« Les trois 29 février » est un projet d’écriture qui explore la transversalité entre littérature, art contemporain et sociologie.
Cette fiction poétique nous projette dans le quotidien de Karen Mose, bacchanaliste et ritologue, qui reçoit sur son bureau des propositions de festivités et rituels à étudier. L’humanité est en effet invitée à imaginer des rituels (dans leur acceptation la plus large) à mettre en œuvre les 29 février d’années bissextiles, en vue de commémorer et de compenser les trois 29 février fantômes. Ce jour si rare sera donc l’occasion, pour chaque individu ou collectif d’individus, de revendiquer ce qui est essentiel à l’existence de son groupe : ce à quoi il aspire, ce qu’il veut sauve(garde)r.
Au travers d’ateliers d’écriture et de création (performative et plastique), l’artiste intervenante et les élèves se mettront alternativement dans la peau de cette narratrice, et dans celle des citoyens qui inventent et testent à l’échelle leurs propositions.
« Les trois 29 février » est un projet d’écriture-Livre et Hors-livre qui se déploie sur plusieurs médium : récits écrits, performances, œuvres plastiques, expériences (observations et recherches sociologiques, voyages, etc). C’est un objet poétique et fictionnel qui explore la transversalité entre littérature, arts et sociologie. Il s’inscrit dans mes recherches initiées en école d’art, poursuivies lors de mon master de Création Littéraire, et lors de ma licence en Sciences du langage (département Sociologie, branche anthropologie clinique).
Le projet "Les trois 29 février" est né suite à mon étonnement en découvrant les nombreuses "journées mondiales" instituées par l'ONU pour quasi chaque jour du calendrier. Le 29 février, de par sa spécificité, m’est apparu comme un espace intéressant à occuper, d’autant plus qu’il renvoie dans nos esprits aux trois 29 février que nous avons perdu. Trois jours fantômes que nous aurions pu occuper d’une manière ou d’une autre. Le premier geste symbolique de ce nouveau projet est de vivre cette disparition comme une réelle fracture temporelle, et de chercher à compenser cette perte en créant, lors des 29 février existants, quelque chose de bien plus grand. Qu’inventer pour et dans cet espace de liberté ? Avec qui faire groupe et que proposer ? Que souhaitons-nous mettre en avant de ce qui nous relie, de notre histoire, de notre culture, de l’hybridation de nos cultures ?
Pour tenter de répondre à ces questions et organiser des journées de festivités, une femme recueille, trie, réfléchit les propositions. Elle se rend également sur le terrain pour vivre et valider des essais grandeur nature, observer, conseiller, comparer. Intégrer dans l’Histoire. Cette narratrice, Karen Mose, bacchanaliste et ritologue, est une spécialiste des festivités et des rituels. Elle est chargée d’étudier les propositions d’habitants, groupes d’habitants, parfois unis par une localité, parfois issus de quartiers, villages, villes, régions, pays différents, mais unis par un intérêt, une préoccupation commune. Ceux-ci sont invités à imaginer un ensemble de festivités, célébrations, repas, commémorations, gestes, traditions, œuvres, chants, manifestations sportives, performances, etc.. En somme, des rituels, dans leur acceptation la plus large.
Je renvoie pour cela à la définition de Jean Maisonneuve : Concept transdisciplinaire (sociologie, ethnologie, psychologie sociale, psychanalyse, éthologie). Les rituels désignent un ensemble (ou un type) de pratiques prescrites ou interdites, liées à des croyances magiques et/ou religieuses, à des cérémonies et à des fêtes, selon les dichotomies du sacré et du profane, du pur et de l’impur.
