et que la sérénité ne repose pas sur des colliers de misère. 
Je demande que chaque immeuble établisse pour tous ses habitants, peu importe leurs choix, une égalité parfaite devant le soleil. 

Des signes de désaccord. 

Des insultes volent : « bégueules ! », « bonifaces ! ». 

MAX 

De la sérénité. 

(Aux Gaëguistes :) 

Mes poulets, je vous trouve magnifiques. 
Vraiment. Et tout cela est d’un courage renversant. 
Mais le soleil, ses influences, ce n’est pas fait pour vous : c’est trop lourd, ça va vous perdre, vous faire tourner la tête, vous faire crouler sous la charge de la responsabilité. 
Vous êtes des arbres tristes, vos fleurs tombent avant le lever du soleil et commencent à repousser après son coucher. C’est ainsi. 
La généralité n’a pas à souffrir vos ambitions déplacées. 
Jusqu’à la levée du jour, il n’y aura eu, au fond, qu’un malentendu, suivi d’un long silence. 

Max fait signe aux Bedondaines de sortir, avant de les suivre. 

Silence 

Gaëg s’avance, le toit ferme les yeux. 

GAËG 

Max. 
Je ne fais qu’un avec le marbre rose, 
Je me carre statue divine, sensualité du vent qui fait glisser le laurier. 
Je boursoufle les viandes pour des busques droits, sans escarre à l’horizon : mon corps taillé pour la sérénité bleue de la mer. 
Mes pieds sont magnifiques, polis sur l’harmon/ [ique] 

Un bruit strident de pétards fait violemment tomber le corps de Gaëg à terre ; trois Bedondaines sont saisi.es au collet. 

Un fort émoi parcourt tous.tes les habitant.es, électrise quelques-un.es à chercher justice, pendant que d’autres essuient déjà leurs larmes. 

Un très long silence 

FLOF (ex-GAËGUISTE) 

A côté de toi Gaëg, la mer bleue égorgée et mon costume de lune en fleurs. 
Sorry, mais hier a already tout oublié, demain matin parle mal. 
I need ma rage. 

(Aux Bedondaines et à Max :) 

Ça crow partout que la lavasse creuse des larmiers, nous sommes des crows animal, ça s’entend, des viandes et du noise, des viandes et du noise. 
Le marbre me fatigue, ses statues, ses lauriers. 
Un enterrement aura lieu demain, le sun se lève et il sera unseemly animal, entre worshippers de viandes et adorateurs du noise. 

Flof leur fait signe de sortir. 

Des Bedondaines quittent le toit, d’autres restent. 

JOUR 3 

Le luxe de se faire enterrer dans une cour de récréation. 

On y joue dangereusement, au risque de se mélanger, on débat des règles, on vote, les exclu.es sont écouté.es, on danse quelques fois et on déclame. Les corps se boursouflent, dans un hommage unificateur à Gaëg. 

A la fin de la journée… 

Entrée Léol en courant. 

LÉOL 

Là, des vents souterrains, partout, tout, jusqu’en bas, 
L’air s’emboucane et s’arme, on aiguise les tranche-lard. 

CAM 

Il faut construire des ponts à tout prix avec les autres immeubles. 
Je vais les aboucher, certains peuvent m’écouter. 

FLOF

Tu passes cette porte, et tu become comme eux. 
Je ne raterai pas le dawn où des sangliers tailleront du marbre. 
Non, les crows vont se préparer. 

CAM 

Tu es un traîne-potence Flof, et tes adorateurs sont déjà des bosses. 
Ce ne sont pas des statues qu’il y a en face, c’est un immeuble entier de béton qui frémit tout autour de nous, sous nos pieds et qui rêve de nous bauffrer. 
Ce toit est déjà un cimetière bossu. 
Tu ne le vois pas. 
Moi si. 

Sortie de Cam, suivi de nombreux.ses bedondaines. 

