Perçements des jambages de porte

Hugin et Munin (work in progress)

Publié par Guillaume Cochinaire

Mon projet avance à grands pas! Voici le texte écrit pour accompagner ma pièce lors de l'exposition de fin de résidence.

Hugin et Munin, 2017 (travail en cours)

Pierre de savonnière, branches de chêne, corde en chanvre, ronce, peau de mouton, peinture à l'huile, bol en acacia, descente d'eau japonaise en cuivre, cive en verre soufflé, marbre noir fin de Belgique. Cette sculpture est constituée d'une grande diversité de matériaux qui tous sont venus s'assembler entre eux au fur et à mesure de mes recherches. J'avais déjà Munin, le corbeau de la mémoire dans la mythologie nordique, sculpté dans le marbre et je voulais Hugin le corbeau de la pensée. Le marbre lourd et la position suspendue du premier, comme s'il était attaché, devait faire du second une figure plus libre et immatérielle. Peut-être le devine-t-on quelque part en avant de ce cumulo-nimbus, annonçant de ses croassements la tempête qui arrive. Ce travail étant en cours, je ne sais pas encore si je le ferai figurer ou non en peinture. Le doute comme la pensée subsistent… J'avais un corbeau et je voulais son frère en plein vol. Il me fallait donc un ciel. J'avais aussi des peaux de moutons et quelques temps auparavant j'avais pu constater un phénomène physico-chimique particulier : après le nettoyage d'une peau, son envers pendant quelques minutes devient bleu, d'un bleu électrique rappelant le bleu des cyanotypes (ancienne technique de tirage photographique). Il en fallut peu pour que je franchisse le cap mental de revenir à la peinture après dix années d'abstinence.

Pour utiliser de la peau de mouton...

... comme une toile (d'ailleurs avant la toile et après le papyrus il y eu le vélin, au Moyen-âge, qui était fait de la peau d'un veau mort-né) il faut la tendre sur un châssis. De plus, pour que la toison puisse aussi être vue du spectateur, il faut pouvoir l'éloigner du mur et avoir donc un piètement assez lourd et stable pour tenir le tout à une hauteur suffisante. Ou comment les contraintes de monstration impliquent une profusion de matériaux… Ce fut donc là un challenge technique mais aussi et surtout, je voulais montrer une suite de dualités. Le recto de la peau évoque la tempête à venir et le vent qui se lève quand la lourdeur de la structure rappelle la gravité terrestre ; la laine au verso suggère la douceur et la chaleur quand les épines de ronces retiennent et blessent. Nous sommes dans l'instant suspendu d'un phénomène météorologique que l'on pourrait rapprocher de celui de "l'oeil du cyclone". Aussi l'évidence du jeu de mot entre "le temps qui passe" et "le temps qu'il fait" ne donne ici pas moins de sens à cette homophonie.

Assemblage du bois
Assemblage du bois

L'idée est donc...

... de proposer un circuit à l'oeil du "regardeur" comme, d'une certaine manière, le cycle de l'eau, du nuage peint à la descente d'eau, et jusqu'au réceptacle posé sur l'un des jambages de la "porte". Cette pièce aurait d'ailleurs pu s'appeler "sublimation" (la sublimation étant le passage d'un état solide à un état gazeux) si l'on veut bien considérer la forte matérialité de l’œuvre vis-à-vis des concepts qu'elle tente de susciter chez le spectateur. La descente d'eau japonaise (kusari doi) est à mettre en parallèle avec les pièces Véhicule et Reptilience, dans la répétition des formes et le mouvement induit. Au Japon la segmentation de la canalisation lui donnent la flexibilité nécessaire pour résister aux tempêtes (et aux tremblements de terre, les maisons nippones étant légères). Une étude montre par ailleurs que parmi les dix premiers mots des enfants japonais en bas-âge, le mot "nuage" apparaît en bonne place (quand chez les petits Américains c'est le mot "money"!). Cela s'explique par l'attention portée par les Japonais aux phénomènes naturels et par la sacralisation de la nature sauvage dans un pays en grande partie tropical.

Le châssis, le nuage et la descente d'eau japonaise
Le châssis, le nuage et la descente d'eau japonaise