Le mythe fondateur

Publié par Juliane Lachaut

Journal du projet

L'histoire des Galères portugaises 1) Le Mythe Fondateur se déroule sur 3 journées et 3 nuits, et s'achève au petit matin du quatrième jour. Chaque semaine, nous avons travaillé et mis en scène un jour et une nuit. En voici le résumé.

galères portugaises jour 1

Scène 1: le premier jour

La situation initiale se déroule le jour. Nos personnages vivent dans des immeubles, dont le lieu de vie, où l’on se rassemble, est le toit. De jour, la majorité de la communauté s’y retrouve autour d’un soin : tout le monde a coutume d’enlever les « bouts de peau en trop » qui poussent sur son corps. Le corps prôné est un corps lisse, propre, sans aspérités.

Les membres de cette majorité, ce sont les Bedondaines : ventre mou de la communauté, ce groupe est celui de ceux qui n’ont pas encore choisi leur camp, qui n’ont pas encore pris parti. Ils sont la norme et ne questionnent aucune de leurs pratiques.

Plusieurs outils de soin sont utilisées : pinces, cotons, éponges, lingettes, pipettes, serviettes ; surtout, le bout de peau en trop ne doit pas être touché avec les mains.

Tous les matins, un autre personnage passe rendre visite aux Bedondaines sur le toit : c’est Léol et ses deux acolytes, les Léolistes, qui viennent vendre à la communauté des outils de soin. Léol est un artisan, il fabrique lui-même ses propres pinces et supports à éponges, et c’est pourquoi on aime bien posséder l’une ou l’autre de ses création dans sa trousse de toilette. Il faut parfois négocier durement les prix, mais sans lui, le soin des bouts de peau en trop ne serait qu’un devoir hygiénique quotidien et sans saveur.

galères portugaises nuit 1

Scène 2: la première nuit: défilé des Gaëgistes

La nuit, en revanche, quand les Bedondaines dorment, le toit est occupé par celles et ceux à qui l’on dénie le droit de s’y promener en plein jour : les Gaëgistes, du nom de leur représentante, Gaëg. Ils et elles refusent de soigner leurs bouts de peau en trop pour les faire disparaître : au contraire, iels aiment les voir pousser, proliférer jusqu’à devenir de superbes excroissances bombées qui donnent à leurs corps des rondeurs et des bosses inattendues. Toutes les nuits, et parce qu’iels n’y sont toléré·es que la nuit, les Gaëgistes viennent sur le toit pour profiter d’être ensemble, se montrer leurs diverses protubérances, célébrer leur fierté d’avoir des corps à leur goût.

Les Léolistes sont aussi présents la nuit : ils vendent aux Gaëgistes des objets qu’ils détournent pour en faire des instruments de percussion, pour alimenter la joie de ces rencontres nocturnes, tolérées bien que mal vues par les Bedondaines. Au petit matin, quand le jour commence à se lever, il faut plier bagage au plus vite, pour ne pas risquer de croiser les Bedondaines les plus matinales : à ce prix les Gaëgistes peuvent continuer d’occuper le toit la nuit.

Mais cette nuit-là, quand le soleil se lève à nouveau, et que tous les Gaëgistes commencent à remettre en ordre le toit, l’une d’entre eux se lève et prend la parole. C’est Gaëg qui les prend à parti : n’en ont-ils pas assez de se plier à cette nuit sans lune ? N’aimeraient-ils pas à leur tour voir le soleil, aux côtés des Bedondaines ? Ce que dit Gaëg, c’est que leur exil nocturne a assez duré, et que cette nuit, il faut rester sur le toit jusqu’au matin, pour tâcher de convaincre les Bedondaines qu’il y a assez de place pour eux tous dans le jour.

Scène 3: le deuxième jour: coup de force des Gaëgistes

Les Gaëgistes décident donc de rester, d’occuper ce jour qu’on leur a si longtemps refusé. Leurs protubérances fièrement exposées à la lueur du petit matin grandissant, ils attendent l’arrivée des Bedondaines. Celle-ci ne se fait pas attendre. Si certains passent comme si de rien n’était, et commencent leurs soins sans un regard pour les Gaëgistes, d’autres en revanche n’attendent pas pour faire savoir leurs mécontentement : bientôt gronde une foule haineuse sur le toit, à laquelle Gaëg adresse un discours d'apaisement, demandant la réconciliation et l’amitié. Mais les Bedondaines sont outrées par cette requête et peut-être auraient-elles été jusqu’au lynchage, si un nouveau personnage ne s’était pas interposé : il s’agit des Maxistes, membres des Bedondaines jusqu’à présent, mais qui face au désordre provoqué par l’arrivée des Gaëgistes, décide de prendre les devants et de se constituer en juge de la situation. Les Maxistes appellent alors au calme : leur intervention coupe net toute velléité belliqueuse, proposant de se retrouver cette nuit, une fois les esprits apaisés, lors d’une grande assemblée extraordinaire, pour décider ensemble de ce que l’on ferait de cette situation.

