Terreau terreur est un projet d’écriture romanesque pour le théâtre. C’est un récit flirtant avec mes souvenirs d’enfance et mes questionnements d’adulte. Quatre adolescents entrent en résistance dans une quête philosophique et politique interrogeant la justice, l’égalité et la violence par le prisme de ces futurs adultes enthousiastes et joyeux, c’est-à-dire pleins de vie, de force et d’espoir. Le travail d’écriture et de création du texte se fera en parallèle d’une rencontre, que je souhaite la plus large possible, avec des élèves confrontés à ces questions. Je les inviterai à une réflexion sur une école potentielle, une école imaginant pour l’expérience une autre école, une école de l’aventure politique en somme. Mêlant grands textes philosophiques, simulation historique, imagerie naïve et sensibilité poétique, actualités et enjeux contemporains, Terreau Terreur se veut une proposition de débat et d'expérimentation politique, une main tendue partout où on voudra la saisir.
Le contexte dans lequel j’ai grandi est aussi celui qui me pousse à vouloir élaborer et construire cette fable. Le 27 octobre 2005, Zyed Benna et Bouna Traoré décédaient tragiquement, déclenchant dans les banlieues l’une des plus grandes crises de la France contemporaine. Quelques années plus tard, je quittai « ma banlieue », Sarcelles, pour Paris et les études supérieures. L’ouverture à la création théâtrale contemporaine, les cours de philosophie, d’histoire et l’approche sociologique que je découvrais tout à fait, loin de m’éloigner de ces lieux où j’ai grandi et formé mon caractère de citoyen, me rappelaient constamment les questionnements que cet événement et ses conséquences avaient générés.
La violence sans mesure qui se déploie dans ces moments-là venait percuter mon esprit et mon corps « innocent » ; aussi loin que je m’en souvienne, je crois ne m’être jamais battu, ni porté la main sur quelqu’un ou quelque chose dans le but d’exprimer mon désarroi, ma colère, mes revendications. Cette violence-ci m’apparaissaient complètement étrangère et pourtant je ne parvenais pas à la condamner tout à fait. Qu’est-ce que qui se jouait en moi ?
Et puis, dans le spectacle Et balancez mes cendres sur Mickey du metteur en scène Rodrigo Garcia, vu à Aubervilliers, il y a une scène particulièrement qui a ravivé toutes ces sensations. Dans le monologue central, l’artiste s’interrogeait sur l’intérêt d’enseigner — à l’école proprement — la violence ; il proposait même des intitulés de cours (que je cite ici en substance) : « quand la violence est-elle juste ? » ou « les vraies cibles », etc. … Cette idée bien qu’anti-conformiste n’a cessé de me revenir à l’esprit jusqu’à ce que je décide d’en faire un projet d’écriture d’abord, de spectacle ensuite.
L’ambition de ce projet de texte n’est pas d’encourager à la violence, mais de la saisir là où elle pourrait être intelligible, de la peindre et de la faire comprendre quand son fondement serait une rupture d’égalité. Il me semble étonnant, en effet, que la violence à l’école, question prioritaire si l’on en croit la nombreuse bibliographie et les nombreuses études du Ministère de l’Education des vingts- dernières années, est, dans la littérature, du moins pour adolescents, presque toujours abordée pour d’emblée se discréditer elle-même. Et parce qu'elle est indiscutablement toujours illégitime, elle disparaît du même coup comme objet d'enquête.
On peut mettre en scène le racket, les discriminations, mais pour trop rarement remonter aux problèmes philosophiques voire anthropologiques, et surtout divers, que la violence pose — en tant qu’acte — dans cet espace quasi-sacré de la socialisation qu’est l’institution scolaire. La violence n’apparaît juste que dans les livres d’histoire, et pour certaines époques seulement : pourquoi ? Pourquoi et comment l’école, d’hier à aujourd’hui, d’un territoire de la violence des maîtres par le châtiment, est devenue l’espace décrié de l’indiscipline ? Toute violence se questionne. Tout le monde se doit de questionner la violence.
A travers ce projet, je voudrais me poser le problème radical suivant : une école— à l’instar de notre société — qui ne postule aucune règle est-il envisageable ? Bien sûr, je ne le crois pas. Et d’ailleurs l’école, les enseignants, les militants de l’éducation accomplissent dans ces espaces si complexes des missions essentielles. Mais mon ambition d’auteur est d’aller creuser au coeur des paradoxes pour rendre compte de la complexité du monde qui est le nôtre.