NUIT 3 

Alors que le toit s’emboucane. 

FLOF 

Tu ne dors jamais. 

LÉOL 

L’oeil de lièvre garde nos paupières ouvertes. 
Il y a d’autres toits, d’autres vies nous attendent. 
Partons, Flof. 

FLOF 

Tu es la deuxième personne qui me promet demain. 
Merci. 
Mais, cette promesse est indécente, tu ne comprends pas. 
Nous ne voyons la lumière que depuis aujourd’hui. 
C’est très beau. 

Sortie Léol. 

JOUR 4 

Le soleil éclabousse le toit, des cris en tombent. 

NUIT 4 

Noir. 

Sur d’autres toits, ailleurs, on entend « Chambres vides à louer ! Chambres vides à louer ! 

l'oeil de lièvre

Glossaire (tiré du Dictionnaire universel d'Antoine Furetière, 1690)

Aboucher : Aborder quelqu’un de près, conférer avec lui bouche à bouche. Il faut que ces chefs de parti s’abouchent ensemble. 

Aga : Interjection admirative. Vieux mot et populaire qui vient d’un autre vieux mot, agardez, pour dire regardez, voyez un peu. 

Amende honorable : Supplice infamant où un criminel est livré entre les mains du bourreau qui, l’ayant mis nu en chemise et la corde au col, avec une torche de cire ardente à la main, le mène à l’audience ou devant la principale église du lieu ; et on l’oblige à demander pardon à Dieu, au roi, à justice et à partir de l’action commise. Quelque fois sa peine finit là, quelque fois on ajoute les galères ou la mort. On condamne à l’amende honorable dans les grands crimes, comme ceux de lèse-majesté, parricides, faussetés et autres. 

Anguillade : Coup de fouet : se dit particulièrement de ceux qu’on donne avec une peau d’anguille. 

Arbre triste : Espèce d’arbre fort commun dans les Indes. On l’appelle triste parce qu’il ne fleurit que la nuit. Ses fleurs tombent une demi-heure avant le lever du soleil et commencent à repousser une demi-heure environ après son coucher. Quand on le coupe à la racine, il recroît en moins de six mois. Les Indiens en ramassent curieusement les fleurs quand elles sont tombées, parce qu’elles sentent fort bon. Elles sont presque semblables à celles des orangers, et sont plus belles et plus odoriférantes. On n’en a pu élever en Europe. 

Authentiquer : Authentiquer une femme, c’est la déclarer convaincue d’adultère, la condamner à perdre sa dot et ses conventions matrimoniales, et à être rasée et mise dans un couvent pour y demeurer deux ans, pendant lesquels il est permis à son mari de la reprendre, à faute de quoi elle y doit demeurer renfermée à perpétuité. 

Bauffrer : Manger avidement. 

Bégueule : Injure populaire qu’on dit aux femmes de basse condition, qu’on taxe de niaiserie et d’avoir toujours la gueule bée. 

Boniface : Se dit de ceux qui sont doux, simples et incapables de malice. Cet homme est un vrai boniface

Bouffe : Enflure de joues. Les écoliers menacent leurs compagnons de leur donner sur la bouffe. Les médecins appellent proprement bouffe la partie inférieure de la joue, qu’on enfle de vent quand on veut. 

Bossu : On dit figurément qu’un pays est bossu quand il est inégal et montueux. On dit aussi que les cimetières sont bossus quand on y a enterré bien du monde. 

Boursoufler : Se dit en parlant des bouchers qui enflent les viandes en les soufflant pour les faire apparaître plus belles. 

Bout de cul : Petit homme gros et trapu. 

Brûler les yeux : on dit « brûler les yeux de quelqu’un » pour dire : faire une chose en sa présence qu’on sait bien lui être désagréable, comme de cajoler sa femme. Cette métaphore est tirée de la coutume des princes orientaux, qui aveuglent leurs cadets en leur mettant un fer chaud auprès des yeux. 

