"Création En Cours" est l’occasion pour moi de poursuivre un cycle de recherche autour de dispositifs spectaculaires de narration renouant avec des formes liées à l’entresort forain, la performance, l’installation, qui investissent une logique de numéros tout en se concentrant sur la transmission du récit. Il s’agit de tenter de faire événement avec le théâtre, par des formes qui décalent la réception. A ce titre, je souhaite mettre à profit cette résidence pour construire une boite de jeu modulable et mobile, terrain de jeu scénographique pour ma recherche et dispositif d’immersion pour les enfants, que nous aurions à explorer ensemble. C'est un outil pour appréhender les fondamentaux du geste théâtral : lire, écouter, entrer en scène, se représenter, travailler avec de la vidéo, des lumières, et pour apprendre avec d’autres à mieux écouter et à mieux regarder. La question que je pose se concentre sur la naissance et la mort de l’événement théâtral et ce rituel évanescent et fuyant, mystérieux par nature. Le spectacle est « la plus déchirante des fêtes » comme le dit Roland Barthes, « je vois, je jouis et puis c’est fini. » Comment faire éclore, déployer puis accepter de voir disparaitre ce à quoi l’on vient d’assister ? Comment et d’où nait l’événement théâtral, le récit, le comédien ? C’est toute la beauté du phénomène des supernovae, ces explosions d’étoiles qui ne s’offrent à la vue que dans le moment même de leur brutale et lumineuse disparition. Mon projet s’articule en trois axes. 1. Un protocole d’expérimentation avec les élèves : introduction aux fondamentaux de la scène, exploration de l’outil scénographique et invention de petites formes 2. La poursuite de ma recherche autour de trois récits, auquel sont conviés les enfants et les professeurs pour des moments d’échange 3. l’investissement de différents lieux dans et hors de l’école pour tenter de sortir le théâtre à l’extérieur, avec les enfants et la communauté scolaire.
Par cette candidature au dispositif « Création En Cours », je me propose de poursuivre une recherche de création sur l’invention de formes théâtrales et spectaculaires de transmission des récits. Cette recherche devait, il y a un an et demi, donner lieu à la création d’un spectacle consacré au bonimenteur japonais du cinéma muet. J’ai fini par considérer qu’il était encore trop tôt et que je devais continuer à affiner les outils, trouver les mots, et inventer les protocoles justes. Les répétitions ont ouvert le champ d’une recherche à l’horizon plus large qu’attendu, et Benshi show est devenu Supernova, temps de recherche au long cours. Il s’agit à la fois de continuer à creuser mes obsessions, d’affirmer un geste singulier et de creuser le sillon d’une théâtralité que je traque, au croisement du non-événement et du spectaculaire. Je crois fondamentalement au rituel théâtral, j’ai l’intime conviction qu’il y a là l’occasion de créer du commun et je suis convaincu de la nécessité de construire aujourd’hui des dispositifs qui vont à la rencontre des publics en interrogeant les fondamentaux de l’acte théâtral : qu’est-ce qu’un acteur ? Qu’est-ce qu’un spectateur ? Pourquoi n’occupent-ils pas le même espace ? Quel est le pouvoir de l’acteur ? Qu’est-ce qui m’oblige au silence ou me fascine dans cette présence en représentation ? Quels sont les pouvoirs de la fiction ? Il n’y a pas pour moi de théâtre qui ne s’interroge sur ses moyens et cela est au cœur de ma démarche. Poser aujourd’hui ces questions à des enfants par la pratique me semble particulièrement important.
Mes précédents projets m’ont conduit à travailler sur des textes courts portés par un acteur au plateau. Il y a dans ces récits une puissance d’évocation, une expérience brute de la littérature et une concision qui condensent la fable tout en racontant aux hommes un petit morceau de leur histoire. Quelque chose de plus grand s’y joue à chaque fois. Avec "Supernova", je souhaite continuer à explorer dans un cadre mieux défini et plus formel désormais ces actes de récit. J’aimerais pour cela travailler à une succession de trois textes, chacun porté par un acteur différent : "Construire un feu" de Jack London, "Comment j’ai tué un éléphant" de George Orwell, et "Le Jeûneur" de Franz Kafka.
