Le dispositif scénographique dans la salle de sport de l'école

L'imagination du regard

Publié par Thomas Pondevie

Journal du projet

Première semaine de travail à l’école Paul Mansard de Longwy. Après ma visite-éclair début mars pour rencontrer les enseignants, me signaler à la mairie, saluer le centre social un peu plus haut, visiter l’école et commencer à observer les lieux, nous voici désormais trois (Iannis - comédien, Fanny - éclairagiste, et moi-même), un camion, un décor et une pièce courte à présenter aux classes avec qui nous allons travailler quatre semaines consécutives en mai. Les enseignants des trois classes de cycle 3 ont accepté de ne rien dire aux élèves. Nous arrivons donc comme par effraction chez eux, sans annonce ni préparation.

Lundi matin, 8h : un camion est là, garé dans la cour. La salle de sport semble être occupée, mais toutes les fenêtres ont été occultées...
« - Monsieur, monsieur, qu’est-ce que vous faites ici en fait ?
- Bah, on travaille !
- Ah d’accord... »

L’étonnement est si vite désamorcé qu’on en serait presque déçu. Soit que le mot « travail » remplisse son office de mise à distance immédiate dans l’esprit pragmatique des enfants, soit que la généralité même de ma réponse agisse sur le coup comme une sorte de placebo.
Il y a un certain charme à provoquer l’étonnement, piquer la curiosité, et peut-être quelque chose de fondamentalement théâtral au fond dans l’idée de venir faire événement dans leur quotidien.

Planning serré de la première semaine :
- 1 jour de montage ;
- 3 jours de répétitions ;
- 1 journée de rencontre avec les élèves pour leur présenter la future première partie de notre spectacle (SUPERNOVA), et de la sorte commencer à introduire les ateliers que nous ferons avec eux, dans ce même décor, à leur retour de vacances.

La « boite » dans la salle de sport de l’école

Nous avons construit notre « boite » (conçue par le scénographe Charles Chauvet) durant le mois de mars. Toute l’équipe y a participé. C’est une structure métallique de 20m2, avec des châssis intégrant enceintes et vidéoprojecteur, un plancher en bois possiblement agrémenté de différents sols (gris, noir et blanc), ainsi que plusieurs strates de rideaux (un rideau noir à la face, un tulle, un rideau plus léger et, dans le fond, un large rideau circulaire bleu.

C’est dans la salle de sport de l’école, petite salle isolée dans un coin de la cour, que nous l’installons dès notre arrivée le lundi matin. Nous découvrons notre espace dans ce lieu non adapté au spectacle vivant qui, tout compte fait, joue pleinement le jeu. Les cris des enfants, leurs toc-toc voyeurs et la sonnerie des interclasses du lycée voisin nous font nous souvenir, à chaque récréation, que nous sommes dans une école.

Le travail peut commencer dans ce qui s’apparenterait bel et bien à un « petit théâtre », nomade, mobile et modulable.
Je continue à privilégier le terme de « boite », plus adapté sans doute à notre usage du plateau et à une dimension plus contemporaine dans l’abord de la scène. Néanmoins le décor, enceint dans la salle de sport, a effectivement cet aspect, non prémédité, un brin traditionnel. C’est le signe, j’espère, qu’il saura interroger pleinement le théâtre, dans toutes ses acceptions, et avec l’imaginaire qu’il véhicule, mais avec décalage et par le prisme des outils qui sont les nôtres (dissociation des éléments du spectacle, recherche sur la sobriété du jeu de l’acteur et la naissance à vue du spectaculaire, transmission de récits et d’un rapport au monde médié par la littérature, travail sur l’intermède et le décalage des choses représentées).

Répétitions en cours

L’enjeu de cette semaine est double. Nous avons beaucoup préparé le travail en amont mais c’est la première fois que nous allons répéter dans notre scénographie. La boite transforme évidemment de manière radicale ce que nous avions cru nous représenter clairement. L’œil se fait à la réalité du dispositif. Nous avons trois jours pour tout préparer.

Il s’agit d’une part de montrer aux élèves par l’expérience et dans une démarche de partage ce que notre boite propose, les outils qu’elle génère, ses possibles. Tenter de créer du désir chez ses apprentis-spectateurs. Poser les premières pierres de discussions futures sur le théâtre, le regard du spectateur, l’histoire racontée, le présent de la réception. Se mettre en jeu avant de les faire jouer, se mettre au travail avant de les solliciter.

Mais il s’agit d’autre part, pour nous, de commencer vraiment le travail dans cet espace longtemps fantasmé. Il s’agit de mettre en œuvre la première partie du spectacle SUPERNOVA, dont nous proposerons une maquette à l’automne. Un acteur, Iannis Haillet, un récit, Construire un feu de Jack London, dans cette boite transformable. Chercher le rapport juste, exploiter des outils longuement explorés lors des répétitions des mois précédents ainsi que lors d’un long premier travail de recherche en 2015-2016. Nous nous y consacrons dès le lundi après-midi. La salle nous est généreusement mise à disposition quand nous le souhaitons, les répétitions vont vite, et le récit s’affine. Prise de sons, images vidéo, nouvelles coupes, énergie du geste qui se concrétise nous permettent d’aboutir à une petite forme de 25 minutes dont les premiers spectateurs seront trois classes d’enfants de CM1 et CM2, au regard étonnant !

La salle de sport "avant"
La salle de sport "avant"

Les élèves-spectateurs

Jeudi après-midi, 13h.
Nous attendons les élèves en trois vagues (13h15, 14h et 14h45), pour ce qui sera notre première rencontre avec eux, conformément à mon souhait de ne rien dire jusqu’ici par plaisir du mystère et par goût des surprises. Pas d’anticipation sur ce que serait le théâtre ou sur ce qu’ils croiraient s’attendre à voir, c’est moi qui leur annonce ce que nous leur avons préparé alors qu’ils sont rangés devant la salle. Je surprends un regard déçu chez celle qui s’attendait à une chasse aux œufs de Pâques. Tant pis, ce sera autre chose.

Il y a évidemment quelque chose de touchant à installer les enfants, par terre, devant la boite, à organiser les têtes qui dépassent ; une petite appréhension mais aussi un charme latent.
L’écoute est précise malgré la difficulté de la langue et une littérature ciselée, malgré un spectacle non-destiné a priori à ce qu’on appelle dans un grand fourre-tout aujourd’hui le « jeune public ».
L’écoute est perturbée par la toux bruyante d’une des élèves dans le premier groupe.
L’écoute est la nôtre, attentive aux signes d’intérêt de ce public novice, nos premiers spectateurs.

Chaque séance donne lieu à sa litanie de questions pressées, doigts levés, bras tendus. L’histoire n’aura finalement pas réellement retenu leur attention peut-être, ce sont les effets de la mise en scène qui les intéresseront, la « magie » du dispositif, en ce sens fidèle à notre découverte d’une scénographie éminemment théâtrale, comme si la proximité du dispositif, de l’acteur, redoublait encore les illusions. Les enfants des trois classes verront du feu sortir de la main du comédien, imagineront des figurants cachés derrière les rideaux pour démultiplier des ombres pourtant naturelles, ne reconnaitront pas la projection du visage du comédien qui est pourtant devant eux...

L’imagination du regard donc, une petite leçon de théâtre pour nos yeux d’adultes.

Montage de la structure métallique
Montage de la structure métallique