Busque : Morceau de bois, d’ivoire ou de baleine que les femmes mettent dans les corps de jupe pour se tenir droites. On en fait aussi d’acier. 

Camisade : Terme de guerre. Attaque qu’on fait par surprise aux ennemis, la nuit ou vers le point du jour, aux temps qu’ils prennent leurs chemises. Ce mot vient du signal qu’on s’est donné en quelque attaque de nuit pour se reconnaître, en mettant une chemise sur ses armes. 

(se) Carrer : Marcher avec une certaine affectation d’orgueil et de vanité, comme si on marquait un carré sur la terre avec ses pieds au lieu de marcher rondement comme les autres. Les jeunes fanfarons se carrent en marchant. 

Chambre : On dit proverbialement qu’un homme a des chambres vides, qu’il a des chambres à louer dans sa tête, pour dire qu’il est fou, extravagant, qu’il a peu de cervelle, qu’il a la tête légère. 

Chansissure : Corruption qui vient sur la surface des choses humides qui se corrompent, laquelle paraît en façon de barbe. Quand on regarde un morceau de chansissure avec un microscope, elle paraît comme un jardin où il y a plusieurs fleurs, les unes en bouton, les autres épanouies. 

Collier de misère : Travail journalier. Les marchands, après s’être bien divertis le dimanche, disent le lundi qu’ils vont reprendre le collier de misère

Contremont : En haut. On l’a jeté les pieds contremont, pour dire en l’air. Il faut des chevaux pour tirer des bateaux à contremont, pour les faire aller contre le fil de l’eau. 

Coupe-tête : Jeu pour les enfants où les uns se tiennent courbés et les autres sautent par-dessus. On dit figurément qu’on a joué à coupe-tête quand, après quelque sédition ou révolte, on fait trancher la tête à plusieurs des criminels qu’on a pris. 

Dégout : Pluie qui tombe d’en haut. 

(se) Délicater : Chercher trop ses aises, vivre dans la mollesse et la volupté. Quand on veut aspirer aux grandes choses, il ne faut pas se délicater, il faut s’accoutumer à la fatigue, aux veilles, au travail. 

Dos : On dit : faire la bête à deux dos pour dire : faire l’amour. 

Embabouiner : Amuser quelqu’un de belles espérances, se rendre maître de son esprit. C’est affaire aux sots de se laisser embabouiner par les femmes. 

Emmi : Au milieu. Ce sac de blé s’est délié, tout le grain s’est répandu emmi la place. 

Énosser : Arracher un os qui demeure au milieu de la gorge. 

Escarre : Grand fracas ou ouverture qui se fait dans quelque corps. Une bombe fait une grande escarre, quand elle crève l’air, elle tue bien du monde. Un coup de canon tiré dans un bataillon fait une grande escarre, éclaircit bien les rangs. 

(s’)Espouffer : Terme qui signifie s’esquiver, s’enfuir secrètement sans qu’on s’en aperçoive. 

Esternir : Donner un coup si violent que la personne paraisse morte et tombe sans mouvement sur la place. N’est guère en usage qu’au participe. 

Étriller : Battre bien quelqu’un, le ruiner. On a pris un coupeur de bourse sur le fait, il a été bien étrillé, bien battu par le peuple. Il a voulu jouer contre ces filous, il a été bien étrillé. [bien battre quelqu’un, c’est le battre en se sachant dans le bon droit]. 

Faux-brillant : Pensée subtile qu’on a mise dans quelque ouvrage, qui surprend agréablement l’esprit et qui n’a point de solidité. 

Fic : Maladie des hommes qui leur vient au fondement, qui est une excroissance de chair contre nature. 

Forêt : On appelle figurément forêt un coupe-gorge, un lieu où on fait des violences, des exactions. Avant qu’on eût établi la police à Paris, c’était une vraie forêt, on y assommait le monde impunément. 