Ces trois récits sont trois petits drames individuels qui, par la force de leur description, mettent en jeu l’homme et sa solitude, et par-delà une forme de tragédie de l’existence. Aucun doute pour moi que ces trois textes dialoguent intimement, mais c’est ici l’arbitraire de leur juxtaposition que je cherche à mettre en jeu. Les trois récits se déploient l’un après l’autre, comme trois soli. Symboliquement, chacun des visages et des corps des acteurs est le représentant d’un des textes, son équivalent métaphorique pour le spectateur.
Mon travail se penche sur la transmission et l’importance du geste de transmission (« Je suis untel et je vais vous raconter... »), qui exige avant tout une forme de sobriété dans le jeu qui me pousse à creuser la notion de rituel en répétant pour chaque récit un protocole simple. Il s’agit de tenter de partir du vide, de peser l’importance du geste de l’acteur se présentant devant un public et de consacrer dans le temps de la représentation la naissance du spectacle.
Dans l’ordre des choses, le travail commence par le texte d’abord, seul, entendu, énoncé, sans la présence physique de l’acteur. C’est une réponse aux rêveries de Schiller dans sa correspondance avec Goethe, allant jusqu’à dire que l’acteur épique serait celui qui raconte caché derrière un rideau. Je le prends au mot. Les spectateurs sont d’abord face à un rideau, espace de projection mental de l’histoire qu’ils entendent, espace de rêverie qui oblige l’imaginaire à pallier ce que le spectacle refuse d’abord de lui donner.
Cela rejoint des procédés de dissociation que j’affectionne et répond d’abord à un besoin presque technique : pour toucher au cœur de chaque chose, il nous a fallu isoler le visage et le texte, la musique, la place des images, et traiter chacun d’eux séparément. Paradoxalement, la juxtaposition de ces différents éléments dans le temps de la représentation a commencé à créer du sens, des échos imprévus, et a ouvert le regard. Cela m’a conduit à inventer des exercices qui m’ont beaucoup surpris. Progressivement ensuite les éléments prennent et l’on peut commencer à jouer de combinaisons. C’est pour moi le début d’une entrée dans le spectaculaire qui se fait en complicité avec le public. Peu à peu, il devient possible de compromettre la sobriété du jeu et d’investir d’autres zones plus dramatiques et plus spectaculaires. Enfin c’est aussi la fonction des intermèdes, formes d’interruptions qui offrent une mise à distance de la chose regardée. C’est l’espace des numéros, formes courtes renvoyant ou non à la fiction, et où tout est possible. Ce sont des respirations, c’est du spectacle, et cela étrangéifie le récit et la représentation.
Ces recherches et ces notions demandent un terrain de jeu qui permettent de les déployer. Ayant entamé la réflexion avec des dispositifs scénographiques travaillant sur des rideaux, des découvertes, des apparitions, voir même une circulation du public, et inspirées de certains dispositifs forains, j’aimerais profiter de cette résidence de création pour construire une boîte qui me permettent d’affiner les protocoles de jeu, et qui soit un outil de travail avec les enfants. Cet espace est modulable, facilement transportable, composé de plusieurs plans de tulles et de rideaux, et comprend un mini vidéoprojecteur, des petits projecteurs et des enceintes pour diffuser de la musique et projeter des images. Il est appelé à s’intégrer facilement à des espaces intérieurs non-prévus pour le spectacle mais peut aussi être installé en extérieur. C’est un élément clef pour poursuivre ma recherche désormais, et qui me semble entrer en résonance avec les objectifs de transmission à mettre en œuvre pour travailler avec les élèves.
Meurthe-et-Moselle
Par le(s) artiste(s)