Le texte intitulé Terreau Terreur racontera l’histoire de quatre jeunes collégiens (Reda, Awa, Charlotte et Julien) qui, suite à ce qui leur apparaît comme une injustice, enclenchent dans leur école une sorte de révolution, font une table rase outrepassant le règlement. Et par le récit haletant, mais largement fantasmé, que nous font les protagonistes, on aperçoit la construction d’un contrat social peut-être neuf. Cette expérience politique, sans dramatisation mais lyrique, ne va pas sans dégâts, sans accidents. Faut-il un ordre ? Faut-il une justice ? peut-on s’en passer ? A-t-on même le droit de fantasmer le collège autrement ? Et, que pense le monde de leur entreprise ?
Le titre évoque un bac à sable dans lequel on trouverait tout à la fois la période sanglante de la Grande Terreur pendant la Révolution française, mais trop souvent mal comprise et caricaturée, aussi bien que les dérives sociales qui nous sont contemporaines (dé-socialisation violente, radicalisation...).
J’ai choisi la forme romanesque car elle me semblait la plus à même de travailler, dans l’écriture, à un réseau d’images en apparence naïves (le quartier d’une pomme comme analogie du quartier urbain, par exemple) qui viendraient contraster avec les débats philosophiques complexes (la justice, l’égalité). J’aimerais que le lecteur saisissent cette confrontation volontaire entre la perception d’un narrateur ultra-sensible et l’intelligence pratique et théorique, presque la sagesse, formulée par les adolescents.
Pour écrire, et même si mon récit se passe au milieu des années 2000, je souhaite retourner sur le terrain, retourner au contact des jeunes adolescents. Même si la décennie écoulée a déjà tout modifié, je crois que les problématiques restent et demeurent actuelles.
Mes personnages, je les conçois, comme de petits Socrates, c’est-à-dire qu’ils en viennent, par le dialogue et la discussion à formuler des concepts et à s’approcher d’une vérité philosophique. Ils s’accouchent eux-même intellectuellement en toute indépendance des adultes. Je souhaite donc pendant les phases préparatoires à l’écriture disposer du temps nécessaire pour relire les grands textes philosophiques, les grands essais sociologiques et toutes les recherches récentes en sciences humaines qui pourraient guider mon récit. Il ne s’agirait pas ensuite de tout restituer dans le texte mais d’en rapporter la moelle, le nerf et de muscler le récit.
L’écriture doit bouillonner ; elle doit me déplacer. Je ne la voudrais pas seulement statique, assis derrière une table. Et même si le texte prend la forme d’un roman, je projète déjà de porter celui-ci sur scène dans un second temps car je crois qu’il aura, en lui, les moyens de se faire entendre sur un plateau : des dialogues vifs et percutants, un récit haletant, une course-poursuite philosophique. Ce spectacle serait aussi le moyen de rendre hommage et de poursuivre le travail en suscitant le débat partout où l’on voudra qu’il ait lieu.
Tous les aspects de ce projet en font une expérience politique et sensible, comme une recréation des milles destins politiques qui, si on leur donne l’espace et l’imagination, nous tendent les bras.
——Le texte——
Pour l’heure, seuls le début du premier chapitre et quelques passages ont été entamés. Un embryon de structure du récit existe aussi, dont voici la trame :
Dans la première partie, les quatre protagonistes expérimentent et pensent différents types d’injustice, et notamment celles qui leur sont faites mais ils parlent aussi des étranges incidents survenues dans la ville voisine. Dans la cour, ils fondent sans le savoir un Club philosophique qui devient pour eux comme une école de la pensée. Là démarre la remise en cause du monde où ils vivent.
Dans la seconde partie, on assiste aux événements qu’ils déclenchent trois semaines seulement après la rentrée. Comment mettent-ils en action leurs conclusions ? Quels sont les étranges hommes gris qui cerclent leur collège ? Mis en défaite, ils se replient au C.D.I. et tentent de trouver dans les livres qui s’y trouvent une solution, une porte de sortie, un ultime chant d’espoir.
La dernière partie se déroule cinq ans plus tard. Awa, Reda, Julien et Charlotte, devenus majeurs, se revoient le jour où le délit est définitivement prescrit. Ils comparent l’effet que les événements ont eu sur leurs vies. Quelle radicalité leur faut-il désormais ?
Par le(s) artiste(s)