Froidir : Perdre sa chaleur, causer du froid. Le marbre froidit les mains quand on le touche. 

Froidureux : Frileux, qui craint le froid. 

Gâchis : Lieu où on a répandu de l’eau qui le rend sale ou boueux. Il ne faut pas rincer les verres sur le plancher, de peur d’y faire du gâchis

Garouage : Lieu de débauche et obscur, où on ne va que la nuit ou en cachette. Il n’a pas couché chez lui, il est allé en garouage

Généralité : Universalité. Si quelques particuliers sont méchants, sont rebelles, il ne faut pas que la généralité en souffre. 

Gentilité : Le temps du paganisme et le lieu où il a été en vogue. Les dieux de la gentilité

Glissoire : Lieu où on glisse par divertissement. 

Gouine : Femme prostituée qui hante les lieux de débauche. 

Grenouillère : Lieu où il y a bien des grenouilles. 

Gueule morte : Terme populaire qui se dit de ceux qui sont las de crier ou de parler, qui n’ont rien à dire, à répliquer. Après qu’on a fait voir à cette partie cette pièce décisive, elle a eu la gueule morte. Les harengères qui se querellent n’ont pas la gueule morte

Habitacle : Pauvre lieu où on demeure. Ce bon ermite vit saintement dans son habitacle

Herbeiller : Se dit du sanglier quand il broute l’herbe. 

Île : Se dit dans les villes, d’un canton entouré de quatre rues, ou d’une maison qui ne tient pas à une autre. 

Influence : Qualité qu’on dit s’écouler du corps des astres, ou effet de leur chaleur et de leur lumière, à qui les astrologues attribuent tous les événements qui arrivent sur la terre. L’homme sage vaincra toutes les influences des astres. 

Jalet : Trait ou pierre qu’on lance. 

Jaunet : Nom que donnent les enfants à toutes les petites fleurs jaunes. C’est aussi le nom que le peuple donne à toutes les pièces d’or. 

Joyau : On appelle proverbialement et ironiquement un beau joyau quelque chose dont on ne fait pas grand cas, comme une femme laide. 

Là Là : Terme menaçant. Là là, vous verrez ce qui vous en arrivera. 

Langueur : Diminution des forces, de santé, causée par une maladie lente et souvent mortelle. Beaucoup d’enfants meurent en langueur

Lapidifique : Le cristal, tous les minéraux s’engendrent par un suc lapidifique de la terre. On prétend que c’est un sperme menstrueux qui fait les métaux avec le temps et qui est demeuré encore imparfait. 

Larmier : Creux de l’oeil du cerf où semble se dessiner l’humidité d’un flot de larmes. 

Lassitude : Se dit d’une pesanteur de membres, d’une obstruction des conduits des esprits animaux dans les nerfs et les muscles, causés par de mauvaises humeurs qui pronostiquent les maladies. 

Lavasse : Pluie subite et impétueuse. Les lavasses font souvent déborder les petites rivières et en font des torrents qui font bien du tort dans la campagne. 

Lunatique : Qui se gouverne selon la lune. Les gens fantasques sont appelés lunatiques parce que tantôt ils sont de bonne humeur et complaisants, tantôt farouches et de difficile accès, ce qu’on attribue à la lune qui n’en est aucunement cause. 

Malemort : Mort funeste, tragique. Cet homme a la physionomie patibulaire, il mourra de malemort

Malenuit : Nuit qu’on passe avec insomnie, inquiétude ou douleur. 

Males semaines : Se dit des ordinaires des femmes, de leurs fleurs, de leurs menstrues. On les appelle males semaines parce qu’elles coulent pendant une semaine aux femmes oisives et gourmandes. 

Maraudaille : Nom collectif qui se dit de la canaille, des gueux, des lâches, des gens sans honneur. 

Margouillis : Petit endroit sale et bourbeux, gâchis qui s’est fait en répandant de l’eau quelque part. 

