Jeu-les-Bois, département 36, habitants 404.
1 école, 2 classes : la maternelle et les "grands" ou 5 niveaux et 15 enfants.
J'ai le sentiment d'amerrir dans mon scaphandrier de novice sur une planète étrange, peuplée de ces êtres surnaturels qui me sont à la fois proches et surtout lointains : les enfants.
L'école est fermée à clef, je sonne.
Claire, l'institutrice court les quelques mètres jusqu'à la grille, souriante sous son masque. Derrière elle, dans la porte laissée entrebâillée, j'aperçois de petits visages tournés vers moi.
Quand j'entre, ils se lèvent tous d'un même mouvement ; j'avais oublié cette coutume académique (dans mon souvenir ce n'était que pour le proviseur), mais c'est bien la première fois que quinze personnes réagissent de la sorte à mon arrivée.
Aussi, ils clament d'une même voix "Bon-jour An-ne-Li-ne !"
et Claire, de leur demander : "Vous vous souvenez ce qu'elle est venue faire ici ?
"Oui, de l'ART !"
À cette heure, c'est bien moi la personne la plus impressionnée de Jeu-les-Bois.
Assis par terre sur d'étranges coussins coccinelles, on écoute.
Les plus petits comme les plus grands se prêtent au jeu de fermer les yeux, de noter les micros-évènements qui empêchent tout silence : le radiateur qui cliquète, nos respirations, des pas dans l'appartement au-dessus de l'école, un rare vrombissement de voiture au dehors. On compare, on constate.
On parle des chambres anéchoïques, de la mer dans les coquillages - ils sont curieux du son dans l'espace, du son dans la mer.
Puis, je leur fais des devinettes sonores : partout, ils entendent des tracteurs, des tronçonneuses, des moissonneuses, en place d'un moteur de bateau, de l'intérieur d'un frigo : la mer est loin, les champs partout autour.
Enfin, on s'allonge, on coupe la lumière, on allume le son, et je leur demande de dessiner, d'écrire, de gribouiller tout ce qui leur passe dans la tête et dans le corps en écoutant un paysage sonore Ol-Olool-O de Chris Watson.