lune

La montagne est marine

Publié par Laure Nillus

Journal du projet

Rencontrer un peu plus les Bauges

À mon arrivée au début de mai, je découvre enfin la fameuse « mer de nuages ». J’entendais les gens du pays en parler depuis mon premier passage ici et je me demandais comment le ciel pouvait se fâcher au point d’installer une mer au milieu de ces montagnes. Sa présence est furtive car le mauvais temps grandit vite et avale tout. Un rideau gris s’installe et le territoire devient étriqué et plat, sans perspective ni horizon. La pluie incessante verdit chaque jour un peu plus le décor. À certains endroits, le vert est si clair et brillant qu’il en devient presque isolent lorsqu’un rayon de soleil le traverse.

Je grimpe à nouveau le Col du Frêne, qui siège sur le massif au dessus de Fréterive. Mais cette fois, mon exploration n'est pas hasardeuse. Je vais rejoindre Odile, qui va me montrer un bout des Bauges, où elle vit. Au fil de l'ascension, le paysage s’efface derrière moi, disparaissant dans la brume épaisse.

Arrivée au dessus des nuages, Odile m’embarque dans sa voiture et me présente les massifs, les plateaux, les villages. De nouveaux noms envahissent ma tête : le Chéran, Bellecombe, les Déserts, Lescheraines, Margériah… La Feclaz semble s'être trompée de saison ; le paysage y est hivernal : névés et arbres nus nous accueillent. C'est une nouvelle révélation pour moi : en territoire montagneux, il existe des périodes de l'année où il est possible changer de saison en quelques kilomètres. Le monument aux morts que nous venions voir ne nous donne pas les explications que nous aurions voulu. Mais cela m'importe peu, je me rends compte que ce monument n’était qu’un prétexte pour rencontrer plus profondément ce territoire, en compagnie d’une habitante des lieux.

La pluie donne à Odile l’idée d’aller voir la cascade du Pissieu. Lorsqu’on gare la voiture devant le chemin, elle me précise que le panneau d’indication est mensonger : il nous faudra moins de 30 minutes à pied pour rejoindre le site, si nous marchons d’un bon pas. Cela me réjouit que la forte pluie ne freine pas Odile et que l’on s’engage sur le sentier, transformé en ruisseau par endroit. Mes chaussures sont imbibées en peu de temps et cette folie de marcher sous la pluie, qui en découragerait bien d'autres, me donne envie de sauter à pieds joints dans les flaques. En chemin, elle me raconte que cette cascade est une résurgence d’eau. Toute la pluie accumulée sur un plateau au-dessus s’infiltre dans des canaux souterrains qui se rejoignent et jaillissent ensemble d'une grotte. À notre arrivée le décor est surréaliste. L’eau a envahit l’espace, se divise en 2 bras qui forment une petite île de résistance au milieu. Des nuages de vapeur crachent au dessus. On s’avance jusqu’à la grotte, le torrent fait bien 4m de large et le débit est impressionnant. L’eau déchaînée arrache de petits arbres sur son passage. Il nous faut crier pour nous entendre tant le son qu’elle produit est fort. La pluie s’est intensifiée et m’empêche de sortir mon appareil photo. Ce moment restera juste un souvenir dans nos deux têtes et je ne pourrais le partager qu’avec des mots. Il méritait sans doute qu’on ne tente pas de l’immortaliser autrement que dans sa mémoire.

Sur le chemin du retour, Odile me révèle qu’en été seul un petit doigt d’eau coulera. Elle me précise aussi que les Bauges sont des massifs calcaires car il y avait la mer ici. Il y a longtemps, au temps des dinosaures peut-être. C'est curieux, cette omniprésence marine au coeur des montagnes.

Le temps m'a filé entre les doigts et il me faut déjà reprendre la route de mon plat pays, pour me préparer à repartir à la frontière italienne. Mais à l’issue de la résidence, lorsque l'été s'ouvrira avec une infinité de temps libre, je partirai arpenter les Bauges à pied. Marcher jusqu’aux pointes des massifs, rencontrer enfin ces lieux aux noms magiques et dormir à la belle étoile.

Et à nouveau, j’exhume les images de mon précédent passage, celui écourté d’avril.

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