Marrajo : Poisson affreux et qui a la gueule si grande qu’il dévore les hommes tout entiers. Les Espagnols en prirent un qui venait d’avaler un Indien qui était à la pêche des perles, qu’on trouva vif dans son ventre, mais qui expira peu après. 

Mélancolie : C’est une des quatre humeurs qui sont dans le corps, la plus pesante et la plus incommode. La mélancolie cause la tristesse, le chagrin. La mélancolie noire cause quelquefois la folie. En termes de médecine, c’est aussi une maladie qui cause une rêverie sans fièvre, accompagnée d’une frayeur et tristesse sans raison apparente, qui provient d’une humeur ou vapeur mélancolique, laquelle occupe le cerveau et altère sa température. La passion mélancolique est au commencement aisée à guérir mais, quand elle est envieillie et comme naturalisée, elle est du tout incurable. Cette maladie fait dire ou faire des choses déraisonnables, jusqu’à faire faire des hurlements à ceux qui en sont atteints. La mélancolie vient quelquefois par le propre vice du cerveau, quelquefois par la sympathie de tout le corps. Elle vient des fumées de la rate. 

Nasiller : On dit, en termes de chasse, que le sanglier se souille, ventrouille et nasille dans la boue. 

Nielle : Petite pluie froide qui tombe en menus grêlons. C’est aussi un brouillard ou rosée, qui gâte les blés qui sont prêts à mûrir. 

Noces de chien : On dit proverbialement, « faire noces de chien » pour dire : ne se marier que pour la brutalité. [entendre ici la débauche la plus abjecte, mêlée à une violence conjugale très assumée ; les soldats surtout étaient connus pour aimer faire noces de chien]. 

Noisettes : On dit proverbialement : présenter des noisettes à ceux qui n’ont plus de dents, pour dire : offrir une chose à une personne dont elle n’est pas en état de se servir, comme une jeune fille à un vieillard. [savourons ensemble la comparaison]. 

Non vue : En termes de mer, se dit de ce qu’on a manqué à apercevoir. Les vaisseaux font souvent naufrage par non vue, faute d’avoir aperçu un rocher, une côte. 

Nuitée : L’espace de la nuit. Il a passé toute la nuitée à jouer. 

OEil de lièvre : Maladie de l’oeil qui fait qu’on dort les paupières ouvertes, comme les lièvres. 

Ongles de velours : Ongles malpropres où on laisse amasser de la crasse. 

Ouïes pâles : On dit proverbialement qu’un homme a les ouïes pâles quand il paraît encore à son visage qu’il a été malade, ou quand il s’y voit quelque grande marque de chagrin ou d’affliction : ce qu’on dit par métaphore des poissons morts, qui ont les ouïes pâles. 

Ouvrir un avis : Être le premier à proposer une opinion, un expédient, dans les jugements ou délibérations, ou dans les accommodements ou négociations. 

Paix fourrée : Celle qui n’est faite qu’en apparence et pour un temps, lorsque les princes ou les particuliers ne se sont accordés que par la nécessité de leurs affaires, et dans le dessein de recommencer la guerre ou leurs querelles à la première occasion favorable. 

Par-dessus les maisons : On dit proverbialement qu’un homme vend sa marchandise par-dessus les maisons, pour dire qu’il la vend à un prix excessif. 

Passée : Passage d’une chose. Une passée de gens de guerre a ruiné ce bourg, ce village. Se dit aussi de la trace du pied d’une bête. La passée du cerf. 

Patiner : Manier avec la main. La viande d’un étal de boucherie est patinée par toutes sortes de gens. Les fruits patinés sont bientôt défleuris. On dit aussi qu’on patine une femme quand on lui manie les bras, le sein… Il n’y a que les paysannes et les servantes qui se laissent patiner. Ce n’est point la mode de patiner parmi le beau monde. 

