Vogue est une allure, une impulsion commune, c’est une galère mais surtout une expédition et il parait qu’une Vogue, après tout, c’est une fête de village dans un certain patois. Vogue contient dans ses définitions tous les éléments nécessaires à l’invention de Vogue Archipel. À grands renforts de costumes et de jeux, ce projet se présente comme une grande Fête aux pouvoirs incantatoires de renversement d’un ordre établi et d'un renouvellement des regards. Composée de stands îlots articulés comme autant de micros-territoires dans lesquels viendront se jouer de petites performances, cette œuvre/évènement explore le dessin comme force d’évocation et le costume comme source d’incarnation. Par une approche poétique du bricolage, le duo Gusto&Schittulli, embarque avec les enfants à la découverte de ce qui se dissimule sous les surfaces du réel, dans la création d’un événement-poétique aux dimensions multiples, comme "un commentaire sur le monde des apparences. Du Platon terre à terre."
Notre travail repose sur un système de références mêlant citations, réappropriations ou auto-fictions, que nous souhaitons exploiter dans la création d’un scénario collectif, d’une mythologie commune mobilisant les plaisirs et intérêts individuels. Vogue archipel se présente ainsi comme un projet de création aux ramifications nombreuses reposant sur un principe : le travail de recherches du binôme est un module venant rejoindre par la transmission, les modules co-construits avec les élèves. Ces différents ilôts/ateliers se réuniront au sein d’une œuvre/évènement incarnée lors d’une Fête, une Vogue empruntant au carnaval ses capacités de renversement d’un ordre établi, et restituant les recherches conjointes du binôme et des élèves. Dans la volonté d’embarquer avec les enfants dans la construction de Vogue archipel, nous souhaitons partager nos processus de création alliant arts-plastiques, performances et forces d’association. Ce projet s’imagine tel un dispositif-frontières construit par une multitude de regards et de mains.
Selon Baptiste Morizot “nous descendons en droite ligne d’une éponge gorgée d’eau de mer. Métaphoriquement, c’est notre ancestralité la plus constitutive du point de vue du rapport à l’eau qui nous emplit.” Outre ses qualités plastiques, l’éponge intéresse Lisa Schittulli par ses capacités d’absorption et de régurgitation. Si elle avait un pouvoir, Marion Augusto aurait voulu être goutte d’eau pour tenter de se réincarner indéfiniment dans toutes les formes du vivant. Pour elle, le Tardigrade, symbolise la figure d’une créature-créateur aux multiples mains dont le réveil de la mémoire ne tient qu’à une goutte. Ces animaux renvoient d’une part à la figure de l’artiste anthropophage, se nourrissant de diverses ressources dont les œuvres de ses semblables, ainsi qu’à une approche du monde anthro-poétique par l’utilisation de différents médiums (dessin, corps, vidéo, écrits) comme traducteurs d’expériences. Avec la création de costumes et la pratique de la performance, le projet Vogue Archipel est le contexte d’incarnation de ces figures. Comme « un commentaire sur le monde des apparences. Du Platon terre à terre” (Fischli&Weiss), et sur un fond de crise existentielle intime et politique, nous souhaitons partager avec humour l’épopée de ce duo/duel antagoniste interrogeant avec les moyens du bord, leurs manières d’être au monde. Dans le choix caustique de se grimer en figures singulières, nous souhaitons aborder différentes idées. Ces personnages chargés de symboles ont des attraits scénaristiques nous permettant de questionner la figure de l’artiste et sa capacité d’absorption-recréation: noblesse et pauvreté de l’éponge, résistance et capacité d’adaptation du tardigrade. Avec leur modalités d’existence aux qualités étranges, ils offrent la possibilité de renouveler notre lien au vivant, et d’interroger notre existence dans le cosmos : on pense que seuls les tardigrades survivraient à une stérilisation totale de la Terre, quand l’éponge pourrait bien représenter la plus ancienne lignée de tous les animaux vivants sur la planète. Enfin, les costumes provoquant nécessairement la curiosité et l’étonnement, ils permettront de ponctuer nos pérégrinations (mentales, physiques et spirituelles) par des performances publiques à la rencontre des acteurs locaux. Nous espérons que ce déplacement empathique, des points de vue et des échelles, entraînera des situations d’échanges multiples entre les personnages et leur environnement. La 1ère prise de contact avec les élèves sera donc performée : nous nous présenterons dans la peau d’Éponge et Tardigrade, ouvrant les pistes que nous suivront ensemble tout au long du projet : une manière décalée d’observer notre environnement, la déambulation et le voyage comme processus de réflexion, le jeu ou la performance comme possibilités de renverser l’ordre des choses. Il s’agira aussi d’aborder la question de la transformation et du costume, les enfants seront amenés au cours des différents ateliers à inventer leur propre avatar.
L’écriture de Vogue archipel est intimement liée au territoire dans lequel ce projet pourra prendre racines. Intéressées par les écrits d’Élisée Reclus, notre rapport à la géographie se dessine dans ses aspects réels et imaginaires. Cet intérêt pour l’arpentage et le voyage comme processus de réflexion nous ont amené à découvrir d’autres systèmes de pensées. Au cours de sa résidence en Australie aborigène, Lisa Schittulli a été marquée par l’importance du Souterrain, comme espace concret (récolte d’igname) et symbolique (lieux de mythes). Sa série A Journey:Maps, cartographies mentales dessinées et peintes, en est imprégnée. Dans l’intervention Du boucan dès le matin menée avec les résidents d’une Maison Relais à Strasbourg, Marion Augusto proposait de dessiner une autre cartographie de la ville par une dérive poétique du souvenir, puis d’investir le peuplier de la résidence comme métaphore du langage et lieu dans lequel déposer les récits.
On sait que la peinture, en représentant le paysage, a modifié notre vision de la nature, et notre conception du monde. On pourrait alors supposer qu’un renversement de notre manière de penser et de faire des images puisse passer par un changement de perspective et un dépaysement. Le franchissement des frontières réelles ou symboliques est ainsi une invitation à décloisonner les arts plastiques, et un objet de réflexion sur les relations que nous entretenons avec notre environnement et nos semblables. Le choix de territoires éloignés aux géographies nécessairement nouvelles est motivé par cette idée, mais aussi par une intuition qu’en arpentant ces espaces non familiers, nous serons sensibles à leurs mystères et à leurs aspects magiques.
Il s’agira d’aller voir avec les enfants ce qui se trouve en dessous et au delà des surfaces du réel, ces parts invisibles qui n’existent qu’avec une attention particulière. Par une exploration esthétique de ces mondes (monde animal-végétal, monde de la nuit, monde sous-marins, monde souterrain, monde spirituel, monde cellulaire) nous souhaitons « orienter le regard vers de petites choses que l’on invite à expérimenter ou à observer sous un autre angle afin d’apercevoir leur beauté, leur étrangeté, leur poésie ou leur grandeur. » (à propos de Shimabuku).
Ainsi, cette Vogue performée ne sera pas seulement le lieu de transformation de soi, mais aussi celui de l’expression de nos paysages intérieurs, en lien ou en rupture avec des géographies réelles. Les îlots se présenteront sous la forme de dioramas dans lesquels viendront se jouer de petites performances. Nous imaginons ces décors et scénettes sur la base de dispositifs sommaires utilisant le dessin comme pouvoir d’évocation et de création d’environnements singuliers. Récits de transformations, de déplacements, de rencontres émaneront de gestes simples, d’une approche sensible du bricolage, fruits des ateliers menés avec la classe et des recherches du duo.
Par le(s) artiste(s)