Nyx est un projet porté par de jeunes artistes issus de différentes écoles. Il croise des arts et des pratiques différentes. Se côtoient en effet dans ce projet des danseuses, un auteur de théâtre, une créatrice lumières, une scénographe, un créateur son et une créatrice vidéo. Notre projet est résolument tourné vers l’hybridation et l’expérimentation de formes par la rencontre entre nos arts. L’idée de ce projet est née dans notre groupe de travail après la lecture d’un livre de Michaël Foessel intitulé : "La Nuit, vivre sans témoin". Ce livre est une réflexion sur les « expériences de la nuit » et leur diversité - expériences politiques, festives, intimes, angoissantes et caetera. Que fait la nuit sur nos corps et nos esprits ? Quelles expériences, quelles perceptions, quels agencements de corps et de sens la nuit permet-elle qui ne seraient possibles nulle part ailleurs ? Et comment la représentation chorégraphique et théâtrale peut être affectée par ces configurations nocturnes ? Nous souhaiterions que les temps de transmission soient à double sens, c’est-à-dire que nous puissions montrer aux élèves ce qu’est un travail de création artistique pluridisciplinaire et que ce travail nourrisse en contrepartie notre recherche. Nous pourrions ainsi, dans la transmission auprès des élèves, tenter de reprendre ce qui correspond à nos propres temporalités de création, en les adaptant, bien sûr, à un « jeune public ».
Spontanément, la nuit est vue comme « négatif » du jour. La nuit se définirait par ce qu’elle n’a pas : la lumière. Le jour serait le moment d’activité ; la nuit, celui de la passivité. Notre projet de recherche se propose de s’intéresser à la nuit comme objet à part entière. Car « nuit » n’est pas synonyme de « noir » ; il y a toujours quelque chose à voir dans la nuit. Mais notre vue est troublée, mise en péril. L’apparition s’y fait de façon intermittente. Comment dès lors, sur un plateau de théâtre, l’apparition se trouve-t-elle remise en jeu ? Nous avons exploré dans notre travail plusieurs pistes de recherche à partir desquelles nous commencerons à partir d’août 2018 un travail d’écriture scénique. Ces pistes de recherche ont été soulevées lors d’une phase de travail à la table et ont été poursuivies par la recherche, concrète, au plateau.
- Nuits politiques -
La question politique, tout d’abord, nous a intéressés. On ne cherchera pas à trouver une « essence » de la nuit, éternelle, immuable, mais plutôt à voir comment elle est aujourd’hui un lieu dont les pouvoirs cherchent à s’emparer. Dans la nuit s’exercent un certain nombre de rapports de force. Différents pouvoirs veulent quadriller la nuit par différents stratagèmes : patrouilles, arrestations, perquisitions nocturnes. Mais ce sont les stratégies « lumineuses » de ces pouvoirs qui nous intéressent particulièrement en vue d’un passage au plateau : la façon dont le capitalisme, par exemple, par les écrans, par la publicité envahit les villes, la façon dont les forces policières, par la « lumière blanche », visent à rendre tout visibilité aux nuits. Pourtant la nuit n’est pas seulement un moment d’oppression. S’y ouvrent également des parcelles, des « lucioles » d’émancipation : en des lieux secrets, des hommes et des femmes se réunissent en quête de configurations collectives alternatives à celles du jour (récemment les rassemblements du mouvement « Nuit Debout »). Ces investissements politiques de la nuit, nous allons les traiter dans la danse par un travail sur le groupe, sur les groupes, et leur rapport. Il faudra trouver les tensions de la nuit, et l’enjeu est pour nous de représenter, avec ambiguïté et complexité, la nuit à la fois comme source d’aliénation et d’émancipation dans l’expérience des corps. La création lumières prendra en compte cette dimension politique ; car la lumière, dans la nuit, devient un instrument de pouvoir. Ce pouvoir duel de la lumière – à la fois, source d’espoir, de réconfort, et arme de contrôle, d’atténuation des expériences nocturne – oriente dans notre travail lien entre lumière et chorégraphie.