Pères de la mort : Religieux ou gens dévots qui vont assister les pestiférés. 

Pieds poudreux : Se dit des étrangers inconnus, particulièrement des marchands qui venaient trafiquer dans les foires. On dit proverbialement qu’un homme a les pieds poudreux pour dire qu’il est gueux et insolvable quand on le présente pour la caution. [« Être insolvable pour la caution » voulait dire ne pouvoir être ni propriétaire ni locataire, en tant que marchand c’est être condamné au nomadisme

Picoter : Quereller quelqu’un doucement et insensiblement avec de petits reproches et injures qui ne vont pas jusqu’à une rupture ouverte. Les femmes jalouses sont sujettes à se picoter

Pillage : On dit qu’une fille est au pillage lorsque plusieurs insolents se jettent sur elle, la baisent, la patinent et en attrapent ce qu’ils peuvent. 

Polir : Civiliser. On a du mal à polir les barbares, à les ranger dans une société honnête et civile. Les peuples du Nord étaient autrefois farouches, le temps et les lettres les ont polis et rendus savants. On dit aussi que la Cour polit bien les gens de province. La conversation des dames polit bien un jeune homme, le rend propre, galant et délicat. 

Polluer : Profaner un lieu saint, salir, contaminer son corps qui est le temps de Dieu. Une église se pollue par l’effusion du sang ou de la semence, il la faut rebénir. 

Pour tout potage : Pour tout, rien de plus. Cet homme n’a que mille écus vaillants pour tout potage, pour tout son bien. Il ne sait que quelques rhapsodies pédantesques pour tout potage. C’est un impertinent pour tout potage

Quittances d’amour : On dit proverbialement que les lunettes, les cheveux gris sont des quittances d’amour, pour dire qu’on ne doit plus songer à la galanterie dans cet état. 

Ragoût : Ce qui est fait pour donner de l’appétit à ceux qui l’ont perdu, soit par quelque indisposition, soit par la satiété. La gourmandise a inventé mille ragoûts qui sont nuisibles à la santé. Un écolier a bon appétit, il ne lui faut point de ragoûts. Se dit aussi des choses qui renouvellent d’autres désirs que ceux de l’estomac. Une jeune femme est un ragoût qui renouvelle la vigueur d’un vieillard. Les fruits précoces ont le ragoût de la nouveauté. 

Râtelée : Terme populaire, se dit de ceux qui disent leur avis sur quelque chose et, le plus souvent, sans en être requis. C’est le propre des femmes de causer et de dire leur râtelée sur tout ce qui se présente. 

(à la) Rangette : De rang, l’un après l’autre. On ne le dit guère que des écoliers, à qui on donne le fouet à la rangette quand ils ont tous failli. 

Ravauder : S’occuper à des affaires inutiles ou de néant. On ne sait ce que fait cette femme, elle ne fait tout le jour que ravauder. On dit proverbialement qu’un homme vient ravauder aux oreilles de quelqu’un pour dire qu’il vient lui rompre la tête. 

Rebouffer : Chasser avec mépris. 

Reclure : Enfermer dans une clôture très étroite, dans une cellule, dans un ermitage, hors de tout commerce du monde. Se dit particulièrement de ceux qui s’enferment ainsi par dévotion, pour faire pénitence. On le dit aussi des femmes mal vivantes qu’un mari fait reclure dans un couvent, dans une prison perpétuelle. [Il faut entendre « mal vivantes » comme un synonyme de débauche ou d’égarement.

Refuge : Il y a un hôpital à Paris qu’on appelle le refuge, où l’on enferme les filles de mauvaise vie. 

Remarquer la chasse : On dit proverbialement : remarquez bien la chasse, pour dire : souvenez-vous de l’injure que vous me faîtes aujourd’hui, dont je me ressentirai en temps et lieu. 

Remuer : Se dit des enfants en maillot, quand on les change de linge. Cette nourrice a bien du soin de tenir proprement son enfant, elle le remue souvent. 

