Le projet que nous portons pour Création en cours se découpe en trois chapitres conçus en entremêlement avec les différentes saisons que nous traverserons durant la résidence. En relation étroite avec les contextes naturels et sociaux, ces trois temps permettront l'émergences de signes, de traces et d'empreintes dont les produits, par leurs agencements feront éclore un environnement sensible. Les dispositifs et propositions mis en place permettront aux élèves de découvrir les gestes, techniques et pratiques de l'imprimé en articulation directe avec leurs environnements immédiats. L'hiver, près du plancher, nous permettra de rencontrer et de révéler le patrimoine lapidaire local. Le printemps sera le temps des gestes et des observations. Au creux d'une serre aux fonctions multiples fleuriront les bourgeons de nos cueillettes. Un été convivial nous permettra, au bord d'un bassin de gouter les biscuits ornés des glyphes des différents langages que nous aurons inventés.
'Pourquoi les artistes modernes et contemporains ont-ils, aussi obstinément, exploré et utilisé les ressources de l’empreinte, cette façon en quelque sorte préhistorique d’engendrer les formes ? - En quoi le jeu, apparemment si simple, de l’organe (la main…), du geste (enfoncer…) et de la matière (le plâtre…) accède-t-il à la complexité d’une technique et d’une pensée de la procédure ? – En quoi cette technique, qui d’abord suppose le contact, transforme-t-elle les conditions fondamentales de la ressemblance et de la représentation ? – À quel genre d’érotisme ce travail du contact donne-t-il lieu ? – Quelle sorte de mémoire et de présent, quelle sorte d’anachronisme l’empreinte propose-t-elle à l’histoire de l’art aujourd’hui ?
Georges Didi Huberman, la ressemblance par contact, éditions de Minuit, Paris, 2008.
Entre nous et depuis notre rencontre, nous nous amusons à construire, meubler et habiter notre cabane commune. Cet endroit, encore à l’état d’esquisse, est dédié à l’observation, à la halte, au partage des rêves et des formes sensibles ainsi qu’à la convivialité. Elle existe au sens propre comme lieu d’atelier, de transformations, de réunions et de mise en commun et au sens figuré comme un tremplin pour l’imaginaire, comme un lieu où se tissent nos pensées et où s’ébauchent nos mécanismes d’actions.
La construction et le développement de cette cabane, lieu commun et œuvre commune, sera donc l’objet de notre recherche. Elle sera constituée par l’imbrication entropique d’une multiplicité de gestes poétiques rendus possibles par le partage de nos outils. Les procédés que nous souhaitons mettre en place s’envisagent à travers des mécanismes de corrélations et la découverte de chaînes opératoires. Un geste permet de réaliser une forme dont l’apparition rend nécessaire la matérialisation d’un nouvel outil engendrant à son tour des usages inédits... Peu à peu la construction d’un réseau de gestes interdépendants produiront un écosystème singulier constitué d’un entrelacs de circonstances inhérentes aux milieux d’où l’on opère.
L’ensemble de notre recherche via Création en Cours s’articulera autour de deux axes: L’extérieur et son territoire comme lieu et patrimoine à révéler, réceptacle de formes à observer, à capturer et, secondement, l’intérieur comme espace d’atelier où l’on agencera nos impressions et où la construction d’un édifice personnel pourra s’opérer.
Nous souhaitons mettre en place de nombreuses ballades qui seront autant d’occasions de glaner et de générer des formes autour de l’école qui nous accueillera. Ces propositions émaneront de notre amour du voyage et de l’aventure en pleine nature, se fileront autour de l’imaginaire du bivouac et du campement nomade. Elles seront nourries par des collectes fragmentaires, par l’observation, la captation et le glanage des épanouissements des flores et des traces sensibles des présences humaines.
Il sera question de transformer ces formes cueillies ou révélées au sein des dispositifs que nous mettrons en place dans l'espace de l’école.
Ces dispositifs autonomes formeront une charpente qui permettra à cet édifice, que nous appelons 'cabane', de s’autogénérer via des gestes simples.
Les différentes temporalités de travail seront l’occasion de mettre en partage les techniques, méthodes et savoirs-faire sensibles qui nous sont propres.
L’estampe, la typographie et l’imprimé constituent les savoirs-faire majeurs de nos pratiques. Ceux-ci seront combinés à des gestes et des manières de vivre issus du quotidien que nous partageons.
Les différentes questions attenantes à l’empreinte, à la trace, aux relevés, et à la multiplicité forment le socle de ce projet. Nous les envisagerons dans leurs dimensions heuristiques comme des moyens d’accéder et de révéler la frange tactile du visible.
Les zones géographiques dans lesquelles nous souhaitons opérer sont des territoires ruraux marqués par des présences humaines séculaires dont les activités ont lentement façonnées les paysages. Ces patrimoines agro-pastoraux révèlent des modes de vies ancestraux, liés, plus qu’ailleurs, aux cycles naturels et saisonniers.
Aussi nous avons réfléchi ces temps de recherches et de création à partir du découpage temporel des saisons.
Les trois saisons successives que nous traverserons ensemble constitueront les trois chapitres distincts du projet. Chaque saison fera l’objet d’un axe de travail spécifique à ses caractéristiques. Les symboles, matières, gestes et rythmes qu’elles évoquent viendront nourrir nos recherches. Ces actes nous mèneront progressivement à la construction de cette cabane.
HIVER
La Burle souffle fort sur le plateau de l'Aubrac. Nous avons remonté nos écharpes et avons passé quelques heures au creux de la vieille grange à l’orée du village. Munis de rouleaux encreurs, de pointes de graphite et de pinceaux brosses nous avons appliqué un papier japonais sur les murs. Nos outils nous ont permis de révéler de nombreuses gravures dont nous ignorions les présences. Il semblerait que les pierres de l'église soient aussi ornées de quelques signes mystérieux et madame le Maire nous a donné rendez-vous pour que nous puissions en récupérer les empreintes. Sous le préau de l’école l’autre groupe a entamé l’assemblage du plancher. C’est une grande estrade qui bientôt sera recouverte d’une multitudes de signes en creux. À notre retour nous accrocherons sur les murs de la classe l’ensemble de nos trouvailles.
PRINTEMPS
Nous sommes partis dans les champs alentours recouverts de jonquilles. Elle s’est mise à faire tournoyer son appareil photo au bout d’une longue corde, c’était beau, on avait l’impression qu’elle dansait et toutes ces couleurs m’ont fait tourner la tête. Après on s’est installé pour dessiner les grandes lignes des collines. Ils nous ont dit qu’on pourrait ensuite transformer les fleurs en coussins et en hamacs afin que l'on puisse toujours se reposer directement dans le paysage. Je trouve que ce sont de belles idées même si tout ça c’est un peu étrange...
ETE
Les trois derniers jours nous étions au bord du bassin. Les couleurs qui y flottent sont magnifiques. Nous nous sommes lus des poèmes allongés dans les grands hamacs des fleurs du printemps. On a fait des tests avec des cylindres gravés pour décorer les biscuits que l'on prépare pour le grand banquet. On commence à imaginer l'installation de toutes les gravures, dessins et monotypes que l'on a fait depuis le début. Je pense que ça va ressembler à une sorte de village, ou peut-être aux voiles d'un grand navire. Les fleurs de la serre ont un peu pris chaud, il faut que j'aille les arroser.
Par le(s) artiste(s)