- Rythme et fête -
Le thème de la fête, comme moment propre à la nuit, s’est en outre posé avec insistance et découle, en partie, de l’interrogation politique. La fête semble cristalliser bien des ambiguïtés et ambivalences de la nuit. S’y expérimentent des façons de se mouvoir, de rythmer son corps de manière différente, d’éprouver, par la danse notamment, un moment de libération. Pourtant la fête comporte aussi ses violences sociales, sexuelles, ses harcèlements. Une fête peut mal tourner, ou s’appesantir, devenir ennuyeuse, triste, mélancolique. En août 2018, nous travaillerons autour de ce thème à partir d’exercices et de dispositifs de travail que nous avons commencés à aborder lors de notre dernière résidence. Nous travaillerons ainsi sur « l’entrée dans la nuit » par des propositions chorégraphiques sur « la préparation à la fête ». Nous tenterons de travailler à un « canon » de fragments dansés sur le thème « faire la fête tout seul ». Nous travaillerons sur le rapport entre son et danse, avec des danses animées par les souffles, les bruits, les onomatopées, les mots, les éructations produites par une personne assise dans le noir. De même un « matériau textuel » a été écrit, sous la forme d’un décompte d’heures, où, à la deuxième personne du singulier, tentent de décrire la traversée d’une fête, de comprendre les évolutions, les instincts, les pulsions et impulsions diverses qui, la nuit, traversent le corps en fête : l’excitation, la séduction, la libération, la violence, le harcèlement, la fatigue, l’ivresse, l’écroulement.
- Nuit et mélancolie –
Nous travaillons sur la nuit du mélancolique comme deuxième piste de travail. Ce « territoire d’écriture » nous permet en effet de travailler ici les ambivalences de la nuit. Pour le mélancolique, la nuit peut représenter à la fois le lieu de refuge, le lieu du confort, le lieu d’épanchement mais aussi l’image de son malheur, de sa « bile noire », de l’arrachement. A ce titre, la représentation du mélancolique, dans la nuit, nous semble intéressante à mettre en relief avec la fête. Cela nous amène à travailler sur des états de corps et des qualités de mouvement s’approchant de cette ambivalence : propositions chorégraphiques de corps au sol, dans un état d’enfoncement et de confort – confort de cette nuit dans laquelle le mélancolique se fond, se dissout ; puis, propositions où le corps se détache et s’arrache (de façon douloureuse, angoissée – ou non) de ce sol. L’entremêlement des corps mélancoliques est également travaillé : à partir de l’expression « porter son fardeau », nous en sommes arrivés à une proposition chorégraphique à base de portés où nos « figures mélancoliques » portent, traînent d’autres corps, créant ainsi des images rappelant la torpeur du dépressif et rendant possible une multiplicité de sens : le corps porté devient cadavre, déchet, fardeau ; le porteur un vagabond, un éboueur, un chiffonnier. Une proposition de dispositif chorégraphique se fait également sur l’ennui dans la nuit (car la nuit n’est pas toujours pleine, intense, dynamique) : proposition de dispositif où le balancement d’une chaise crée un tempo sur lequel vient se tresser par la suite une série de micro-gestes ayant trait au danger, à la panique, à la tristesse nocturne. De même que pour la fête, des textes ont été écrits et sont toujours en cours d’écriture sous la forme du décompte où l’on découvre la traversée nocturne d’un personnage de mélancolique.
- L’hybridation
Notre travail étant collectif et se déployant sur un temps relativement long de travail, nous précisons, au fur et à mesure de notre travail, notre territoire d’écriture. Nous sommes aujourd’hui à un point de travail où nous avons « cerné » les principales pistes, décidé de quelques propositions chorégraphiques que nous allons désormais développer. Après un premier temps où, volontairement, nous avons décidé de travailler avec une multitude de propositions, nous allons désormais approfondir les pistes concrètes de travail décrites ci-dessus afin de trouver la trame de notre pièce. Notre travail est véritablement un travail de recherche car nous essayons, le plus possible, de faire avancer toutes les disciplines ensemble, en même temps, et non, comme dans des modalités plus classiques de création, procéder d’abord à un travail de danse-théâtre, et, dans un second temps seulement, à la création lumières et scénographiques. Nous adoptons cette méthode de travail volontairement hybride, collective, mêlant des disciplines et des talents divers, pour essayer de trouver de la façon la plus juste cette « expérience nocturne » que pourrait accueillir une scène de théâtre et pour que l’intelligence de chaque discipline puisse s’épanouir dans un dialogue constant avec celle des autres.
Par le(s) artiste(s)
Les Ateliers Médicis seront fermés au public du 21 décembre au soir au 5 janvier inclus.