Le bâton de marche

La randonnée

Publié par Marion Augusto

Journal du projet

Une rumeur circule. Il paraîtrait que l'on peut être dévoré des yeux. Certains disent qu'ils sont rouges quand d'autres affirment qu'ils sont blancs, d'autres encore pensent que cette forme indéfinissable et impalpable se transforme à la vitesse des nuages.

Avant de s'enfoncer dans la forêt, un groupe de randonneurs traverse les bangas* de Kahani et entonnent le refrain entêtant du chant des ancêtres : WADZADE. Un étrange pressentiment les suit jusqu'à atteindre la grande étendue d'herbe. Ils s’aperçoivent que quelque chose les observe depuis l'intérieur des bois. Deux yeux soudain visibles se dessinent à travers les branchages épais des bananiers. Les enfants ne s'arrêtent pas de marcher pour autant et restent sur le qui-vive sans pouvoir se débarrasser de la sensation d'être surveillés.

Quelle est donc cette étrange présence ? Et à qui peut bien appartenir ce regard qui espionne les enfants ? Celui d'un adulte ? D'un Djinn ? D'une peur ou d'un danger qui rôdent ? Ou alors d'un potentiel candidat aux élections départementales ?

Les enfants incarnent tour à tour différents rôles tout au long de cette promenade. Ils appréhendent puis utilisent zoom et caméra pour se filmer, commenter et s’enregistrer spontanément en train d'observer la nature. Nous croisons ainsi la route de Delyna, Mariama et Asmahane, les triplées randonneuses encore stupéfaites de l’apparition, nous découvrons des fleurs et des herbes folles dans les pas du naturaliste Massoundi et d'un groupe d'entomologistes spécialisés des titi bibi** mahorais, nous écoutons aussi Ansoirdine penser (avec) la nature.

Cet atelier a influencé le reste de la résidence et a transformé le projet tel que nous l'imaginions au départ. Nous avons en effet été surprises en découvrant le rapport que les enfants entretenaient avec l'image et la mise en scène. En insérant une part fiction — un regard oblique — Vogue Archipel se transformait en un petit film s'attachant à découvrir ce qu'il se cache sous l'apparence des choses.


*banga : autrefois une petite maison aux murs peints et aux inscriptions colorées à l'orée des villages mahorais. Aujourd'hui, les bangas désignent les maisons en tôles à l'orée des villes.
**titi bibi : de petits insectes en shimaoré.

Vogue Archipel©lisa schittulli et marion augusto