Cette cinquième et dernière semaine de présence à Vernouillet a abouti à deux représentations de la pièce le 28 juin 2019, l’une l’après-midi, devant d’autres classes de l’école Louis Aragon, et l’autre le soir, devant les familles des enfants. Une semaine compliquée, où à l’épuisement de la fin de l’année scolaire s’est ajoutée la chaleur, le ras-le-bol, l’ennui. Du point de vue du spectacle en lui-même, les répétitions se sont avérées souvent désastreuses : impossible de raviver l’intérêt des enfants pour quelque chose qu’ils connaissaient déjà. Tant que nous avancions dans l’histoire et qu’il restait des choses à découvrir, nous tenions leur attention captive par la curiosité, l’envie d’en savoir plus. Mon erreur cette semaine a été celle du perfectionnisme, en pensant qu’il fallait maintenant tâcher de tout faire tenir ensemble, d’améliorer ce qui pouvait encore l’être, en ne tenant pas compte, au contraire des semaines précédentes et du travail spécifique que nous avions pourtant fait auparavant, qu’il ne s’agissait pas d’acteur·rices devant moi, mais d’enfants. Disparu, le ludisme : place à la répétition. Et avec elle, non pas une qualité grandissante, mais bien au contraire, une perte de fraicheur, un abandon de toute joie d’être sur scène. Trois journées interminables, qui m’ont donné, rétrospectivement, raison sur la manière initiale de travailler avec des enfants. Mais qui ont aussi permis, dans les interstices des répétitions, de faire naître de nouveaux rapports avec les comédien·nes, qui en ont profité pour glaner auprès des élèves de la documentation pour nourrir la pièce future.
Mon intuition initiale, en entamant un travail spécifique avec des enfants sur ce spectacle, était de rester dans le domaine du jeu (ludique) le plus longtemps possible, en évitant de faire de la préparation du spectacle un travail. Ce ludisme s'est traduit par deux choses: la première était que l'on raconterait l'histoire de la pièce chronologiquement, en ne dévoilant que ce que l'on allait jouer semaine après semaine; la seconde était que les enfants devaient choisir, au fur et à mesure de l'avancée dans l'histoire, le parti qu'il désiraient faire prendre à leur personnage face aux différentes options qui se présentaient à eux. Cela exigeait qu'il y eût, à chaque nouvelle phase, à chaque nouvelle semaine de présence, un équilibre entre la répétition de ce que nous avions fait précédemment, et la découverte de la suite de l'histoire. C'est ainsi que les enfants ont découvert l'histoire petit à petit, et n'en ont connu la totalité qu'à la toute fin de la quatrième semaine: cette attente de ce qu'ils ne connaissaient pas encore, cette curiosité maintenue comme un fil tendu, permettait de garder en vie leur enthousiasme, semaine après semaine. L'erreur de la dernière semaine a été de prévoir un temps de répétition seule, sans découverte, sans nouveauté - ou en croyant que la découverte du décor et du lieu théâtral suffirait à produire la surprise nécessaire. Au fur et à mesure que l'on répétait les discours, les scènes s'appauvrissaient, se ternissaient, plutôt que de gagner en épaisseur ou en subtilité de jeu.
Avec des acteur·rices, il arrive très souvent que la première fois que l'on joue une scène, en répétition, il se produise quelque chose de magique: une fraicheur, un instinct immédiat, une spontanéité, que la longue suite de répétitions ultérieures tâchera ou bien de retrouver, ou bien de se souvenir, ou bien, qu'elle essaiera vainement d'oublier pour tenter de trouver une nouvelle force dans le présent. Dans tous les cas, le théâtre, par la répétition, essaie de produire les conditions de possibilité du spontané, de la magie vivante, autant de fois que la pièce sera jouée.
Avec des enfants, dans ce contexte non-professionnel d'une pièce qui se joue une à deux fois en fin d'année, il me semble qu'il est absolument nécessaire de considérer l'avancée dans le spectacle d'une manière différente, et que ce n'est pas avant la représentation que doit arriver cette magie première: parce que le chemin pour la retrouver n'est pas possible à emprunter. La répétition, chez des acteur·rices non professionnel·les, et a fortiori des enfants, tue la vie. Il aurait éventuellement fallu arriver à la fin de l'histoire la veille de la représentation, et faire de la pièce en public le premier et unique bout à bout de l'histoire.