Ainsi, nous naviguerons tout aussi bien entre cérémonies religieuses, Haka des All Blacks ou chorégraphies synchrones de Pom Pom Grils précédant un match, rites de politesses analysés par Erving Goffman, ou encore préparation de repas (de fête, ou quotidien) à travers le monde. Et ce, depuis l’histoire du choix des ingrédients (Thanks Giving, piler des coquilles d’œufs pour réaliser des loukoums) jusqu’au processus de fabrication qui mêlent argument technique et comportement rituel (préparation et repos de l’Anko, Ramen et cérémonie du thé, etc.) J’apporterai une attention particulière aux rituels à dimension sonore, puisque le son et le parlé-chanté sont une composante essentielle de mon travail. Je constitue depuis longtemps une audiothèque composée de chants, prières, glossolalies de différents cultes. Cela pourra aussi concerner des traditions telle que celle qui consiste à poser, en Amérique du Sud, des cartes musicales sur toutes les tombes le jour des Morts.
Tous ces rituels seront pour moi une source d’inspiration et de référence, et viendront nourrir aussi la dimension Hors-Livre du projet, dimension que nous expérimenterons grandeur nature avec les élèves, par le biais d’une performance, une installation, une œuvre... pensée et réalisée ensemble.
En ce moment je commence à réfléchir à l’un des rituels étudiés par Karen Mose, une proposition issues de femmes islandaises et françaises. Elles souhaitent faire une proposition en lien avec l’histoire qui unit fortement les deux littoraux, à travers la ville de Paimpol, et celle de Fáskrúðsfjörður.
Souhaitant sauvegarder le lien qui les unit, ces citoyennes se rapprochent d’un rituel Islandais-français du passé, qui se déroule dans le contexte de la grande pêche sur les bancs d’Islande. Il évoque des femmes qui, en guise d’ex-voto afin de protéger les marins, tracent de grandes marelles sur les plages de sable noir (côté Fáskrúðsfjörður) et de sable blanc (côté Paimpol). La marelle, rejoignant la terre et le ciel via son système de cases de 1 à 8, est une représentation ancienne des cathédrales. Ce jeu porte déjà en soi une forte symbolique rituelle. Autour de la marelle, il y a de nombreuses éléments à étudier : la symbolique des chiffres des cases, des phrases à énoncer en équilibre sur chaque case, mais aussi la gestuelle : on jette une pierre, on avance à cloche-pied, parce qu’un héros n’entre au paradis que d’un seul pied.
Karen Mose, afin de valider ou d’invalider la cohérence de leur nouveau rituel, se replonge dans le passé de ce territoire : à l’époque de la grande pèche en Islande, des rituels étaient mis en place : création de phrases-dialectes qui hybridaient le français et l’islandais pour parler de l’arrivée des biscuits (il n y avait pas de farine en Islande), totems au départ des bateaux avec suspension de nombreux objets marins, etc. Les rituels proposés sont donc aussi l’occasion, pour Karen Mose, de se pencher sur l’histoire des lieux et d’intégrer ces propositions dans l’Histoire. En parallèle d’une réflexion autour de ce récit Islando-français, j’expérimente en ce moment une version performance vocale, qui mêlera ma voix (qui fait récit, chante) et des bruitages ainsi que des phrases réalisées en cut-up, en prélevant des mots de différents chants islandais de 1900. Je ferai énoncer à ces voix de femmes, aux mots prélevés dans leurs différents chants, les règles anciennes de ce jeu de marelle. Cette fiction, qui n’en est qu’à son balbutiement, est née de ma rencontre, l’automne dernier, avec le musée français de la pèche en Islande. J’ai pu recueillir de nombreuses informations sur l’histoire de ce village, Fáskrúðsfjörður et de son lien avec les pêcheurs paimpolais, originaires des Côtes d’Armor, département dont je viens. Certains voyages constituent pour moi quelques chose du travail de terrain, qui n’a pas l’exigence de celui d’un sociologue/anthropologue professionnel, mais qui initie et vient nourrir activement les futurs récits, et ce regard de narratrice ritologue et bacchanaliste.
Ce projet poétique et fictionnel mêlera fantaisie rituelle et invention de nouvelles actions, qui nous permettraient de retrouver du lien, du temps, et en ce sens, affirmer la volonté d'esquisser des formes d'utopies
Par le(s) artiste(s)