Renard : On dit : se confesser au renard pour dire : découvrir son secret à celui qui en tire avantage ou qui a intérêt d’empêcher l’affaire. 

Répandre : On dit proverbialement qu’un homme s’est laissé répandre, pour dire qu’il est mort en tombant. 

Sélénite : Pierre de la lune. C’est une pierre rare qu’on trouve encore à présent dans la Chine, qui a cette propriété de croître ou décroître selon que la lune est vieille ou nouvelle. 

Se sentir : Participer à un bien ou à un mal commun à plusieurs. Tout le monde se sent des calamités publiques, de la stérilité, de la guerre, de la contagion. Les valets se sentent de la bonne fortune de leur maître. Il se sent encore de l’accent, des moeurs de son pays. Signifie aussi commencer à se connaître. Ce prince commence à se sentir, à connaître ce qu’il est, sa grandeur, son pouvoir. Cette fille commence à se sentir, à voir qu’elle est propre au mariage. 

Sérénité : Disposition de l’air et du ciel qui fait le beau temps, où il ne paraît point de nuages qui le rendent sombre ou obscur. La sérénité de l’air est requise pour faire des observations astronomiques. 

Serpillière : Grosses toiles que plusieurs marchands laissent pendre des auvents de leurs boutiques pour dérober la plus grande partie de la lumière, qui ferait découvrir les défauts de leurs marchandises. 

Taupes : On dit d’un homme qui marche sans bruit qu’il va doux comme un preneur de taupes. On dit aussi d’un homme mort qu’il est allé voyager au royaume des taupes

Tendron : La partie fort tendre de quelque chose. Le tendron de l’oreille. Se dit aussi des plantes jeunes et tendres. Les tendrons des artichauts, des choux. Se dit figurément des filles au-dessous de vingt ans. Ce vieillard s’est marié à un tendron de quinze à seize ans. 

Tortu,e : (adj.) Qui n’est pas en droite ligne. Les chemins des pays de montagne sont tortus, bossus. Cette femme a le nez tortu, il n’est pas bien droit. 

Traîne-potence : Celui qui engage des gens dans un parti révolté et qui n’est pas assez vigoureux pour les maintenir et empêcher qu’ils ne soient pris et pendus. 

Tranche-lard : Couteau de cuisine fort mince 

(à) Travers des choux : Étourdiment et sans considération. 

Tremblant : (adj) On appelle à la boucherie la pièce de boeuf tremblante celle qui est à la poitrine, parce que cette partie tremble encore longtemps après que l’animal est mort, à cause des esprits qui y demeurent enfermés. C’est l’endroit du boeuf qu’on sert aux bonnes tables. 

Tric : Mot inventé par les compagnons imprimeurs, qui leur sert de signal pour quitter leur ouvrage et aller faire débauche, ce qui leur est défendu. 

Trictrac : Espèce de chasse qui se fait par plusieurs personnes assemblées, avec bruit qui effarouche le gibier et le fait passer devant des arquebusiers qui le tirent. 

Veau marin : Poisson de mer qui a le cuir velu et qui a des espèces de mains et d’ongles. Il a plus de cervelle qu’un veau, contre l’ordinaire des poissons, aussi dit-on qu’il égale la sagacité des animaux terrestres. Il a des dents de loups. 

Ventrouiller : En termes de chasse, se dit du sanglier quand il se souille et se vautre dans la boue. 

Vents souterrains : Vents enfermés dans les entrailles de la terre et qui sont cause de ses tremblements. 

Viandes : Se dit par extension de plusieurs autres nourritures de l’homme. On appelle viande de Carême le poisson, les salines, les fruits secs, crus et confits, et les légumes. Se dit burlesquement de la chair de l’homme. On dit : cachez votre viande, à ceux qui montrent quelques parties qui sont ordinairement couvertes. Qui sert à faire des lardons.