 

Scène 4: la deuxième nuit: le tribunal

Cédant aux instances de Max, tous les habitants de l'immeuble se retrouvent sur le toit à la nuit tombée. Les Gaëgistes prennent les premiers la parole, afin de défendre leur droit à jouir du soleil, comme les Bedondaines. Ils demandent une égalité parfaite entre tous les habitants quant à l'occupation du toit. À cette requête, plusieurs personnages, parmi les Bedondaines, vont répondre. Les uns, Bedondaines radicales, vont faire apparaître un désir de vengeance et de répression; d'autres, les Camistes, vont se ranger du côté des Gaëgistes et vont pousser plus loin encore leur désir d'égalité, en demandant à ce qu'il soit non seulement entendu et respecté, mais encore étendu à tous les toits de la ville. Mais c'est à nouveau Max qui va couper court aux débats, en arguant que la tâche de gérer le jour est bien trop lourde pour les Gaëgistes, qui ne sauraient tout simplement pas comment faire avec une telle responsabilité: la nuit leur convient bien mieux. Clôturant le tribunal sur le constat de ce malentendu et sur le pardon octroyé aux Gaëgistes, à condition qu'ils restent à leur place, les Maxistes et les autres Bedondaines commencent à quitter le toit. C'est alors que Gaëg s'avance et prononce le discours qui va lui être fatal, un discours qui ose employer les mots des Maxistes pour désigner le corps parfait et lisse des Bedondaines, appliqué aux Gaëgistes. Avant la fin de son discours, Gaëg est assassiné par une Bedondaine radicale.

Dans la consternation générale, un nouveau personnage va voir le jour parmi les Gaëgistes: il s'agit de Flof. A côté du corps mort de Gaëg, il prononce le discours qui met fin à toute possibilité de compromis: menaçant de s'armer, il exhorte les Bedondaines présentes à faire un choix: soit elles sont avec lui et les siens, soit elles sont contre lui. Une partie du groupe quitte alors la scène, tandis que se prépare l'enterrement de Gaëg.

Scène 5: le troisième jour: luxe

Le jour se lève sur l'enterrement de Gaëg. C'est un enterrement festif et plein d'hommages multiples, chansons, danses, jeux.

Il sera interrompu par l'arrivée de Léol, qui cherche à prévenir les occupants du toit que des rumeurs courent dans l'immeuble: il semblerait que les habitants se préparent à quelque chose, et qu'il vaudrait mieux partir avant qu'il ne soit trop tard. Les Camistes, qui sont restés aux côtés des Gaëgistes et des Flofistes, prennent alors la parole pour tâcher de convaincre les autres à le suivre vers les autres immeubles. Si c'est terminé pour ce toit-ci, peut-être leur combat pourra-t-il trouver un écho ailleurs? Mais Flof refuse de le suivre; il fait même plus: à ses yeux, les Camistes deviennent des Maxistes du moment où ils franchissent la porte du toit.

Cette rupture consommée, la nuit tombe.

Scène 6: la troisième nuit: l'occupation du toit

Les Gaëgistes et quelques autres rallié·es à leur cause, partagent un repas avant de se coucher sur le toit tandis que les Flofistes montent la garde. Pour la première fois, les Gaëgistes vont dormir la nuit. Les Léolistes, eux, ne dorment pas: pensifs, ils regardent au loin, vers les autres immeubles. Ils savent qu'il n'y a pas d'espoir à rester là, mais que peut-être une autre vie serait possible ailleurs. Avant de quitter ce toit, ils tâchent une dernière fois de convaincre Flof, mais celui-ci est catégorique: il lui est impossible de faire marche arrière après avoir vu la lumière du jour pour la première fois. Les Léolistes lui font donc leurs adieux, et partent.

Scène 7: Le quatrième jour: l'exécution

Au petit matin, alors que tout le monde dort encore sur le toit, sauf les Flofistes qui montent toujours la garde, un grondement se fait entendre dans tout l'immeuble. Bientôt arrivent sur le toit cell·eux qui ont prévu de mettre un terme à l'occupation. Les occupants, Flofistes, Gaëgistes, allié·es récent·es, sont méthodiquement assassinés. Tandis que l'aube commence à baigner d'une nouvelle lumière ce toit ensanglanté, on entend au loin la rumeur d'une révolte qui gronde sur les toits voisins, et peut-être reconnaît-on, ça ou là, la voix de quelque Camiste tâchant de soulever les foules.